« Ce n’est pas une question religieuse, mais une affaire de caste »

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Vue d’Europe, la question du blasphème au Pakistan n’est abordée qu’à travers le prisme du cas Asia Bibi, qui vient d’obtenir l’asile au Canada, occultant le fait que la plupart des accusés sont musulmans. Allégorie de l’innocence en danger, Asia Bibi est devenue une figure de l’Occident, explique dans une tribune au « Monde » l’anthropologue Paul Rollier.

Publié aujourd’hui à 14h24, mis à jour à 14h44 Temps de Lecture 4 min.

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« La vaste majorité des chrétiens du pays sont d’anciens intouchables hindous, convertis à l’époque coloniale. Mais cette conversion n’a pas permis d’effacer le statut d’impureté propre à leur caste, spécialisée dans l’enlèvement des ordures » (Manifestation le 1er février contre l’acquittement d’Asia Bibi, à Islamabad).
« La vaste majorité des chrétiens du pays sont d’anciens intouchables hindous, convertis à l’époque coloniale. Mais cette conversion n’a pas permis d’effacer le statut d’impureté propre à leur caste, spécialisée dans l’enlèvement des ordures » (Manifestation le 1er février contre l’acquittement d’Asia Bibi, à Islamabad). ARIF ALI / AFP

Tribune. L’arrivée le 8 mai d’Asia Bibi au Canada marque le dénouement d’une affaire qui durait depuis dix ans, et qui témoigne du retour de la question du blasphème dans nos sociétés contemporaines. En 2009, cette villageoise chrétienne se dispute avec des femmes musulmanes qui lui reprochent d’avoir souillé l’eau réservée aux musulmans. Asia Bibi est accusée d’avoir alors insulté le prophète Muhammad. Condamnée à mort, elle sera acquittée huit ans plus tard.

Au Pakistan, l’affaire a suscité des manifestations de masse pour exiger son exécution. Cette susceptibilité pakistanaise à l’égard du blasphème trouve ses origines au XIXe iècle avec l’introduction par les Britanniques d’un code pénal pour l’Inde coloniale. Pour la première fois les « sentiments religieux » faisaient l’objet d’une protection juridique, et ce en termes laïcs, au même titre que la diffamation.

Un témoignage d’amour envers le Prophète

Intégrées au droit indien et pakistanais en 1947, ces dispositions ont eu pour effet d’inciter à la manifestation des sensibilités religieuses blessées. L’Asie du Sud fournit donc un précédent à la « laïcisation » du blasphème en cours dans les sociétés européennes, où l’offense au divin est remplacée par celle de discrimination ou d’incitation à la haine fondée sur les croyances religieuses.

Au Pakistan, ces dispositions furent renforcées dans les années 1980 afin que soient également protégés le Coran et le prophète Muhammad. Depuis lors, accusations de blasphème et lynchages sont choses courantes. Brandies de toutes parts, ces lois sont devenues une arme dans les règlements de compte personnels, et une sorte de totem national.

Les manifestations antiblasphème qui secouent régulièrement le pays témoignent d’une angoisse obsidionale propre au Pakistan et à son positionnement géopolitique. Nombre de Pakistanais sont convaincus qu’un complot étranger vise à éroder le caractère supposément islamique du pays. Manifester contre les blasphémateurs est vécu comme un témoignage d’amour envers le Prophète, et comme un acte de patriotisme. A contrario, blasphémer est une trahison religieuse mais aussi citoyenne, le déni du choix du Pakistan de se placer sous le signe d’Allah.

L’essor des nouveaux médias exacerbe le sentiment de dépossession. Les émeutes au Pakistan suscitées par les caricatures danoises puis par celle de Charlie Hebdo ne portaient pas tant sur l’interdit supposé de représenter le Prophète en islam que sur la circulation illimitée de l’outrage. Ce qui pose un problème, c’est l’impossibilité, à l’ère numérique, de contrôler les représentations publiques d’une religion dont ils se sentent dépositaires.

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