comment le coronavirus a révélé les défaillances tunisiennes

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Des Tunisiens se promènent sur l’avenue Habib-Bourguiba, en plein coeur de Tunis, le 12 mai 2020, à la suite de l’assouplissement du confinement.
Des Tunisiens se promènent sur l’avenue Habib-Bourguiba, en plein coeur de Tunis, le 12 mai 2020, à la suite de l’assouplissement du confinement. FETHI BELAID / AFP

En pleine crise sanitaire du Covid-19, des images de foules s’attroupant devant des dépôts de semoule ont alimenté des jours durant les médias tunisiens. Cette denrée, subventionnée par l’Etat, s’est retrouvée rationnée dans les supermarchés. Or, elle est très convoitée par les consommateurs puisqu’elle permet de produire soi-même son pain à faible coût.

Certains s’étonnent de cette disette. « Avec la production nationale en céréales, les importations et le stock, on se demande comment nous avons pu entrer en pénurie ou en forte tension sur la disponibilité de ces produits ! », s’exclame ainsi Karim Daoud, agriculteur.

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Spéculation, corruption, monopole : les coupables ont rapidement été montrés du doigt derrière cette apparente pénurie de semoule devenue l’emblème des dysfonctionnements de l’économie tunisienne. Malgré la réquisition de sa distribution par l’Etat et son acheminement escorté par les militaires, la semoule n’arrive pas toujours à bon port, comme en témoignent les affaires traitées par l’Instance nationale de lutte contre la corruption (Inlucc). L’organisation a recensé plusieurs signalements de délégués régionaux qui détournaient la semoule pour la distribuer à des proches ou aux spéculateurs.

Marché noir

Résultat : cette denrée de première nécessité circule de plus en plus sur le marché noir, à des prix trois fois plus élevés. Le chef du gouvernement Elyes Fakhfakh en a fait le triste constat lors d’une visite dans un marché de gros, le 7 mai : « Nous avons saisi près de 1 000 tonnes de semoule qui circulaient hors des circuits de distribution, soit dix fois plus que les saisies de l’année dernière durant la même période. »

Conflits d’intérêts et monopoles sont également dénoncés. « Les problèmes touchent toute la chaîne de production et de distribution, jusqu’aux minotiers qui doivent faire face à des quotas, dont l’attribution manque de transparence », explique ainsi l’économiste Anis Marrakchi. Les petits minotiers ou nouveaux entrants s’estiment lésés face aux grands groupes du secteur.

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« Je ne peux travailler qu’à 18 % de ma capacité car on ne m’a pas donné assez de blé. C’est un comble, alors que la semoule est devenue un produit dont la demande est exponentielle. Par contre, vous avez des moulins, de l’autre côté, qui travaillent à 100 % », s’insurge ainsi Bassem Jmal, gestionnaire d’une minoterie.

En guise de réponse, les minotiers plus favorisés argumentent « que c’est normal de répartir les quantités mensuelles de blé selon les parts de marché de chacun, justifiées par l’historique de leur présence sur le marché, leurs moyens et leurs capacités de production », estime Said El Badri, directeur de la chambre nationale des minoteries de Tunisie au sein de l’Utica (syndicat patronal).

Apaiser les tensions

Selon l’économiste Elyes Jouini, c’est cette répartition qui pose problème. « Comme c’est la chambre syndicale des minotiers qui décide des quotas attribués à chacun par l’Office des céréales, il y a un conflit d’intérêts structurel qui bloque les nouveaux entrants et qui n’est pas dans l’intérêt du consommateur au final », analyse-t-il.

Bien que le ministre du commerce ait essayé d’apaiser les tensions en mettant davantage de blé à disposition des minoteries, l’affaire de la semoule en Tunisie témoigne d’une crise profonde de certains secteurs de l’économie tunisienne et d’une mauvaise gestion en temps de crise sanitaire. Elle révèle aussi la permanence de défaillances dans le contrôle quotidien du clientélisme.

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Un défi pour le nouveau gouvernement qui a promis de faire de la lutte contre la corruption son cheval de bataille. Celle-ci coûte près de 3 milliards de dinars (quelque 950 millions d’euros) chaque année à l’économie du pays, soit près de 2 % de son PIB selon l’ONG Transparency International.

« Nous avons des liens d’intérêt forts entre des cartels bien installés, l’administration, et le politique, ce qui empêche tout changement de la gouvernance et des institutions économiques », estime Anis Marrakchi. Le diagnostic n’est pas nouveau, mais les institutions régulatrices sur la concurrence ont peu de marge de manœuvre.

Conflit d’intérêts flagrant

Selon l’économiste, « ces verrous ont freiné le développement du pays hier et freineront la reprise post-Covid demain », mais la crise sanitaire aura au moins eu le mérite d’exposer au grand jour les limites du système.

Les conflits d’intérêt politico-économiques ont aussi suscité la polémique dans un autre domaine spécifique de la période Covid-19, celui de la production des masques. Après un cafouillage similaire à la France sur la nécessité ou non de se couvrir le nez et la bouche, le chef du gouvernement a annoncé un objectif de production de près de 30 millions de masques.

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Or, des médias ont révélé qu’un contrat avait été octroyé à la hâte à un homme d’affaires se trouvant être également député pour en produire deux millions, un conflit d’intérêts flagrant dénoncé aussi par le Parlement. Les erreurs procédurales et juridiques ont finalement été admises par plusieurs ministres, et l’affaire fait désormais l’objet d’une instruction judiciaire.

L’Inlucc a aussi dénoncé l’achat par certains groupes de tous les tissus réutilisables nécessaires à la fabrication des masques pour détenir un monopole sur la production et pouvoir ensuite imposer un prix. Plusieurs industriels du textile ont enfin dénoncé un cahier des charges « flou » avec une « composition restreinte et peu définie », de nature à favoriser certaines entreprises aux dépens des autres.

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La Tunisie n’a recensé aucune nouvelle contamination officielle au Covid-19 ces derniers jours, et avec 45 décès et 1 032 cas, elle a échappé à l’hécatombe occidentale. Avec un déconfinement partiel entamé le 4 mai, le pays amorce désormais sa relance économique. Mais celle-ci s’annonce compliquée pour une économie déjà fragilisée avant l’arrivée du virus. Le pays aura besoin de mobiliser près de près de 5 milliards d’euros pour gérer les suites de la crise et boucler son budget 2020, a d’ores et déjà affirmé Elyes Fakhfakh dans une interview donnée à la chaîne France 24.

Si la récession menace la transition démocratique en Tunisie, les différentes affaires de corruption ont aussi renforcé la nécessité de réformes économiques durables. « La Tunisie s’en est très bien sortie pour le moment sur le plan sanitaire et les décideurs politiques doivent se saisir de l’occasion pour rompre avec l’économie de rente mais il faudra beaucoup de courage politique pour faire bouger les choses », conclut l’économiste Elyes Jouini.

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