Au Guatemala, les vieilles plaies du Nouveau Monde

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En 1519, l’Espagnol Hernán Cortés débarque au Mexique, accueilli comme un véritable dieu. Avant d’éradiquer l’empire aztèque, puis de soumettre les peuples mayas de l’actuel Guatemala. Le photographe Juan Brenner a documenté les stigmates de cette colonisation.

La question obsède Juan Brenner : quelles empreintes la conquête espagnole a-t-elle laissées sur l’Amérique latine ? Le photographe guatémaltèque traque les séquelles de la colonisation dans son pays. Un bain de sang et une évangélisation forcée qui ont façonné la construction historique et identitaire de ces sociétés métissées, inégalitaires et violentes, où les Indiens restent discriminés.

Cinq siècles plus tôt, le conquistador Hernán Cortés débarquait au Mexique. Impressionnés par la chevelure blonde et les yeux clairs de son fidèle officier Pedro de Alvarado (1485-1541), les Aztèques le surnomment « Tonatiuh » (« Soleil », en langue nahuatl). Cette déification ne l’a pas empêché de prendre part aux pires massacres, devenant un des grands architectes de la chute de l’empire aztèque, en 1521, avant de partir à la conquête des peuples mayas au Guatemala voisin.

Todos Santos Cuchumatán, Huehuetenango. Les Mayas utilisaient des ornements dans leur bouche plus de mille ans avant l’arrivée des Espagnols. Ce n’est qu’au XXe siècle que les dents parées d’or sont devenues un symbole de puissance dans les hautes terres du Guatemala.
Todos Santos Cuchumatán, Huehuetenango. Les Mayas utilisaient des ornements dans leur bouche plus de mille ans avant l’arrivée des Espagnols. Ce n’est qu’au XXe siècle que les dents parées d’or sont devenues un symbole de puissance dans les hautes terres du Guatemala.

« La conquête espagnole est toujours enseignée aux enfants guatémaltèques comme une étape naturelle et nécessaire de notre histoire alors que Pedro de Alvarado était un psychopathe qui a commis des crimes horribles », déplore Juan Brenner.

Traumatisme indélébile

C’est à ce personnage controversé qu’il consacre son projet « Tonatiuh, fils du Soleil ». Un traumatisme indélébile, passé par le tamis du métissage, que le photographe engagé aborde par le biais de la métaphore. Telles ces dents en or étoilées que les Guatémaltèques arborent fièrement. « Pedro de Alvarado était assoiffé d’or. Les Mayas, eux, conféraient plus de valeur au jade ou aux plumes de quetzal. Aujourd’hui, l’or reste un signe distinctif de richesse et de pouvoir dans une logique d’impérialisme culturel. »

« Au-delà du carnage en vies humaines, la colonisation régit toujours la société guatémaltèque, victime de la pauvreté, de la corruption généralisée et des crimes barbares des gangs de narcotrafiquants. » Juan Brenner

Sur une carte en 3D, le photographe suit à la trace l’arrivée du conquistador aux abords du lac Atitlán. Une bouteille brisée, d’où s’écoule un soda rouge, évoque la violence d’une mixité culturelle forgée dans le sang. « Au-delà du carnage en vies humaines, la colonisation et ses modes de domination régissent toujours la société guatémaltèque, victime de la pauvreté, de la corruption généralisée et des crimes barbares des gangs de narcotrafiquants. »

La culture maya a pourtant résisté. Un Guatémaltèque sur quatre se dit toujours indien. Cette force identitaire est aussi captée par l’objectif de Juan Brenner. Tel ce verre d’atole, boisson chaude et sucrée, à base de maïs, céréale dominante de l’alimentation et des croyances des descendants des civilisations précolombiennes. Le photographe traque aussi les syncrétismes avec ce cygne noir, oiseau de mauvais augure venu d’Europe.

De mère allemande et de père métis, Juan Brenner a longtemps fui « des racines mayas mal assumées ». Après avoir travaillé dans la mode à New York et à Paris, le quadragénaire a retrouvé le Guatemala depuis huit ans. « C’est là que j’ai pris conscience que l’esclavage persiste sous la forme du postcolonialisme américain. »

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Une seconde conquête, culturelle et économique, que ses clichés croquent au quotidien, du logo de Mickey Mouse à la casquette des Yankees, en passant par la mode des poussins teints en rouge ou en vert vendus sur les marchés comme des produits manufacturés.

Lancé en 2006, son projet prend une tout autre résonance cette année, alors que 2019 marque les 500 ans de l’arrivée de Cortés au Mexique. La polémique gronde entre les gouvernements mexicain et espagnol : en mars, le président mexicain, Andrés Manuel López Obrador, au pouvoir depuis 2018, a demandé au roi d’Espagne et au pape de présenter des excuses pour les « préjudices causés » par les conquistadors, en vue de la commémoration, en 2021, de la chute de la capitale de l’empire aztèque, Tenochtitlán, et des 200 ans de l’indépendance du Mexique.

Une adresse rejetée avec fermeté par le gouvernement espagnol, assurant que la colonisation « ne peut pas être jugée à la lumière de considérations contemporaines ». La polémique fait écho au projet de Juan Brenner : « Elle montre que la plaie ne cicatrise pas. Cinq siècles plus tard, le Blanc reste un Tonatiuh », mi-dieu, mi-démon.

Erik, prisonnier nouvellement libéré de la prison de Chimaltenango, essaie de se réinsérer en nettoyant les rues et en réparant les nids-de-poule sur la route principale.
Erik, prisonnier nouvellement libéré de la prison de Chimaltenango, essaie de se réinsérer en nettoyant les rues et en réparant les nids-de-poule sur la route principale. Juan Brenner
Chimaltenango. Fito, conducteur de tuk-tuk dans cette ville chaotique, où de nombreux chauffeurs sont forcés par des gangs à transporter de la drogue quotidiennement.
Chimaltenango. Fito, conducteur de tuk-tuk dans cette ville chaotique, où de nombreux chauffeurs sont forcés par des gangs à transporter de la drogue quotidiennement. Juan Brenner
Santiago Atitlán, Sololá. Cette figure fantôme, à l’intérieur d’un bateau flottant sur le lac Atitlán, rappelle que le site de Chuitinamit fut le théâtre d’une bataille qui détruisit l’ancienne capitale du royaume tzutujil, en 1524.
Santiago Atitlán, Sololá. Cette figure fantôme, à l’intérieur d’un bateau flottant sur le lac Atitlán, rappelle que le site de Chuitinamit fut le théâtre d’une bataille qui détruisit l’ancienne capitale du royaume tzutujil, en 1524. Juan Brenner
Xelajú, Quetzaltenango. Chèvres dans le parc central de Quetzaltenango, cette grande ville au cœur des hauts plateaux qui fut la toile de fond d’importantes batailles, il y a cinq cents ans.
Xelajú, Quetzaltenango. Chèvres dans le parc central de Quetzaltenango, cette grande ville au cœur des hauts plateaux qui fut la toile de fond d’importantes batailles, il y a cinq cents ans. Juan Brenner
Tombeau d’inspiration grecque dans le cimetière coloré de Chichicastenango.
Tombeau d’inspiration grecque dans le cimetière coloré de Chichicastenango. Juan Brenner
Tecpán, Chimaltenango. Un verre d’atole, une boisson sucrée, très épaisse, à base de maïs, la céréale la plus consommée de la région. Elle est réputée contenir tous les nutriments dont un individu a besoin quotidiennement.
Tecpán, Chimaltenango. Un verre d’atole, une boisson sucrée, très épaisse, à base de maïs, la céréale la plus consommée de la région. Elle est réputée contenir tous les nutriments dont un individu a besoin quotidiennement. Juan Brenner
San Andrés Iztapa, Chimaltenango. Un cygne noir représente un événement imprévisible, aux conséquences souvent funestes. Les conquérants ont importé dans le Nouveau Monde de nombreuses espèces jamais vues auparavant. Ces animaux ont changé l’écosystème à jamais.
San Andrés Iztapa, Chimaltenango. Un cygne noir représente un événement imprévisible, aux conséquences souvent funestes. Les conquérants ont importé dans le Nouveau Monde de nombreuses espèces jamais vues auparavant. Ces animaux ont changé l’écosystème à jamais. Juan Brenner
Chichicastenango, Quiché. Vendus comme des jouets, ces poussins colorés, photographiés sur un marché des hauts plateaux guatémaltèques, mourront rapidement à cause des produits chimiques contenus dans le procédé de coloration qu’ils ont subi. Une métaphore du développement chaotique des communautés d’origine maya.
Chichicastenango, Quiché. Vendus comme des jouets, ces poussins colorés, photographiés sur un marché des hauts plateaux guatémaltèques, mourront rapidement à cause des produits chimiques contenus dans le procédé de coloration qu’ils ont subi. Une métaphore du développement chaotique des communautés d’origine maya. Juan Brenner
Santiago Atitlán, Sololá. « De très nombreuses personnes vivant sur les hauts plateaux doivent faire face à une réalité médiévale : pas d’énergie, pas d’eau, pas d’accès à l’éducation », explique le photographe Juan Brenner.
Santiago Atitlán, Sololá. « De très nombreuses personnes vivant sur les hauts plateaux doivent faire face à une réalité médiévale : pas d’énergie, pas d’eau, pas d’accès à l’éducation », explique le photographe Juan Brenner. Juan Brenner
San Martin Zapotitlán, Retalhuleu. « Cette bouteille de soda rouge cassée est une métaphore du sang versé par les habitants pendant la conquête. Le sang de dizaines de milliers de guerriers locaux a été versé dans ces eaux, cela afin de terroriser les survivants et d’asseoir le pouvoir des envahisseurs sur les règnes précolombiens. »
San Martin Zapotitlán, Retalhuleu. « Cette bouteille de soda rouge cassée est une métaphore du sang versé par les habitants pendant la conquête. Le sang de dizaines de milliers de guerriers locaux a été versé dans ces eaux, cela afin de terroriser les survivants et d’asseoir le pouvoir des envahisseurs sur les règnes précolombiens. » Juan Brenner
Lagune de Chicabal, Quetzaltenango. Ce petit plan d’eau repose dans le cratère d’un volcan inactif, à quelques kilomètres de la ville. C’est l’un des endroits les plus sacrés de la cosmogonie maya.
Lagune de Chicabal, Quetzaltenango. Ce petit plan d’eau repose dans le cratère d’un volcan inactif, à quelques kilomètres de la ville. C’est l’un des endroits les plus sacrés de la cosmogonie maya. Juan Brenner
Cette carte topographique, établie en 1904, est une réplique exacte (à l’échelle1/10 000) du territoire guatémaltèque conquis par Alvarado et Cortés au XVIe siècle.
Cette carte topographique, établie en 1904, est une réplique exacte (à l’échelle1/10 000) du territoire guatémaltèque conquis par Alvarado et Cortés au XVIe siècle. Juan Brenner

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