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« Bienvenue en enfer ! » dit, en guise d’accueil, la patronne de ce petit bar, vide, à deux pas de Kabukicho, le grand quartier nocturne de Tokyo. Cette ironie grinçante reflète l’amertume teintée de colère des tenancières et tenanciers de la cinquantaine de troquets dans de vétustes bicoques à un étage des cinq venelles du petit district de Golden Gai. Presque tous ont leurs enseignes allumées. Certains ont quelques clients. Parfois, une feuille de plastique transparent pend du plafond au-dessus du bar. « A partir de lundi 3 août, c’est le couvre-feu à 22 heures, au risque, si on ne le respecte pas, d’être mis à l’index », poursuit la taulière. Restaurants, bars, cabarets, karaoké et pachinko sont « invités » à fermer (la loi n’autorisant pas à les y contraindre).
La confiance s’étiole en la capacité du gouvernement à faire face à l’épidémie – dont Tokyo est le principal foyer –, et la tentation est grande de trouver un bouc émissaire pour expliquer la résurgence des cas de contamination. Une recrudescence que de nombreux experts médicaux mettent sur le compte d’un trop rapide retour à la normale afin de relancer l’activité économique.
Le monde de la nuit est une cible facile. Et un nom revient comme litanie dans la bouche des politiciens : Kabukicho. Couvrant un kilomètre carré à l’est de l’arrondissement de Shinjuku, le quartier est devenu « synonyme de contagion » écrit le quotidien Mainichi.
« Population à risque »
Tokyo se reconfine volontairement à petit pas et Kabukicho se recroqueville à contrecœur. Ce samedi soir, le quartier était un peu plus animé qu’il ne l’était sous l’état d’urgence en avril-mai, mais il avait perdu l’effervescence de ses ruelles illuminées de publicités tapageuses et résonnant d’échos de musique disco où déambulaient jeunes rieurs et salariés en goguette, indifférents aux pochards invectivant le vide. Même le bagou des rabatteurs des cabarets n’est pas convaincant. Quelques rares couples entrent et sortent de la centaine de love hotels qui accueillent les amoureux en quête d’un moment d’intimité. Mais la morosité domine.
Haut-Lieu du marché noir dans les ruines de l’après-guerre (alors que l’avenir était bouché, « c’est de Shinjuku que vient la lumière », disait-on), le quartier au nord de la gare, qui a pris le nom de Kabukicho (car un théâtre kabuki devait y être construit mais ne vit jamais le jour), est devenu le plus célèbre lieu de plaisirs de la capitale. Il n’est certes pas le seul. Tokyo est une ville décentrée et chaque « centre » a son quartier nocturne : Ikebukuro, Roppongi, Shinbashi, Ueno… ou, plus huppés, Ginza et Akasaka fréquentés par ces hommes politiques et hauts fonctionnaires qui aujourd’hui mettent en accusation le monde de la nuit… Mais Kabukicho, où se côtoient le meilleur comme le pire de la nuit, a toujours senti le soufre.
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