Dror Mishani : « Israël doit être imaginé »

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Dans le cadre de la campagne pour les élections législatives du 17 septembre, où il semble qu’aucun projet n’apporte de réel changement, l’écrivain israélien s’interroge, dans une tribune au « Monde », sur le sens du vote.

Publié aujourd’hui à 02h17 Temps de Lecture 5 min.

Les prochaines élections seront probablement les plus déprimantes de l’histoire de l’Etat d’Israël. Ce n’est pas un hasard si l’on s’attend au taux de participation le plus bas jamais observé. Pour ma part, je ne voterai pas, et ce pour la première fois de ma vie. Ce n’est pas par désespoir mais parce que je ne serai pas là le jour du scrutin. Cela dit, serais-je prêt à tout pour être présent en Israël et voter, s’il y avait le moindre espoir ?

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Benyamin Nétanyahou est l’unique sujet de cette campagne électorale – restera-t-il ou non premier ministre ? – et aucun parti n’a proposé de projet porteur d’espoir pour l’« après-Nétanyahou ».

Cet après-Nétanyahou est-il d’ailleurs possible ? A l’approche des élections, il est clair qu’il a lui-même du mal à imaginer qu’il puisse les perdre et doive renoncer à son siège de premier ministre. En l’entendant déclarer que les résultats vont être falsifiés (mais par qui exactement ?) et insinuer qu’il risque d’être victime d’un coup d’Etat fomenté par les médias, les grandes fortunes israéliennes et le pouvoir judiciaire, il est permis de penser qu’il aura du mal à reconnaître que sa défaite reflète un choix légitime de la population, s’il est battu.

Un véritable champ de bataille

Mais les Israéliens semblent, eux aussi, avoir des difficultés à concevoir leur vie sans Nétanyahou, le premier ministre qui sera resté au pouvoir le plus longtemps dans l’histoire d’Israël, et ce depuis 2009. L’une des raisons en est que la révolution introduite par Nétanyahou dans le discours israélien est si profonde qu’à l’évidence, même après lui, son influence continuera de s’exercer longtemps, peut-être même pour toujours, sur le pays : ce ne sera plus un « melting-pot », comme il se définissait avant, mais un véritable champ de bataille sur lequel les groupes sociaux s’affronteront dans un conflit continu. Ce ne sera pas davantage une société capable de s’unir facilement autour de ses symboles nationaux – même l’armée ou la guerre ne sont plus capables de fédérer Israël comme avant –, mais une société qui nourrira de profonds soupçons à l’égard de toutes les instances dirigeantes.

Il est également possible qu’Israël ne veuille pas imaginer l’après-Nétanyahou parce que la situation de nombreux Israéliens n’est pas si mauvaise que cela. Après tout, les tensions au sein de la société sur lesquelles il a construit son pouvoir et qui lui servent de combustible politique n’ont pas été créées par lui ; il s’est contenté de les accentuer ou de les intensifier. Et sa campagne anti-élitiste est un projet auquel de nombreux Israéliens peuvent s’identifier. De plus, la situation matérielle de beaucoup d’entre eux s’est améliorée ces dernières années : la crise économique mondiale de 2008 n’a pas été aussi grave chez nous qu’ailleurs ; la valeur de l’immobilier a considérablement augmenté et les Israéliens propriétaires de leur appartement font désormais partie des riches ; le shekel [la monnaie israélienne] est plus fort que jamais ; il y a moins de victimes du terrorisme qu’avant son avènement ; et, comparé à de nombreux dirigeants d’autres pays à travers le monde que nous voyons à la télévision, n’apparaît-il pas comme le capitaine qu’il nous faut ?

Le vrai problème est que les concurrents qui se présentent comme une alternative n’offrent pas davantage d’espoir. La plupart prônent une politique de haine comparable à la sienne – haine des Arabes, haine des ultraorthodoxes, haine de Nétanyahou et de ses partisans –, et aucun n’apporte une nouvelle réflexion sur l’avenir de la société israélienne et sur les moyens de résoudre ses problèmes, que ce soit à l’intérieur du pays ou avec ses voisins.

Pour qui voter ? Ou plutôt : comment voter ?

D’ailleurs, le moment le plus tragique de cette campagne électorale, qui pourrait symboliser la perte d’espoir de la société israélienne, a été celui où Ayman Odeh, le chef de la Liste arabe unie (association de trois partis arabes, dont le parti arabo-juif, le Front démocratique pour la paix et l’égalité), a annoncé pour la première fois qu’il pourrait soutenir une coalition de centre-gauche dirigée par Benny Gantz, le chef du parti Bleu Blanc et rival principal de Nétanyahou. Bien qu’une telle adhésion, historique (aucun parti arabe n’a jamais fait partie du gouvernement), soit une condition quasi essentielle au remplacement de Nétanyahou et à l’instauration d’un gouvernement non droitier en Israël, Benny Gantz, ancien commandant de l’armée, et d’autres membres de son parti (prétendument libéral !) ont rejeté la proposition. Et c’est ce parti-là l’alternative à Nétanyahou ?

Alors, pour qui voter ? Ou plutôt : comment voter dans le cadre d’une campagne électorale où il semble qu’aucun projet n’apporte de réel changement ? Certains pensent que le vote juste, dans ces circonstances, est un « vote tactique » pour le candidat ou le parti qui semble « le moins pire », et qui pourrait conduire au remplacement de Nétanyahou.

A mon avis, lorsque le présent politique n’offre pas d’espoir, il faut essayer de l’imaginer. Il faut regarder au-delà du présent et imaginer un avenir politique qui semble actuellement impossible.

Une vie fondée sur la coopération et le respect mutuels

Pour le philosophe Herbert Marcuse, la littérature devient esthétiquement efficace non pas lorsqu’elle décrit le monde tel qu’il est, mais quand elle l’écrit tel qu’il pourrait être, tel qu’il doit être. Peut-être est-ce ainsi que nous devrions voter : ni « tactiquement », ni pour « le moins pire », mais pour ce qui n’est pas encore possible, ce qui n’apparaît même pas à l’horizon, à l’heure actuelle, mais qui pourrait exister dans le futur.

N’est-ce pas ce qu’évoque le mot « horizon » : ce que nous ne pouvons pas encore voir clairement ? Si l’on considère ce qu’est Israël aujourd’hui, il n’est pas facile d’imaginer un pays jouissant d’une cohabitation politique judéo-arabe, d’une vie fondée sur la coopération et le respect mutuels, un pays qui lutte contre le racisme, contre la haine et qui tente de remplacer le discours de haine par un discours de coexistence dans l’égalité et de solidarité politique.

Et pourtant, cet Israël doit être imaginé. Et nous devons agir politiquement, voter, comme si cet Israël était toujours possible.

Dror Mishani est écrivain et professeur de littérature à l’université de Tel-Aviv. Son prochain roman, Une, deux, trois, paraîtra en mars 2020 chez Gallimard.

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