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Le rêve pétrolier et gazier s’éloigne encore un peu plus pour les Sénégalais. Initialement prévue en 2020, l’exploitation des deux principaux projets d’hydrocarbures, le champ pétrolier offshore Sangomar et le gisement gazier Grand Tortue Ahmeyim (GTA) partagé avec la Mauritanie – tous deux découverts en 2014 – avait déjà été retardée à trois reprises.
La pandémie due au Covid-19 vient à nouveau de repousser d’un an, à la fin de 2023, le lancement de la production commerciale. Un coup dur pour le pays qui compte sur ces ressources pour dynamiser son économie, créer des emplois et développer les infrastructures.
« L’effondrement des prix du pétrole brut ainsi que le ralentissement des activités du secteur (…) ont amené certains de nos partenaires à évoquer le cas de force majeure qui pourrait impacter les délais de livraison », indique un communiqué de Petrosen datant du 10 avril. La compagnie nationale sénégalaise reste tributaire des majors du pétrole et de leurs sous-traitants pour exploiter les 500 millions de barils de pétrole en réserve.
Ainsi, c’est un consortium de compagnies australiennes et britanniques qui détient près de 90 % des parts du projet Sangomar. Fin avril, l’australien Far, dont la participation s’élève à 15 %, a fini par se retirer du financement.
« Cas de force majeure »
Quant au gisement gazier GTA, le géant pétrolier britannique BP, qui en détient 60 %, a lui aussi brandi un « cas de force majeure » pour retarder d’un an l’installation de sa plate-forme offshore aux larges des côtes sénégalo-mauritaniennes.
Ce énième report inquiète Ndèye Fatou Ndiaye Diop, co-coordonnatrice de la plate-forme citoyenne Aar Linu Bokk (« Préserver nos biens communs », en wolof), mobilisée pour une gestion plus transparente des ressources pétrolières. « Malgré les incertitudes liées à ce projet, le Sénégal avait tout misé sur le pétrole. Il a perdu », estime la militante.
De fait, les conséquences économiques de ces nouveaux délais pourraient être lourdes. « Cette crise est un avertissement pour le Sénégal qui a emprunté une trajectoire d’endettement en se basant sur l’exploitation à venir des hydrocarbures », explique Luc Désiré Omgba, chercheur associé au laboratoire BETA-CNRS et spécialiste en économie de l’énergie. Le pays a d’ailleurs été parmi les premiers, au début de la pandémie, à faire campagne pour réclamer un allègement de la dette du continent africain.
Depuis 2012 et l’arrivée au pouvoir du président Macky Sall, la dette publique du Sénégal est passée de 42,9 % à 67 % du PIB en 2020, selon le Fonds monétaire international (FMI). Cet accroissement s’explique d’abord par les investissements massifs dans des projets d’infrastructures et de développement réalisés dans le cadre du Plan Sénégal émergent (PSE), mais pas seulement. « Le pays a augmenté les salaires des fonctionnaires dès 2018. Il a aussi mis en place des subventions en faveur du secteur énergétique, malgré une hausse des cours », précise M. Omgba.
Subir les contrecoups de la récession
Des dépenses engagées immédiatement alors que les retombées du pétrole sur l’économie ne sont pas prévues avant plusieurs années. « Il était illusoire de penser que le Sénégal gagne grand-chose du pétrole avant 2030. Et cela va encore être retardé », insiste Ousmane Sonko, président du parti d’opposition le Pastef.
Les secteurs pétrolier et gazier devaient rapporter au Sénégal l’équivalent de 6 à 7 % de points de PIB sur vingt ans, selon le FMI. Mais en lieu et place de cette manne, le pays va devoir subir les contrecoups de la récession qui touche le continent dans le sillage de la crise sanitaire. Néanmoins, avec une croissance attendue autour de 3 % en 2020, il devrait s’en sortir mieux que ses voisins.
Pour certains, le report de l’exploitation peut avoir des effets positifs. « Ce retard n’est pas une bonne nouvelle pour l’équilibre financier du pays, mais ce n’est pas forcément dramatique à court terme. Cela va permettre au Sénégal de gagner du temps pour penser l’intégration des recettes du pétrole et du gaz à son économie », analyse ainsi Francis Perrin, directeur de recherche à l’Institut des recherches internationales et stratégiques (IRIS) et spécialiste du secteur pétrolier.
Un gain de temps sur lequel mise aussi Fadel Barro, membre du collectif citoyen Y’en a marre. « Nous devrions revoir les contrats qui ont été alloués de manière inéquitable », soutient l’activiste. Dès la découverte des gisements, de nombreux Sénégalais se sont mobilisés contre le manque de transparence dans les négociations des contrats signés avec les multinationales pétrolières.
Le mal est déjà fait
En juin 2019, une affaire de corruption sur ces contrats impliquant le frère du président sénégalais, Aliou Sall, avait indigné la population. En réponse, le gouvernement de Macky Sall a promulgué un nouveau code pétrolier promettant de respecter les intérêts du pays.
Mais le mal est déjà fait, assène Thierno Alassane Sall, ancien ministre sénégalais de l’énergie. En désaccord avec le gouvernement au sujet de contrats pétroliers signés avec le groupe français Total, il avait démissionné de sa fonction en 2017. L’homme politique remet en question la légitimité de ces reports.
« Les compagnies pétrolières abusent de leur pouvoir, car le Sénégal n’a pas les compétences juridiques ni l’expertise technique pour challenger leurs propositions. Nous sommes dans une position asymétrique, où les intérêts des acteurs pétroliers ne sont pas toujours les nôtres », constate-t-il.
Au-delà des conséquences économiques, un nouveau retard dans l’exploitation pétrolière pourrait coûter politiquement à Macky Sall et son clan. Fary Ndao, géologue et auteur de l’essai L’Or noir au Sénégal (2018) prévient : « Les questions de transparence demeurent un cheval de bataille pour l’opposition politique et la société civile. Pour l’instant, la controverse autour du pétrole s’est calmée, mais elle pourrait reprendre si on part sur des reports de plusieurs années. »
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