Au Mali, les anciens rebelles font la loi dans la région de Tombouctou

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Dans le village de Koigouma, situé à 150 kilomètres à l'ouest de Tombouctou, le Haut Conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA), groupe politico-militaire signataire de l’accord de paix de 2015, sécurise la zone.
Dans le village de Koigouma, situé à 150 kilomètres à l’ouest de Tombouctou, le Haut Conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA), groupe politico-militaire signataire de l’accord de paix de 2015, sécurise la zone. PAUL LORGERIE

Une colonne de sept pick-up dévale la colline de Koigouma, un village du nord-ouest du Mali, dans la région de Tombouctou. Venus sans blindés, les casques bleus égyptiens héliportés quelques heures plus tôt sautent dans les voitures aux drapeaux jaunes et blancs du Haut Conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA). Ces mêmes drapeaux qui marquent l’entrée du village, où la présence de l’Etat malien n’est qu’un fantasme. Ici, le HCUA, un groupe politico-militaire signataire de l’accord pour la paix et la réconciliation de 2015 qui prévoit le redéploiement de l’Etat partout dans le pays, s’impose comme la seule autorité légitime.

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En bordure de la cérémonie de remise d’une école flambant neuve, de tentes habitables et d’un château d’eau par le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) et de la Mission des Nations unies au Mali (Minusma), des soldats du HCUA veillent au grain. « Après la signature de l’accord d’Alger [de 2015], les unités combattantes ont pu installer une base à Koigouma », explique le chef de village Ahmedou Ag Abdallah, ancien juge islamique de la ville de Goundam et ex-membre d’Ansar Dine, un groupe extrémiste salafiste ayant, un temps, imposé la charia à Tombouctou en 2012.

Entrés dans le rang en adhérant à la cause d’un groupe signataire de l’accord, Ahmedou Ag Abdallah, ses combattants et près de 2 000 personnes de Koigouma, qui avaient fui dans le camp de réfugiés de M’Bera, en Mauritanie, ont décidé de revenir en mai 2019. Une communauté considérée comme un « partenaire fiable » pour Riccardo Maia, chef de bureau de la Minusma à Tombouctou : « Travailler avec eux pour ramener les services de l’Etat ici, c’est exactement le travail de la Minusma pour appliquer l’accord de paix, puisqu’ils contrôlent la zone. »

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Quelques mois avant la signature de l’accord de paix, en octobre 2014, le HCUA rejoint la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), une alliance entre les différents groupes rebelles qui ont combattu pour l’indépendance du nord du Mali. « Comme les militaires maliens ne connaissent pas la zone et restent dans leurs bases, ce sont aujourd’hui les éléments de la CMA qui sécurisent la région », glisse un combattant de Koigouma assis à l’arrière d’un pick-up. « L’objectif, ajoute-t-il, est que les personnes puissent circuler librement et en toute sécurité dans la brousse et jusqu’à la ville la plus proche pour travailler. » Légèrement en retrait de la foule, un homme d’une cinquantaine d’années hausse les épaules : « Qu’importe que ce soit l’Etat ou un groupe armé qui assure la sécurité. Tant que l’on peut travailler, c’est le plus important. »

« Une réelle accalmie dans la zone »

Pour arriver à ses fins, le HCUA a lancé en début d’année l’opération Acharouchou dans la région de Kidal, au nord-est du pays. « Une opération que nous avons étendue début octobre à la région de Tombouctou », avance une source au sein de la CMA, précisant que « des renforts sont venus de Kidal pour nous prêter main-forte ».

Si aucune autorité étatique n’a été consultée pour le lancement d’Acharouchou, les mouvements tactiques des troupes de la CMA ne se font pas sans coordination avec les forces armées maliennes (FAMa), selon les sources sur place. « Il serait fallacieux de dire que les FAMa ne peuvent pas sécuriser la zone », se défend le colonel major Mamadou Keïta, coordinateur de la cellule défense et sécurité dans le bureau du haut représentant du président de la République dans le nord du pays.

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Le militaire convient que, pour ne pas briser l’accord de paix, l’armée nationale reste sur les positions autorisées par le cessez-le-feu et qu’il existe des zones vides, « mais à terme, la finalité du processus sera la disparition de ces groupes armés qui seront incorporés dans l’armée ». « Et en réalité, nous constatons une application progressive de l’accord de paix sur le terrain, note un autre militaire malien, et c’est la première fois qu’il existe une réelle entente entre les forces de sécurité et les anciens groupes rebelles. »

D’après Alassane Wangara, du bureau de l’Association malienne des droits de l’homme de Tombouctou, « on observe une réelle accalmie dans la zone. Les gens circulent à nouveau hors de la ville car les rumeurs disent que beaucoup de bandits ont été arrêtés ». Pour lui, le problème ne réside pas dans le fait que la sécurité soit assurée par des forces non étatiques, mais que les personnes incarcérées dans le cadre de l’opération soient envoyées à Kidal, dans les geôles du HCUA, plutôt que d’être remises à la justice malienne. « Et après cela, on ne sait pas ce qu’ils deviennent », précise-t-il.

« Mise en œuvre intégrale de l’accord de paix »

Cette ville du nord-est du Mali reste en effet un point de crispation. « A Kidal, c’est le drapeau malien, l’administration malienne, et j’ai parfois entendu le contraire », déclarait Emmanuel Macron, le 12 novembre, lors d’une rencontre à Paris avec les chefs d’Etat malien, nigérien et tchadien. En septembre, le président nigérien Mahamadou Issoufou critiquait le statut ambivalent de la localité et accusait les groupes présents d’héberger des djihadistes en son sein.

« Cette opération intervient dans un contexte marqué par des accusations répétées et persistantes de collusion avec les groupes djihadistes », analyse Ibrahim Maïga, chercheur au sein de l’Institut de recherche de sécurité. Selon lui, les groupes signataires au sein de la CMA veulent désormais se poser en « force positive » au sein des populations. « Avec la présence d’Ansar Dine et d’Al-Qaida dans ces zones, il est important pour la CMA de gagner en crédibilité auprès des autorités pour infirmer ces accusations », ajoute le chercheur.

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L’accord d’Alger prévoit la création d’une « architecture institutionnelle fondée sur les collectivités territoriales dotées d’organes élus au suffrage universel et de pouvoirs étendus ». Le 29 octobre se clôturait le deuxième congrès du HCUA, à Kidal. Dans la déclaration finale, les participants souhaitaient la « mise en œuvre intégrale et diligente de l’accord pour la paix et la réconciliation » sans que celui-ci ne soit renégocié. Et notamment pas les dispositions relatives à une forte décentralisation. Or, le président malien semble vouloir les reconsidérer. En septembre, lors d’une adresse à la nation, Ibrahim Boubacar Keïta annonçait une possible révision de certaines dispositions de l’accord, poussant la CMA à suspendre la mise en place de l’accord.

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