Au Nigeria, un marché de l’art très prometteur

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Des œuvres de Tola Wewe à la foire Art X de Lagos, en novembre 2019.
Des œuvres de Tola Wewe à la foire Art X de Lagos, en novembre 2019. Art X Lagos

« J’aurais pu le vendre dix fois ! » Marème Samb Malong n’en revient pas : Marabouts, un immense tableau de Boris Nzebo est devenu en quelques minutes l’attraction de la foire Art X, dont la quatrième édition s’est achevée le 3 novembre à Lagos, au Nigeria. La galeriste camerounaise aurait pleinement savouré ce succès si, aimantés par la palette chatoyante de cette grande toile, les visiteurs n’avaient pas dédaigné le reste de son stand, moins coloré, plus abstrait voire sombre. Ici, les élégantes rivalisant d’audace vestimentaire et les riches hommes d’affaires convoyés en 4×4 veulent de la peinture, rien que de la peinture, de préférence des très grands formats bariolés, figuratifs, plutôt joyeux et déco.

Nous voilà loin, bien loin de la Biennale d’art contemporain de Lagos qui, au même moment, colle au plus près de la complexité d’une âpre mégapole, avec des photos et vidéos révélant ses infrastructures chancelantes, son système D, ses sociétés secrètes de jeunes cherchant glamour et réconfort ou son bidonville flottant de Makoko. Autant de sujets qu’on ne verra pas sur la foire Art X, qui caresse la riche clientèle du quartier de Victoria Island dans le sens du poil.

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Fondatrice de l’événement, Tokini Peterside l’admet : elle doit composer avec le goût traditionnel de son public. Mais, fine mouche, cette femme de 34 ans sait aussi qu’elle doit rallier la jeune garde, celle qui se déhanche dans les soirées musicales et voyage aux quatre coins du globe. C’est à eux que sont destinés les petits projets périphériques du salon comme « This is Lagos », mini-expo de tout jeunes photographes nigérians ou la vidéo kaléidoscopique de l’artiste et DJ Emeka Ogboh, traduisant le chaos urbain de la ville. C’est aussi cette relève qu’espérait ferrer la Sud-Africaine Goodman Gallery, avec ses photomontages de Sam Nhlengethwa, en hommage au chanteur Fela Kuti. Sans grand succès, pour le moment : la galerie a bien vendu deux œuvres, mais pas à un seul acheteur local.

« Le marché est très mince »

Les Nigérians ont beau collectionner depuis les années 1930, leurs goûts n’ont pas épousé l’évolution des pratiques artistiques. Aux enchères, les prix records pleuvent, mais principalement pour les pionniers de l’art moderne. En octobre, un portrait de femme par Ben Enwonwu a été vendu 1,4 million de dollars chez Sotheby’s, un chouïa moins que le record d’1,6 million de dollars établi en 2018 par Bonhams pour le portrait de la princesse Adetutu Tutu Ademiluyi, du même artiste. C’est un Nigérian anonyme qui a acheté ce trophée, comme 80 % des œuvres du cru proposées annuellement par Bonhams à Londres.

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D’après Jean-Philippe Aka, auteur d’un rapport annuel sur le marché de l’art africain, les ventes aux enchères au Nigeria auraient progressé de 60 % de 2014 à 2017. Kavita Chellaram abonde : lorsque cette femme d’affaires indienne a lancé sa maison de vente Arthouse à Lagos en 2008, elle comptait tout juste cinq clients. Aujourd’hui, elle se targue d’un fichier d’environ 200 acheteurs. « L’argent amène l’argent », constate le prince nigérian Yemisi Shyllon, 67 ans, acheteur de la première heure des artistes du pays. Et d’ajouter : « Quand j’ai commencé à collectionner, les gens autour de moi étaient sceptiques. C’est tout juste s’ils ne trouvaient pas que certaines œuvres avaient un caractère démoniaque. Maintenant qu’ils ont vu que l’art pouvait être monétisé, que certains artistes ont vu leur cote progresser de 20 à 100 %, ils ont changé d’avis. »

Sorti des grands noms de l’art moderne, « le marché est très mince », remarque Ugoma Adegoke, directrice de la galerie The Bloom, à Lagos. Et d’ajouter : « Seul un petit groupe de gens a envie de dépenser son argent dans l’art. Comment les blâmer, ils ont peu d’endroits pour en voir, on ne croule pas sous les musées, les librairies d’art ou les galeries… »

Elargir le spectre des acheteurs locaux

Aussi, le landerneau nigérian a-t-il applaudi des deux mains l’ouverture du musée Shyllon, abritant la donation de 1 000 œuvres consentie par l’homme d’affaires à l’université Pan-Atlantic, à l’est de Lagos. Dans ce bâtiment couleur rouille, construit à l’économie mais très efficace, les quelques 300 œuvres aujourd’hui exposées donnent une lecture classique de l’art nigérian, basée sur la continuité plutôt que la rupture. Ici non plus, pas d’art conceptuel, de nouveaux médias, mais des pièces très matiéristes, parfois dotées de messages écologiques. « Ce n’est pas un musée d’art, prévient Jess Castellote, son volubile architecte espagnol, mais un musée qui voudrait utiliser l’art pour faire réfléchir à autre chose, à la société, à l’écologie ». Et Yemisi Shyllon d’embrayer : « J’espère qu’en voyant ça, mes compatriotes auront envie d’en faire autant ! »

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Nous en sommes encore loin, mais le potentiel n’est pas négligeable. En dépit de la forte dévaluation de leur monnaie et des taxes de 27 % qu’il faut acquitter pour les œuvres importées par les galeries étrangères, les grandes fortunes locales se sont montrées actives sur Art X. « Le Nigeria, c’est les Etats-Unis de l’Afrique : ils sont directs et ne tergiversent pas », confie la galeriste Cécile Fakhoury (Abidjan, Dakar), qui a vendu sans coup férir plusieurs peintures d’Aboudia. Victoria Cooke, qui dirige la galerie 1957 à Accra, au Ghana, confie avoir plus d’acheteurs nigérians que ghanéens. Même son de cloche à la galerie Addis Fine Art, basée à Addis-Abeba. « Je suis jalouse de l’énergie que je vois ici, sourit sa directrice Rakeb Sile. A chaque fois que je repars du Nigeria, je suis chargée à bloc en me disant qu’il y a tant à faire chez nous ! »

Inversement, la présence de ces galeries africaines permet aux acheteurs locaux de se frotter à d’autres géographies et modes de pensée. « Les Nigérians sont tellement nombreux qu’ils ont tendance à croire qu’ils sont seuls sur le continent et que leur écosystème et leur art leur suffisent. Notre rôle est de les amener à autre chose », martèle la curatrice N’Goné Fall, conseillère du salon. Elargir le spectre des acheteurs locaux, voilà six ans que la galerie Art 21 s’y emploie depuis son magnifique espace de 550 m2 au sein du complexe hôtelier Eko, à Lagos. Après avoir exposé des photographes du continent et de sa diaspora, sa fondatrice Caline Chagoury a choisi de mêler pour la première fois art et design africain pour attirer une clientèle mordue de lifestyle. A raison : son espace n’a pas désempli durant le week-end de la foire.

Lagos Biennial jusqu’au 30 novembre, www.lagos-biennial.org

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