Au Cameroun, des militaires meurtriers de deux femmes et leurs enfants condamnés à la prison

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Des maisons brûlées à Zeleved, dans l’Extrême-Nord du Cameroun, après une attaque de Boko Haram, le 23 mars 2019.

Dix ans de prison ferme. C’est la peine prononcée, lundi 21 septembre, par le tribunal militaire de Yaoundé contre quatre des sept soldats camerounais qui ont exécuté début 2015 deux femmes qu’ils soupçonnaient, sans preuves, d’être des complices du groupe djihadiste Boko Haram, ainsi que leurs deux enfants.

La scène, qui se déroulait à Zeleved, un petit village reculé de l’Extrême-Nord du Cameroun, proche de la frontière avec le Nigeria, avait été filmée par un soldat puis diffusée en juillet 2018 sur les réseaux sociaux, suscitant un tollé international.

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Les autorités camerounaises avaient d’abord nié et dénoncé des montages manipulatoires au point d’assurer publiquement que les images provenaient du Mali… avant de finir par lancer une enquête. Le procès démarré le 20 janvier et maintes fois interrompu s’est tenu à huis clos. Un autre militaire a été condamné à deux ans de prison ferme, deux autres soldats ont été relaxés. Tous étaient jugés pour « assassinat », « complicité d’assassinat » et « violation de consigne ». Ils peuvent faire appel de ce verdict dans un délai de dix jours.

Quatre civils, dont une fillette et un bébé

Parmi les condamnés, il y a le lieutenant de vaisseau Etienne Fabassou. Ce quinquagénaire a été désigné au cours de l’enquête comme le donneur d’ordre. C’est ce qui ressort des témoignages de ses soldats, interrogés en août 2018 par les enquêteurs, dont le contenu a été révélé par Le Monde Afrique.

Ses hommes assurent à l’unisson lui avoir obéi. « Fabassou nous avait confié la mission d’aller les exécuter. J’ai fait le travail que je devais faire, en suivant les instructions de mon chef », avait déclaré le soldat Cyriaque Hilaire Bityala, alias « Tcho-Tcho ».

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Un autre tireur, Gorvo Barnabas Donossou, âgé de 25 ans au moment des faits, avait également expliqué avoir participé à l’exécution de ces quatre civils – dont une fillette et un bébé – sur ordre du lieutenant Fabassou. Pour se défendre, ce dernier avait confié aux enquêteurs avoir lui-même obéi à son supérieur – un général décédé depuis – dont les consignes auraient été claires : « Tuer tous ceux qui se trouvent dans le camp ennemi. » Il soupçonnait également l’un de ses soldats, Ghislain Landry Fewou Ntieche, d’avoir filmé la scène puis de l’avoir diffusée pour lui nuire. Ses explications avaient été qualifiées de « dilatoires » par les enquêteurs.

« Assassinat », « complicité d’assassinat »

Le lieutenant Fabassou, les soldats « Tcho-Tcho », Donossou et un autre tireur ont été condamnés à dix ans de prison. Le premier pour « complicité d’assassinat » et « violation de consigne ». Les trois autres pour « assassinat » et « violation de consigne ». Le soldat Ntieche, qui avait filmé la scène d’exécution avec son smartphone, a été relaxé des charges d’assassinat, mais jugé coupable de « violation de consigne ».

« Fabassou soutient qu’il a donné l’ordre d’amener les femmes à la gendarmerie pour enquête. Les six autres accusés disent que c’est lui qui a donné l’ordre [de tuer]. L’un des deux témoins dit que c’est Fabassou qui a donné l’ordre. L’autre dit n’avoir pas suivi », explique MSylvestre Mbeng, l’avocat d’Etienne Fabassou, qui assure vouloir faire appel. « Il y a un principe général de droit selon lequel le doute profite à l’accusé », ajoute-t-il. L’une des avocates des six autres accusés, MJael Koutoukoute, se dit satisfaite des peines prononcées : « Dans l’ensemble, c’est une bonne décision pour mes clients. Ils encouraient une peine de mort. »

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Pourquoi ces militaires se sont-ils adonnés à une telle barbarie ? Un élément de réponse se trouve peut-être dans l’audition du soldat Didier Godwe Mana qui opérait aussi sous les ordres du lieutenant Fabassou. Interrogé à ce sujet par les enquêteurs, en août 2018, il livre sa version : « C’était non seulement dû à la pression de la population locale, mais aussi parce qu’au départ de la mission, les chefs nous avaient [ordonné] de collaborer avec la population locale, car c’était notre principale source d’information », précise le soldat âgé de 28 ans qui est l’un des deux relaxés.

Des supplétifs des forces de sécurité

Dans cette guerre contre les djihadistes de Boko Haram lancée par le président camerounais Paul Biya en 2014, les différentes unités de l’armée se sont, entre autres, appuyées localement sur des collectifs de villageois. Ces comités de vigilance fournissent du renseignement, guident parfois les troupes en opération lorsqu’ils ne mènent pas eux-mêmes des interpellations. Avec parfois le risque de les voir instrumentaliser cette guerre pour régler des comptes et renforcer leur autorité dans les villages, le plus souvent par la force, bénéficiant d’une certaine complaisance des autorités.

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A Zeleved, ce sont d’ailleurs les membres du comité de vigilance qui ont escorté les militaires traînant les deux femmes et leurs enfants sur le lieu de l’exécution. Sur le chemin, le soldat « Tcho-Tcho » les menace de mort et gifle l’une d’entre elles, comme on peut le voir dans la vidéo. Avant de s’arrêter au pied d’une colline où les militaires ouvrent le feu.

« Par le passé, lorsque les membres du comité de vigilance arrêtaient un Boko Haram, c’est toujours au pied de cette montagne qu’on les exécutait, a confié aux enquêteurs le caporal Jonathan Manasse Djakobei, l’autre relaxé du procès. Les populations et les membres du comité de vigilance nous mettaient la pression pour les exécuter. »

Exactions et crimes

Ce que l’on appelait communément Boko Haram, secte islamiste établie au Nigeria qui a mué en un mouvement djihadiste armé, s’est scindé en deux grandes factions en 2016 : Jama’atu Ahlis Sunna Lidda’awati Wal-Jihad (JAS), dirigée par Abubakar Shekau, et la filiale ouest africaine de l’organisation Etat islamique (Iswap). Ces groupes opèrent toujours dans la zone du bassin du lac Tchad (Nigeria, Niger, Cameroun, Tchad), contribuant à entretenir la spirale de violence dans une région dévastée par la brutalité des belligérants à l’encontre des civils et économiquement exsangue.

Du côté camerounais, les forces de sécurité de même que leurs supplétifs, les comités de vigilance, ont été plusieurs fois pointés du doigt par des ONG de défense des droits humains. Jusque-là, la plupart des exactions et des crimes, pour certains documentés, ne donnaient pas lieu à des enquêtes des autorités. Ce qui a renforcé l’impression d’impunité dont pouvaient bénéficier les militaires.

Le lieutenant Fabassou ne regrette d’ailleurs rien. « J’ai le sentiment d’avoir bien accompli ma mission contre ceux qui veulent envahir notre pays, car il s’agit d’une guerre ouverte », précisait-il aux enquêteurs. Le soldat « Tcho-Tcho » n’exprime aucun sentiment de culpabilité. « Je sais que j’ai fait le travail que je devais faire, en suivant les instructions de mon chef. Ce qui consistait à sauver la nation camerounaise de l’emprise de Boko Haram », a-t-il expliqué lors de son interrogatoire. « C’est d’ailleurs ces femmes et ces enfants qui portent des ceintures explosives pour tuer de nombreux Camerounais », insistait-il.

Le caporal Jonathan Manasse Djakobei, lui, reconnaissait lors de son audition avoir enfreint le règlement. « Je ne me reproche qu’une seule chose : la violation de consignes, car je reconnais que je n’ai pas été désigné par le chef de poste pour cette mission d’exécution, a-t-il déclaré. Mais, en ce qui concerne l’exécution de ces femmes et ces enfants, je ne me reproche rien. Elles étaient des Boko Haram. » L’enquête n’a pas pu le démontrer.

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