« Après dix mois de contestation, la saison 2 du Hirak peut commencer »

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Des manifestants du Hirak brandissent des portraits d’Abane Ramdane, un des héros de la guerre de libération, à Alger, le 27 décembre 2019.
Des manifestants du Hirak brandissent des portraits d’Abane Ramdane, un des héros de la guerre de libération, à Alger, le 27 décembre 2019. RYAD KRAMDI / AFP

Chronique. « Le Hirak n’est plus ce qu’il était », me disait un chauffeur de taxi, sur le boulevard Zighout-Youcef, cherchant mon assentiment dans le rétroviseur. Il balançait des affirmations avec suffisance, comme pour se convaincre lui-même. Je me suis contenté de ne pas répondre, m’évitant un sujet qui aurait mérité un peu plus de temps pour débattre. J’aurais pu exprimer mon point de vue, à savoir que le Hirak a énormément évolué – et dans le bon sens –, que les citoyens ont renoué avec l’expression libre et l’occupation des espaces publics, etc. Mais à côté de lui, un autre passager – un jeune militaire – s’est empressé d’acquiescer. Je me suis dit : le chauffeur a eu ce qu’il voulait, il ne voulait sûrement pas entendre un avis divergent. N’en pouvant plus, je suis descendu du taxi quelques instants plus tard.

Je me suis rendu à la fourrière de la place du 1er-Mai, où je devais récupérer mon scooter, confisqué deux jours plus tôt parce que j’avais oublié mes papiers chez moi. Cette place restera gravée dans ma mémoire. C’est là que tout a commencé, le vendredi 22 février. Je m’étais retrouvé ici à 14 heures, sans conviction, avec une centaine de personnes. Les premiers arrivés étaient déjà encerclés et isolés par la police. Mais c’était peine perdue. Le temps pour moi de me retourner, je vis des milliers d’autres personnes qui arrivaient de tous les coins d’Alger. C’était la naissance du Hirak. Et depuis, nous sortons tous les vendredis.

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Il y a dix mois déjà, je me rappelle d’une conversation entre amis au sujet du cinquième mandat que nous réservait le clan Bouteflika. Nous étions dans le sud algérien, pour le tournage d’un petit film. Nous étions loin des grandes villes et nous pouvions déjà voir sur les réseaux sociaux que, dans des patelins, des citoyens avaient commencé à manifester leur mécontentement. Kherata, Jijel, El Bordj… Certains de mes amis voulaient bien croire que quelque chose était sur le point de s’enclencher, d’autres étaient plus sceptiques.

Je me rappelle aussi de mon voisin, qui n’était pas du tout politisé et qui exprimait, un mois auparavant, son ras-le-bol de voir encore une fois notre grand tuteur malade se présenter à l’élection présidentielle. « N’importe qui sauf lui », me disait-il avec un air déprimé.

« Etat civil, non militaire »

Il y avait autour de nous beaucoup d’indicateurs laissant penser que quelque chose germait dans la tête des femmes et des hommes de ce pays. La suite, nous la connaissons tous. Dix mois de protestations pacifiques qui marqueront à jamais l’année 2019 et l’histoire de l’Algérie. Quelque chose s’est déclenché en nous, qui ne nous quittera plus jamais.

Il y a eu la chute de Bouteflika, pour commencer. Puis l’annulation du scrutin du 4 juillet, l’arrestation des militants du Hirak, l’élection de la honte et, enfin, une situation des plus incertaines pour tout le monde : la mise en place d’un président et d’un pouvoir illégitimes. Dix mois que le régime élabore une stratégie pour éteindre le vent de la contestation… et finalement accoucher d’une souris. C’était la fin de la saison 1 – pour les amoureux de séries – et d’une année riche en événements. On repart avec la saison 2 du Hirak.

Ce vendredi 45 [le 27 décembre], les manifestants ont brandi le portrait d’Abane Ramdane, un des héros de la guerre de libération. Avant l’indépendance, il avait insisté sur la primauté du civil sur le militaire pour le futur Etat indépendant. Sentait-il déjà les problèmes venir ? Sûrement. Un autre martyr de la guerre 54-62, Larbi Ben M’hidi, avait prédit ce qui allait arriver. Il avait exprimé dans une lettre ses craintes de voir la course au pouvoir mener l’Algérie vers une dictature.

Soixante ans plus tard, nous en sommes au même point. Il y a bien eu le printemps berbère et octobre 88, mais cette fois, le peuple se réveille uni, avec la ferme intention de prendre le taureau par les cornes : « Dawla madania machi askaria » (Etat civil, non militaire).

Les résidus de l’ancien monde

Cette semaine, quatre détenus du Hirak, dont Samira Messouci, ont été libérés après avoir purgé leur peine. D’ores et déjà, ils expriment la joie de voir le mouvement toujours aussi fort. Après dix mois de marches et de contestation, notre Hirak va bien. Il a mûri. Nous savons que la liberté aura un prix et nous sommes prêt à le payer.

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Le régime et l’ancien système sont encore là. Ils tiennent bon. Mais nous, nous savons que toute chose a une fin. Eux, ils ont fait leur temps. Ils sont, sans le savoir, les résidus de l’ancien monde. Ils ne veulent juste pas le voir.

Pour cette fin d’année, je suis retourné à Timimoun, où, un an auparavant, avec des amis, nous avions parié sur la naissance du Hirak. On ne l’appelait pas encore comme ça, tout a tellement changé depuis…

Karim Moussaoui est un cinéaste algérien né en 1976 à Jijel. Témoin quotidien du mouvement de contestation qui secoue l’Algérie depuis le 22 février, il a accepté de livrer au Monde Afrique son regard sur le Hirak à travers une chronique régulière.

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