Disparition de Bogaletch Gebre, figure de la lutte contre les mutilations génitales en Ethiopie

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La militante est décédée début novembre à Los Angeles. Elle se consacrait depuis vingt-deux ans à la défense des droits des femmes éthiopiennes.

Par Nathalie Tissot Publié aujourd’hui à 18h00

Temps de Lecture 4 min.

L’Ethiopienne Bogaletch Gebre, lauréate du prix 2012-2013 de la Fondation du roi Baudouin pour le développement en Afrique, à Bruxelles, le 22 mai 2013.
L’Ethiopienne Bogaletch Gebre, lauréate du prix 2012-2013 de la Fondation du roi Baudouin pour le développement en Afrique, à Bruxelles, le 22 mai 2013. BENOIT DOPPAGNE / AFP

Derrière son sourire et ses lunettes, qui protégeaient depuis quelques années ses yeux sensibles à la lumière, l’Ethiopienne Bogaletch Gebre semblait ne se laisser dicter son chemin par personne. Ni enfant, quand elle a décidé de poursuivre l’école en cachette face à l’hostilité de son père. Ni ces dernières semaines, lors des discussions concernant sa succession à la tête de l’association Kembatti Mentti Gezzimma (KMG). Elle avait fondé cette organisation en 1997 pour lutter contre la violence et la discrimination contre les femmes exercées à travers certaines pratiques traditionnelles, comme les mutilations génitales ou les mariages forcés.

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Celle qu’on surnommait Boge est morte à Los Angeles, le 4 novembre, selon l’un de ses proches. Elle s’était rendue en Californie pour suivre un traitement médical. La militante avait la soixantaine. Comme beaucoup d’Ethiopiens, elle ne connaissait pas sa date de naissance exacte, faute de déclaration à l’état civil. Née dans une famille de fermiers, à 370 kilomètres au sud de la capitale Addis-Abeba, elle fut la première fille de son village, dans la circonscription du Kembatta, à arriver au terme de sa scolarité à l’école primaire. Elle fut ensuite envoyée à Addis-Abeba puis obtint une bourse pour aller étudier la microbiologie et la physiologie en Israël. C’est finalement aux Etats-Unis qu’elle acheva ses brillantes études, avec un doctorat d’épidémiologie obtenu à l’université de Californie.

Marquée dans sa chair

Son courage face au déterminisme social des années 1960 dans les campagnes éthiopiennes ne lui a cependant pas permis d’échapper, à 12 ans, aux traditions tenaces et brutales dont les jeunes filles sont victimes. A l’époque, les excisions, rite de passage avant le mariage, sont systématiques. « Un homme la tenait au sol pendant que deux femmes lui tenaient les jambes et une troisième s’est assise entre elles, utilisant un rasoir pour entailler ses parties génitales », peut-on lire sur le site de KMG. Marquée dans sa chair après avoir frôlé la mort, Bogaletch Gebre sera aussi traumatisée par le décès de sa grande sœur, enceinte de jumeaux, là encore en raison de mutilations génitales.

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De l’autre côté de l’Atlantique, elle court des marathons pour récolter des fonds destinés à soutenir les enfants éthiopiens touchés par la famine. En 1997, elle décide de rentrer sur sa terre natale et de fonder avec sa petite sœur Kembatti Mentti Gezzimma (« les femmes de Kembatta debout ensemble »). Son association œuvre au développement des communautés locales, à la construction de ponts, de puits ou encore d’un centre médical pour les enfants et leurs mères. Elle vient aussi en aide aux personnes atteintes du VIH. Mais l’un de ses principaux chevaux de bataille est la lutte contre les mariages forcés, les enlèvements et les excisions.

Ne cherchant pas à condamner mais plutôt à sensibiliser, Bogaletch Gebre initie des rencontres au sein des villages et sur les lieux de culte. Pour décrire son état d’esprit, un ancien ambassadeur de France en Ethiopie, Stéphane Gompertz, raconte qu’elle expliquait en substance : « Croyez-vous que Dieu est parfait ? Oui ! Croyez-vous que sa création est parfaite ? Oui ! Alors pourquoi voulez-vous la corriger ? » Au-delà des discours, elle met à mal les coutumes en les subvertissant. Ainsi, les célébrations organisées après l’excision des fillettes deviennent des fêtes en l’honneur de leur intégrité corporelle préservée.

Un dévouement hors pair

« La joie de voir des milliers de jeunes filles se rassembler dans un seul endroit pour chanter et danser, c’était éblouissant », se souvient Tim Clarke, l’ambassadeur de l’Union européenne en Ethiopie de 2004 à 2007, invité avec sa femme lors d’un de ces événements. Le diplomate était demeuré proche de la militante : « Boge aura toujours une place particulière dans mon cœur. Elle est la femme africaine la plus charismatique que j’ai jamais rencontrée. Son combat pour les femmes et les droits des filles sur le continent africain est sans égal. Et elle l’a fait à un moment où les autorités éthiopiennes faisaient tout pour empêcher ses activités. »

Ces risques ont porté leurs fruits. De 1999 à 2008, l’adhésion de la population aux mutilations génitales dans les zones où KMG est active est passée de 100 % à 3 %, selon une enquête de l’Unicef. Grâce à l’association, des tribunaux locaux consacrent désormais au moins deux jours par semaine à n’entendre que les affaires impliquant des femmes. Certaines circonscriptions vont jusqu’à cinq jours avec des femmes juges et des cours itinérants le week-end. Décorée de la Légion d’honneur par la France en 2007, Bogaletch Gebre a été récompensée à de multiples reprises, notamment en Belgique par le Prix du roi Baudouin pour le développement de l’Afrique, en 2013. Depuis février, elle était également membre de la Commission vérité et réconciliation voulue par le premier ministre éthiopien Abiy Ahmed pour examiner l’histoire tumultueuse de l’Ethiopie et « maintenir la paix, la justice, l’unité nationale » dans un pays plus que jamais fracturé.

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« C’était une femme très courageuse, au dévouement hors pair, confie au Monde la présidente éthiopienne, Sahle-Work Zewde, qui connaissait très bien Gobaletch Gebre. Ce n’était pas évident, ces sujets-là étaient tabous à l’époque. » La cheffe de l’Etat l’avait croisée il y a à peine quatre semaines : « Je la trouvais un peu fatiguée. » Elles s’étaient promis de se revoir. L’actuel directeur des programmes de KMG, Menbere Zenebe, avait également constaté que « depuis trois ou quatre mois, elle était de plus en plus faible ». Lui aussi l’avait vu récemment avant qu’elle ne reprenne l’avion pour suivre, selon lui, un traitement aux Etats-Unis. « KMG, c’était son mari, ses enfants, ses amis. C’était toute sa vie », témoigne attristé Salfiso Kitabo, membre du conseil d’administration de l’association, qui compte cinquante-trois employés. Bogaletch Gebre devrait être enterrée, cette semaine, dans l’enceinte des bureaux de l’organisation à Durame, près du village où elle est née.

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