Au Salon international du livre d’Alger, une rentrée littéraire sous le signe du Hirak

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Le 24e Salon international du livre d’Alger, début novembre 2019.
Le 24e Salon international du livre d’Alger, début novembre 2019. AGER OUESLATI

« Ce qui est génial, c’est de voir cette conscientisation accélérée chez les gens, et pas seulement à Alger ! Dans toutes les wilayas [préfectures] ». Au Salon international du livre d’Alger (SILA), un jeune militant est venu saluer Mohamed Anis Saidoun, 27 ans, en pleine dédicace d’un recueil qui publie une de ses nouvelles. Déjà primé, le jeune auteur y raconte l’histoire de deux militants algériens « blasés » par la paralysie des années Bouteflika, persuadés que rien ne bougerait, jusqu’à cette journée du 22 février, point de départ des manifestations contre le régime. Evénement culturel le plus important du pays, qui se tient jusqu’au 9 novembre à la Safex, le palais des expositions de la capitale, le SILA n’échappe pas au mouvement de contestation qui secoue l’Algérie depuis près de neuf mois.

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Des hommes repartent les bras chargés de sacs plastiques remplis de livres. Des cars venus d’autres régions se gardent autour du rond-point de l’entrée. Des groupes d’enfants, en blouses roses et bleues, casquettes sur la tête, marchent en rang vers le pavillon central. Le salon est une fête où les Algériens trouvent livres religieux, romans, ouvrages universitaires que la faiblesse du secteur de distribution et les restrictions d’importation ne leur permettent pas d’acheter dans leurs régions tout au long de l’année. C’est aussi la rentrée littéraire. Et aux côtés des nouveaux romans, presque une dizaine de livres sont consacrés au Hirak.

Sur le stand des éditions Koukou, Bariza, 73 ans, achète le dernier roman de Mohamed Benchicou, Casa del Mouradia. « On a peur pour le pays. J’espère que les jeunes ne vont pas se taire. Et s’il faut remonter dans les montagnes comme pendant la guerre de libération, on remontera », affirme cette habitante de Constantine venue à Alger pour l’occasion. Pourquoi le choix du livre de l’ancien directeur du quotidien d’opposition Le Matin ? « Je veux savoir ce que mes compatriotes écrivent. Je cherche aussi un livre sur Abdelaziz Bouteflika qui vient de sortir », explique-t-elle.

Envie et besoin de citoyenneté

De l’autre côté de la table, Mohamed Mebtoul, sociologue, fondateur du département d’anthropologie de la santé à l’université d’Oran, dédicace son livre Libertés, dignité, algérianité, écrit à partir de six mois d’observation de terrain. Son livre souligne l’envie et le besoin de citoyenneté exprimés par les manifestants. Preuve en est, selon l’universitaire, l’utilisation massive du drapeau, qui l’a frappée dès le mois de février : « La mise en mouvement des drapeaux dans l’espace public représente un acte sociopolitique majeur. Il renforce la cohésion et la fraternité entre les différents manifestants. Le drapeau est plus qu’un simple objet. Le porter signifie que l’Algérie en tant que nation ne peut être privatisée, qu’elle appartient à tous les Algériens. »

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Sur le stand des éditions Chihab, deux hommes regardent attentivement les ouvrages Aux sources du Hirak, de Rachid Sidi Boumedine, et La Révolution du 22 février, de Mahdi Boukhalfa placés côte à côte. « On s’intéresse à ce que nos confrères ont écrit », explique Halim, sociologue comme les deux auteurs. Il repart finalement avec un livre du sociologue Nacer Djabi sur les difficultés de vivre sa citoyenneté, publié en 2006.

Ce dernier vient de présenter un nouvel essai sur l’histoire des mouvements amazigh en Afrique du Nord, publié en 2018. Un ouvrage qui provoque la discussion, alors que les autorités ont arrêté et maintenu en détention provisoire plusieurs dizaines de manifestants qui portaient des drapeaux berbères depuis le mois de juin. « On sent de l’inquiétude avec l’approche de l’élection, raconte Nacer Djabi. Ceux qui ont acheté le livre m’interrogeaient sur les possibles scénarios. Ils craignent que des choses négatives n’arrivent. »

Expériences de démocratie participative

Quelques allées plus loin, la délégation de l’Union européenne présente l’un de ses projets de coopération, le Programme de renforcement des capacités des acteurs du développement local, qui s’appuie sur des expériences de démocratie participative dans plusieurs communes pilotes. Assise sur un tabouret, Leïla, 59 ans, salariée de la fonction publique hospitalière en France, s’interroge sur les défis de demain : « Comment amène-t-on les personnes à participer à un projet ? A participer pour de vrai ? Parce que souvent, sous couvert de démocratie participative, c’est un groupe qui décide pour les autres finalement. »

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Mardi 5 novembre, la visite de parlementaires algériens provoque un malaise. « Ils ne sont pas censés être au Parlement pour la loi sur les hydrocarbures ? », interroge une journaliste. « On fait notre travail, parce qu’on accepte que le salon soit un événement étatique et non lié au gouvernement, mais il ne faut pas pousser », souffle un employé, visiblement agacé par la présence de la délégation, accompagnée de caméras.

La question du boycott de cet événement, organisé par l’Etat, s’est posée. « Je n’y suis pas favorable, explique Salah Badis, 25 ans, poète, auteur et traducteur. La Safex est à nous, les livres sont à nous. Des gens viennent à Alger uniquement pour le SILA, ils ont besoin de lire et d’avoir des livres. » Le jeune homme, dont le deuxième ouvrage est sorti aux éditions italiennes Al-Mutawassit, a aussi publié un texte dans l’ouvrage collectif Marcher !, réalisé sous la direction d’Amin Khan : « Je voulais parler du pouvoir des réseaux sociaux, des statuts, des punchlines, qui sont de nouveaux poèmes pour notre époque. » Il dit être mal à l’aise avec l’écriture immédiate, celle qui « pousse à analyser après seulement quelques mois ». « Le Hirak n’est pas seulement dans les foules », rappelle-t-il. Il est aussi dans les maisons, les familles, les rapports entre les citoyens et l’Etat, dans l’intimité de chacun… Le comprendre et l’écrire prendra du temps.

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