Comment le sud du Nigeria tente de reprendre sa sécurité en main

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Des partisans du mouvement indépendantiste biafrais (Indigenous Peoples of Biafra, IPOB) dans le quartier d’Osusu à Aba, dans le sud du Nigeria, en mai 2017.

C’est une proposition qui n’a pas fini de susciter le débat au Nigeria. Le 11 mai, les gouverneurs de dix-sept Etats du sud du pays ont adopté une résolution visant à prohiber la transhumance et le pâturage libre sur leurs terres. Une annonce choc visant à enrayer les violences entre éleveurs et agriculteurs qui ont fait des milliers de morts ces dernières années au Nigeria.

Réunis dans la ville d’Asaba, la capitale de l’Etat du delta (sud), les gouverneurs ont estimé que « les incursions d’éleveurs armés, de criminels et de bandits » dans le sud du pays représentaient « un tel défi pour la sécurité, que les citoyens n’arrivent pas à vivre leur vie normalement ni à s’adonner à des activités agricoles, ce qui menace la sécurité alimentaire et la sécurité en général ».

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Depuis des siècles, les éleveurs peuls semi-nomades venus du nord conduisent leurs troupeaux pendant la saison sèche à la recherche d’eau et de pâturages. Mais le changement climatique et des sécheresses de plus en plus longues les ont poussés ces dernières années à descendre plus au sud, vers le cœur agricole du pays, et à y rester plus longtemps.

Parallèlement, faute d’une agriculture moderne, « la manière de cultiver la terre au Nigeria nécessite de très grands espaces, peu productifs », explique l’analyste Ikemesit Effiong, du cabinet de consultants en sécurité SBM Intelligence, basé à Lagos. Eleveurs et fermiers se retrouvent donc en concurrence pour l’accès aux terres, dans un contexte économique déjà difficile pour le pays le plus peuplé d’Afrique.

Des tensions communautaires exacerbées

Depuis cinq ans, ces conflits ont pris un tour dramatique avec des flambées de violence faisant plus de morts, certaines années, que Boko Haram. Ainsi, samedi 22 mai, des éleveurs peuls ont été accusés d’avoir tué neuf personnes à Tse-Ancha, dans l’Etat de Benue (centre-est). La veille, les corps sans vie de sept agriculteurs qui vivaient dans un camp de déplacés de la région avaient été inhumés après une autre attaque également attribuée à des bergers.

Le 24 avril, ce sont dix-neuf membres d’une même famille d’éleveurs peuls – dont six enfants – qui étaient abattus à bout portant dans l’Etat d’Anambra (sud-est). Leurs corps sans vie ont ensuite été sévèrement mutilés, leur bétail tué et leurs maisons saccagées par des assaillants suspectés par les autorités nigérianes d’être des membres du mouvement indépendantiste biafrais (Indigenous Peoples of Biafra, IPOB), actif dans la région.

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Les rivalités entre agriculteurs et éleveurs exacerbent les tensions communautaires. En février, une simple dispute entre un cordonnier yoruba – communauté majoritaire dans les régions du sud-ouest – et un manutentionnaire peul avait conduit au saccage d’un marché proche de la ville d’Ibadan et à plusieurs jours d’affrontements entre membres des deux ethnies.

« Aujourd’hui, le discours sur la sécurité dans le sud s’articule autour de lignes ethniques », confirme Idayat Hassan, qui dirige le Centre pour la démocratie et le développement, un groupe de réflexion basé à Abuja, la capitale fédérale nigériane. Une rhétorique qui se double chez certains d’« appels à l’autodétermination, voire à la sécession ».

Une « invasion » venue du nord

Dans l’Etat d’Oyo (sud-ouest), l’activiste Sunday « Igboho » Adeyemo prône ainsi l’avènement d’une nation Yoruba. Cet agitateur s’en prend au pouvoir central d’Abuja – alors que le président Muhammadu Buhari est lui-même originaire d’une famille peule du nord du pays – clamant que « les politiciens ont vendu le sud aux Peuls », lesquels seraient désormais « hors de contrôle ».

Dans le sud-est du pays, les activités criminelles sont également fréquemment attribuées aux éleveurs. Ces derniers constituent une cible de choix pour le mouvement séparatiste biafrais et son sulfureux leader, Nnamdi Kanu, qui capitalise sur le mécontentement de la population face à l’insécurité, en dénonçant une « invasion » venue du nord.

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Ce mouvement, qui se voulait pacifique à l’origine, a été classé comme « organisation terroriste » en 2017 par les autorités nigérianes, soucieuses d’éviter toute réminiscence de la sanglante guerre civile de 1967-1970. Après une arrestation et un exil, Nnamdi Kanu a finalement pris une posture plus radicale, en annonçant en décembre 2020 la création d’une branche armée : le Réseau de sécurité du sud (ESN). Celui-ci a pour mission de défendre la population igbo contre des éleveurs peuls.

Au mois de janvier, l’armée nigériane est intervenue dans la ville d’Orlu, située dans l’Etat d’Imo (sud-est) pour tenter d’écraser cette milice armée. Depuis, il ne se passe plus une journée sans qu’un commissariat ou un bâtiment public ne soit mis à sac et incendié par des « voyous » suspectés d’être des membres de l’IPOB. Ces attaques ont aussi coûté la vie à des dizaines de policiers, alors que leurs effectifs sont déjà bien inférieurs aux recommandations de l’ONU dans un pays comptant plus de 200 millions d’habitants.

Face à la montée de ces discours prônant l’autodétermination, « les gouverneurs doivent se battre pour leur survie politique », constate Idayat Hassan. « En proposant d’interdire la transhumance et le pâturage libre, ils essaient aussi de répondre aux inquiétudes de leurs électeurs », estime-t-elle. Les demandes formulées par les gouverneurs ne s’arrêtent pas là. Lors de leur réunion d’Asaba, ils ont également appelé à une restructuration des agences de sécurité de l’Etat pour « refléter un véritable fédéralisme ».

« L’architecture sécuritaire du Nigeria est beaucoup trop centralisée pour un pays aussi grand », explique l’analyste Ikemesit Effiong. Et « même si les gouverneurs utilisent un argument contestable » en mettant particulièrement en avant le conflit entre éleveurs et agriculteurs, alors même que le nombre de kidnappings et d’attaques à main armée explose dans leurs régions, « ce qu’ils réclament est la bonne chose » selon l’analyste. Dans l’espoir de faire bouger les choses à Abuja, les gouverneurs appellent désormais à un dialogue national sur ces questions.

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