Après la guerre, l’impossible parole des exilés syriens

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Par Cécile Hennion

Syrie, année zéro (4/4). Alors que la guerre civile touche à sa fin, « Le Monde » se penche, dans une série d’articles, sur l’état du pays. Aujourd’hui : la difficulté, pour les expatriés, de mettre des mots sur leur expérience du conflit.

Peut-être aurait-il fallu publier ici une page blanche pour donner la mesure du silence des Syriens en exil. Huit ans après les premières manifestations de mars 2011, d’abord à Deraa, dans le sud-ouest du pays, puis dans le reste du territoire, « le plus grand triomphe du régime est finalement d’être parvenu à nous contraindre – de nouveau – à nous taire », constate un psychiatre aujourd’hui réfugié dans une capitale européenne.

Selon une tendance qui se renforce au fur et à mesure que se consolide l’emprise de Bachar Al-Assad sur son pays en ruine, ce spécialiste de la parole souhaite garder dans l’ombre sa trajectoire personnelle et préserver – ainsi que les autres personnes citées dans cet article – son anonymat. Par « éthique », précise-t-il.

« Dans quelle mesure les opposants ou activistes exilés ont-ils le devoir de parler, quand leurs mots exposent à la violence du régime leurs proches restés en Syrie ? Est-il acceptable de faire subir aux autres la conséquence de nos actes ? Ce questionnement est infernal, car ce silence signifie l’arrêt de la lutte pour le changement. »

Le lien entre les exilés et ceux qui sont restés est complexe, nourri de peurs et de culpabilités

La sécurité des familles restées au pays, dont nul ne peut prédire la destinée, est devenue la préoccupation centrale des expatriés. Les chiffres donnent la mesure du traumatisme : plus de 5 millions de Syriens sont enregistrés auprès du Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations unies, et 2 millions de plus, selon les estimations prenant en compte ceux dont la situation n’a pas été régularisée.

« Avec le contexte actuel, qui ne va pas dans le bon sens, ces gens se taisent, même devant moi qui connais pourtant la situation et partage leur vécu », remarque un linguiste, jadis enseignant dans la ville de Homs. Bénéficiaire du programme national d’aide à l’accueil en urgence des scientifiques en exil, créé en janvier 2017, il étudie la parole des réfugiés.

Lui-même évoque « un silence éloquent » : « Parler peut coûter très cher. J’en ai fait l’expérience : mon frère a été arrêté et torturé en mon nom ! Idem pour certains Syriens que j’ai rencontrés dans le cadre de mon travail. » La parole, dit-il, est devenue un « champ de mines ».

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Et pourtant, c’était bien cela, au départ, la révolution syrienne : la réappropriation de la parole par les foules, après quarante ans de censure et d’autocensure. Quelques mots gribouillés sur un mur par des écoliers de Deraa – « Ton tour est venu, docteur [Bachar Al-Assad] ! » Après les tortures infligées aux écoliers, l’indignation s’était muée en un grand cri de révolté, à l’échelle nationale. Privés de la présence des médias internationaux, nombreux sont ceux qui, improvisés « journalistes citoyens », ont pris des risques insensés pour dire au reste du monde la répression, puis la guerre. Tous ou presque vivent désormais en exil.

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