Au Cachemire, l’Indus coule au milieu des tensions

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Le fleuve Indus et son affluent Zanskar, à Ladakh, en Inde.
Le fleuve Indus et son affluent Zanskar, à Ladakh, en Inde. DPA/Picture Alliance/Leemage

Lorsqu’il partit comme envoyé spécial au Cachemire pour le magazine d’investigation américain Collier’s Weekly, en 1951, David Eli Lilienthal ne se doutait pas qu’il marquerait de son empreinte les relations tumultueuses entre l’Inde et le Pakistan, un antagonisme qui vient de connaître une soudaine poussée de fièvre, avec la décision du gouvernement Modi de prendre le contrôle politique de la partie indienne du Cachemire, sous l’œil inquiet de la communauté internationale.

Cet ingénieur américain (1899-1981), qui présida durant sa carrière de haut fonctionnaire la Tennessee Valley Authority, puis la Commission de l’énergie atomique des Etats-Unis, fut le premier à écrire noir sur blanc que l’enjeu numéro un de la région était la ressource en eau. Sur place, il imagina un plan de partage des flots de l’Indus moyennant la construction de multiples barrages et canaux, seule solution à même de permettre aux deux frères ennemis de l’Asie du Sud, engendrés par la partition du sous-continent en 1947, « de vivre en harmonie ».

Il fut impressionné par les canyons vertigineux creusés par ce fleuve mythique de 2 900 kilomètres de long qui abreuve 270 millions de personnes aujourd’hui. Un cours d’eau dont on dit qu’il stoppa la progression des soldats d’Alexandre le Grand, en 326 avant J.-C., et dont l’histoire à travers les siècles a été racontée par la journaliste anglaise Alice Albinia (Les Empires de l’Indus, Actes Sud, 2011).

Opération de « sécurité »

L’Indus prend sa source au Tibet, parcourt les paysages minéraux du Ladakh indien en se gonflant de la fonte des neiges et des glaciers, avant de descendre vers la partie du Cachemire sous administration pakistanaise. Il traverse alors des alpages verdoyants, où les cloches des vaches font écho aux appels à la prière des muezzins, puis de sombres forêts, pour ensuite parcourir le Pakistan et finalement se jeter dans la mer d’Arabie.

« L’Inde et le Pakistan sont au bord de la guerre pour le Cachemire, un combat dans lequel les Etats-Unis pourraient être forcés d’entrer », écrivit le reporter en herbe dans un texte publié le 4 août 1951, dont les termes résonnent étrangement aujourd’hui. Hasard de l’Histoire, c’est un 4 août, alors que le président américain Donald Trump venait de proposer ses services de médiateur au Cachemire, que la partie indienne du territoire (45 % de la superficie totale) a vécu ses dernières heures en tant qu’Etat fédéré.

L’ingénieur américain David Eli Lilienthal avait suggéré dans les années 1950 un partage des eaux du système hydrologique de l’Indus entre l’Inde et le Pakistan. Une solution qui reste respectée malgré les tensions.
L’ingénieur américain David Eli Lilienthal avait suggéré dans les années 1950 un partage des eaux du système hydrologique de l’Indus entre l’Inde et le Pakistan. Une solution qui reste respectée malgré les tensions. Agefotostock

Le gouvernement indien, dirigé par le nationaliste hindou Narendra Modi, l’a soudainement isolée du reste du monde et a fait voter le lendemain au Parlement fédéral, à Delhi, la fin de l’autonomie dont jouissait cette province grande comme le Portugal, connue pour être « le verger du sous-continent », en l’amputant au passage du Ladakh (les deux tiers de sa superficie).

Une opération justifiée non par l’eau qui s’y trouve mais par la sécurité, s’agissant de terres situées aux confins de l’Inde, du Pakistan et de la Chine. Oublié le diagnostic posé il y aura bientôt soixante-dix ans par David Eli Lilienthal. Et pourtant… Le constat de l’ingénieur reste valable. La partition du sous-continent a permis au Pakistan d’obtenir « la majeure partie des terres irriguées , observait-il, mais les deux tiers de l’approvisionnement en eau (…) sont laissés à l’Inde ».

Menace d’assèchement

L’homme ayant le bras long, le rapport publié par Collier’s Weekly pour proposer de remédier à cette situation fut remarqué par la Banque mondiale, qui en conserva pieusement le fac-similé dans ses archives et s’en servit de canevas, à partir de 1954, dans les négociations qu’elle parrainait alors entre Delhi et Islamabad, en vue de financer un milliard de dollars d’investissements sur la plus grande surface jamais irriguée dans le monde par un seul fleuve (plus de 10 millions d’hectares).

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Le processus accoucha en 1960 d’un traité bilatéral qui donna au Pakistan le contrôle de l’Indus et de ses deux affluents ouest, le Chenab et le Jhelum, et à l’Inde les trois affluents est, le Beas, le Ravi et le Sutlej. Un accord ayant survécu aux trois guerres indo-pakistanaises qui ont eu lieu depuis. « Aucune armée, avec des bombes et des tirs d’obus, ne pourrait dévaster le Pakistan aussi complètement » qu’en fermant le robinet en amont, estimait David Eli Lilienthal, qui calculait que des millions d’hectares « s’assécheraient en une semaine », provoquant la mort « de dizaines de millions de personnes ».

C’est la grande peur des Pakistanais. Le gouvernement Modi ne s’est du reste pas privé de brandir une telle menace après que l’armée indienne a été prise pour cible au Cachemire par des insurgés originaires du Pakistan, en septembre 2016, à Uri, et en février 2019, à Pulwama, prétextant que « l’eau ne peut pas couler avec le sang ». Une manière de reconnaître l’enjeu de l’eau, rendu plus drastique encore par le réchauffement climatique.

L’hiver dernier, le Centre international pour le développement intégré en montagne (Icimod), installé au Népal, a affirmé que « de un à deux tiers des glaciers de l’Himalaya pourraient fondre d’ici à 2100 ». De quoi faire tomber, cette fois, le rapport Lilienthal aux oubliettes. L’Inde et le Pakistan, eux, devront trouver d’autres raisons de se disputer.

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