Boogaloo, le mouvement pro-armes et antipolice, où libertariens et néonazis font mèmes communs

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Chemise hawaïenne, drapeau abhorrant un igloo, et fusil d’assaut en bandoulière : dans les rues américaines, les « boogaloo bois » (ou boogaloo boys) ne passent pas inaperçus. Des membres de ce mouvement ont été aperçus ces dernières semaines dans ou autour de multiples manifestations contre le racisme et les violences policières, après la mort de George Floyd, à Minneapolis (Minnesota).

La présence des ces hommes armés, majoritairement blancs, inquiète aussi bien les manifestants que les forces de l’ordre. Depuis un mois, sept d’entre eux ont été interpellés pour port d’armes illégal ou pour la préparation d’attaques à l’explosif. Le 4 juin, trois hommes âgés de 23 à 40 ans, associés au mouvement Boogaloo, ont été interpellés dans le Nevada ; ils sont soupçonnés d’avoir voulu faire exploser deux bâtiments à Las Vegas « pour déclencher des émeutes ».

Les boogaloo bois vivent dans l’idée pré-apocalyptique qu’un bouleversement majeur est imminent

Les émeutes et la « révolution » sont au cœur de la philosophie de cet étrange mouvement qui rassemble, avec plus ou moins de bonheur, aussi bien des libertariens californiens que des néonazis du nord-ouest américain. Le nom même de Boogaloo, obscure référence aux relents racistes d’un film 1984, Breakin’2 : Electric Boogaloo, de Sam Firstenberg, est utilisé comme synonyme de révolte armée. Les boogaloo bois vivent dans l’idée pré-apocalyptique qu’un bouleversement majeur est imminent aux Etats-Unis, et qu’il leur faut être « prêts » — essentiellement en étant armés.

Une partie du mouvement appelle également de ses vœux le renversement du gouvernement, jugé coupable d’empiéter sur les libertés fondamentales des Américains — à commencer par le droit de posséder des armes à feu. Ses membres prêchent également l’opposition armée aux forces de l’ordre, et plus particulièrement aux « alphabet bois » — les agences fédérales, souvent désignées par leur sigle, et « bois » étant une déformation de boys (gars).

Un mouvement récent apparu en ligne

Pour autant, le Boogaloo est loin de former un mouvement structuré et organisé. Il existe principalement en ligne, où il a commencé à acquérir une certaine popularité fin 2019. Mais c’est surtout la suite d’événements d’actualité du début 2020 qui lui a donné de l’ampleur. Fin janvier, un projet de loi renforçant le contrôle des ventes d’armes à feu dans le Kentucky leur fournit l’occasion de leur premier coup d’éclat, lorsque des manifestants pro-armes, équipés de fusils d’assaut, pénètrent de force dans le capitole de l’état, le 31 janvier. Certains d’entre eux portent la chemise hawaïenne ou des écussons sur leurs vêtements faisant référence à différents symboles boogaloo, comme l’igloo.

Trois militants pro-armes pénètrent dans le capitole du Kentucky, le 31 janvier.

Figure connue du mouvement, Duncan Lemp devient immédiatement un martyr

Le 12 mars, une unité d’élite de la police intervient au domicile de Duncan Socrates Lemp, après avoir reçu un appel anonyme l’informant que des armes y étaient illégalement stockées. Membre actif du mouvement Boogaloo en ligne, Duncan Lemp est aussi associé aux « III % ers », un groupe paramilitaire d’extrême droite. Il est tué dans le raid : la police explique qu’il avait tenté de saisir une arme ; sa famille affirme qu’il a été abattu dans son sommeil alors qu’il était au lit avec sa petite amie. Figure connue du mouvement, Duncan Lemp devient immédiatement un martyr.

Dans les semaines suivantes, les boogaloo bois bénéficient également d’un très fort écho national, grâce à la mise en place du confinement dans plusieurs villes et états. Pour les bois, comme pour une partie de l’opinion publique américaine, le confinement est un abus de pouvoir de l’état ; des manifestations sont organisées. Elles rassemblent peu de monde, mais on y aperçoit de très nombreux hommes armés, arborant pour certains la chemise hawaïenne qui est utilisée comme symbole du mouvement en raison d’un improbable jeu de mot sur « boogaloo » et la fête hawaïenne « luau ».

Une liste de « martyrs » fréquemment utilisée dans les groupes de boogaloo bois, qui mêle à la fois des noms d’Afro-Américains et de membres de milices d’extrême droite.

Le 19 avril, des boogaloo bois sont présents devant le capitole de l’état de Washington, à Olympia. Certains portent également l’insigne des III % ers : le chef du groupe paramilitaire d’extrême droite, Matt Marshall, a appelé ses partisans à venir en force et à se vêtir de la chemise hawaïenne — lui-même en porte une, assortie de lunettes de soleil et d’un tricorne dans lequel sont rangées des balles de fusil d’assaut.

Des hommes portant la chemise hawaïenne du mouvement boogaloo discutent avec un policier à Lansing, Michigan, lors d’une manifestation anticonfinement, le 20 mai.

Renversement de l’Etat et guerre civile raciste

Mais ce sont surtout les manifestations qui ont suivi la mort de George Floyd qui ont donné aux bois une visibilité accrue. Les partisans et sympathisants se sont rendus, armés, dans des manifestations à travers tout le pays. Dans certains cas, ils affirmaient être là pour protéger les manifestants de la police ou des casseurs ; dans d’autres, ils ont pris position devant des commerces, officiellement pour les protéger des pillards. Dans les deux cas, ils ont immédiatement été soupçonnés d’être uniquement présents pour provoquer et exacerber les tensions.

Ses partisans affirment que la seule autorité légitime émane de la Constitution

A juste titre : le mouvement Boogaloo, qui est plus large que celui des milices d’extrême droite mais les englobe largement, vise avant tout le renversement armé de l’Etat tel qu’il existe aujourd’hui. Ses partisans affirment que la seule autorité légitime émane de la Constitution, et que les gouvernements fédéraux et locaux actuels exercent un pouvoir illégal. La frange la plus à droite du mouvement, qui admire le terroriste d’extrême droite Timothy McVeigh, espère contribuer au lancement d’une nouvelle guerre civile aux Etats-Unis, sur des critères racistes — une variante de la « sainte guerre raciale » opposant Blancs et Noirs qu’appellent de leur vœu plusieurs groupes néonazis aux Etats-Unis.

Mème antiraciste publié dans des groupes boogaloo sur Facebook : l’auteur du message se montre abattant un nouvel arrivant qui tient des propos racistes dans le groupe.

Mais les boogaloo bois ne sont pas uniquement un paravent pour ces groupes. Le mouvement a aussi une importante aile libertarienne, violemment opposée au contrôle des armes à feu et à l’Etat, mais très éloignée de l’idéologie suprémaciste. Dans certains espaces de discussion en ligne consacrés au mouvement, les commentaires racistes sont strictement modérés, ou accueillis par des moqueries, voire une franche hostilité. « Certains membres des communautés boogaloo en ligne expriment leur solidarité avec le mouvement de libération noir », note le Southren poverty law center, organisation de référence sur les groupes de haine aux Etats-Unis :

« De nombreux mèmes célébrant John Brown, qui avait pillé une réserve d’armes fédérale en 1859 pour tenter de lancer une révolte des esclaves, sont présents dans certains groupes Facebook, par exemple. Nombreux sont ceux dans le mouvement qui désavouent les suprémacistes blancs. Dans la majorité des cas, les membres tentent de contourner les débats sur la race ou les étiquettes politiques. »

On trouve fréquemment dans les mêmes groupes boogaloo, des mèmes appelant à « tuer des nazis » comme à tirer sur les « antifas ».

Une autre partie du forum 4chan

Ce positionnement atypique semble émerger des origines du mouvement, et de son principal espace en ligne : un sous-forum de 4chan, le gigantesque forum anonyme en ligne. Contrairement à l’« alt-right » et à d’autres mouvements similaires, les boogaloo bois ne se retrouvent pas sur «/pol », le sous-forum politique du site, prisé par la droite la plus extrême. Leur point de ralliement est «/k », le forum consacré aux armes à feu. Ce dernier proscrit strictement toutes les discussions politiques ; même les messages portant sur le sujet du contrôle des armes à feu sont interdits et immédiatement effacés.

Message d’accueuil sur « /k », avertissant les visiteurs que les messages à caractère politique seront supprimés.

Une contre-culture en ligne fait de références obscures et de mèmes plus ou moins cryptiques

Cette neutralité affichée — même si le sous-forum penche clairement à droite — semble avoir facilité l’alliance improbable, sous la même étiquette « boogaloo », de groupes paramilitaires néonazis et de libertariens qui rejettent le suprémacisme blanc. Les deux « faces » du mouvement partagent, au-delà d’une passion pour les armes de guerre et une opposition aux forces de l’ordre, une contre-culture en ligne fait de références obscures et de mèmes plus ou moins cryptiques, basés sur des jeux de mots. Et qui fournissent, dans certains cas, pour les groupes d’extrême droite, une étiquette commode leur permettant de s’afficher comme de simples citoyens en masquant ou en minimisant leur affiliation à des groupes suprémacistes.

Né sur «/k », le groupe est cependant rapidement sorti de ce forum plutôt confidentiel pour s’exporter sur les réseaux sociaux grand public. Et notamment sur Facebook, où des dizaines de groupes, souvent locaux, rassemblent ses partisans, et leur permettent de coordonner leurs déplacements aux manifestations. Le 1er mai, Facebook a modifié ses règles de modération pour interdire les termes faisant référence au mouvement Boogaloo dans les contextes d’apologie de la violence. Sur Instagram, les recherches sur « boogaloo » et des termes associés ne renvoient plus aucun résultat.

Les groupes Facebook du mouvement sont cependant toujours en ligne — la plupart ne vont d’ailleurs pas à l’encontre des règles de Facebook, qui n’interdisent pas les groupes consacrés aux armes à feu. Et d’autres groupes très importants, qui ne font pas explicitement référence au mouvement mais en épousent les codes et les mèmes, dépassent les 100 000 abonnés.

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