Angélique de la Hogue, formatrice et éducatrice spécialisée : “Le social ne paye pas”

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Cofondatrice de terrain for Interactive Pedagogy through Arts (Tipa), en 2007, et chez lequel elle a longtemps travaillé, Angélique de la Hogue est une éducatrice spécialisée dont l’engagement dans la protection des enfants et la défense de leurs droits est reconnu. Elle maîtrise le terrain et les problématiques sociales. C’est cette riche expérience qu’Angélique de la Hogue voudrait aujourd’hui partager. Si des universités dispensent des cours à l’intention des futurs travailleurs sociaux, il demeure, comme elle le dit dans cet entretien, qu’elles ont une “approche extrêmement théorique”.

D’où sa démarche de mettre en place une formation en vue de professionnaliser les métiers du social. Dans un contexte où la société mauricienne traverse des épreuves socio-économiques et environnementales difficiles et où la contribution des ONG pour y faire face, quand ce n’est pas pour accompagner les plus vulnérables, s’avère indispensable, la reconnaissance des ressources humaines dans le secteur social passe par le renforcement de leurs compétences. Mais Maurice ne dispose pas encore d’un centre de formation dédié à la préparation technique des professionnels du social. Angélique de la Hogue est prête à combler cette lacune.

l Vous mettez en place un projet qui vise à professionnaliser les métiers du social. Parlez-nous de ce projet.
– Mon projet vise, en effet, à la professionnalisation — par un centre de formation — du secteur associatif, lequel comprend les sphères sociale, éducative et artistique respectivement. Il s’articule autour de trois axes: la contribution à la professionnalisation et la structuration des organisations non gouvernementales existantes, l’accompagnement au développement des ressources humaines qualifiées appelées à travailler pour des ONG, voire dans le secteur public, et soutenir la mise en oeuvre de la politique sociale, éducative et économique à travers le plaidoyer et la communication. Avoir un grand coeur est certes important quand on s’implique dans le social. Mais ce n’est pas suffisant. Aussi, les connaissances et la formation sont déjà très accessibles, via Internet ou auprès des personnes qui sont déjà dans le secteur. Cependant, les compétences et le savoir-faire sont rares. Et on ne les trouve pas sur Internet ni dans les livres. Une ONG est considérée comme un secteur informel, mais c’est un service essentiel. Quand on veut offrir des services de qualité, il faut développer des compétences pointues. Et quand on reconnaît une profession, on reconnaît aussi sa valeur ajoutée, la contribution salariale et la reconnaissance financière.

Il n’y a pas d’école de formation pour des éducateurs. Il n’y en a pas non plus pour des managers d’ONG! Le recrutement de managers d’ONG n’est pas évident. Il est difficile de trouver sur le marché local des candidats qui peuvent comprendre et se situer dans le management d’une ONG, laquelle, comme toute entreprise, a aussi besoin de compétence pour sa gestion financière, de ressources humaines, de relation externe, mais aussi la maîtrise des enjeux stratégiques et spécifiques à l’action de l’organisme. Maurice, étant dans une situation de crise, il faut investir davantage dans le social. Le développement des personnes en difficulté est nécessaire. Si l’on veut une économie dynamique et résiliente, il faut aider ces dernières à résoudre leur vulnérabilité. Il nous faut être capables de réagir vite, d’autant qu’avec la catastrophe naturelle qui nous a frappés, il est certain que les répercussions socio-économiques suivront.

l C’est tout un programme, puisque vous êtes aussi en train de repenser le fonctionnement de l’ONG…
– Pas seulement! On entend rarement parler des métiers des professionnels du social. On parle d’un travailleur social. Ce qui est vague. Aujourd’hui encore, on me demande si je fais mon travail à titre bénévole. Non! Educatrice spécialisée est mon métier. Non seulement j’ai été formée à cela, mais je m’y identifie professionnellement. Vous savez, avec la marrée noire, nous avons vu la capacité de réaction des ONG, particulièrement Eco-Sud et Mauritius Wildlife Foundation, en ce qui concerne l’évaluation de la situation, le signal d’alerte, la mobilisation et la coordination. Elles ont recherché et mis en oeuvre des solutions accessibles, réalisables et efficaces dans un court laps de temps. Elles ont montré des compétences d’anticipation, de prévention, de réaction et d’ajustement en fonction de l’évolution de la situation, et cela avec des ressources limitées. C’est cette expertise qu’il faut reconnaître, renforcer et partager avec d’autres ONG et des services de l’Etat.
l Qui dit professionnalisation, dit implication et rétribution financière. L’accessibilité au financement des activités voit l’émergence d’ONG en tout genre. Et peut corrompre les objectifs et la mission première de l’ONG. Votre avis.

– Il y a certainement eu des dérives Des brebis galeuses il y en a dans tous les systèmes. Il y a des garde-fous à établir pour un meilleur contrôle par les autorités. Il y a des procédures de gestion financière à être respectées. C’est pour cela que j’ai évoqué la professionnalisation du métier de manager d’ONG. On ne peut deviner la quantité de choses à mettre en place quand on occupe cette fonction. D’autre part, pour éviter des erreurs, il y a des mécanismes à appliquer, il faut évaluer le personnel, contrôler les rentrées d’argent  Beaucoup d’entreprises avec qui j’étais en contact pour mobiliser des fonds refusaient que l’argent soit utilisé pour financer des salaires. Elles veulent financer du matériel.  Mais n’oublions pas que l’outil de travail d’une ONG est son personnel. Si on ne finance pas un salaire, on ne reconnaît pas la valeur ajoutée que la personne apporte aux vulnérables. Le matériel compte, mais il y a aussi l’approche humaine, l’accompagnement qui sont au-delà de la valeur matérielle. Il y a un changement de paradigme à faire pour arriver à la reconnaissance du professionnel du social.

l Vous avez évoqué, plus haut, le secteur public. Le social n’est pas son point fort. Concrètement, que pourriez-vous apporter pour renforcer l’efficacité des travailleurs sociaux de ce secteur?
– Il faut les valoriser, développer leurs compétences techniques et travailler sur leurs lacunes. Dans le secteur public, tout comme dans les ONG d’ailleurs, il faut questionner les recrues sur leur motivation pour voir si elle s’aligne sur les objectifs de l’organisme ou pas. Un Master en sciences sociales sur un CV offre des perspectives pour une promotion et pour une évolution de carrière. Mais il faut sonder la motivation et l’engagement de celui qui postule dans le domaine du social.

l Sur la question de motivation, ne risquez-vous pas d’être déçue?
– Pas par les jeunes. Ils font partie d’une génération qui cherche du sens et qui veut apporter une valeur ajoutée dans la vie des gens dans une économie durable et éthique, et dans l’environnement. Cette génération est dynamique, elle a des idées et ne veut pas de ce monde que la précédente génération lui a laissé. Elle est prête à mettre la main à la pâte. Mais il faut que le métier du social soit attrayant pour les jeunes, qu’ils puissent gagner leur vie avec. Mais le social ne paye pas et l’aspect financier est important dans la vie de tous les jours. Se dire qu’on a la vocation et la passion et attendre que l’argent tombe du ciel est une perte de temps. Nous parlons aujourd’hui de sustainability. Les bénévoles feront du bénévolat pendant un ou deux ans, mais pas pendant 40 ans! Je crois dans cette génération.

l La faculté des sciences sociales de l’Université de Maurice dispense des cours sanctionnés d’un diplôme pour ceux voulant se spécialiser en travail social. C’est aussi une forme de reconnaissance du métier, non?
C’est un début. L’université a une approche de facto universitaire, extrêmement théorique, mais qui reste importante. Les travailleurs sociaux diplômés de l’université connaissent la sociologie, la psychologie et les autres thématiques du social, mais ils ont une connaissance très pauvre du terrain et une faible capacité en maîtrise des problématiques sociales. S’il n’y a pas l’approche complémentaire sur le développement des aptitudes et le savoir-faire, les diplômés ne pourront pas s’adapter aux situations de terrain. D’un côté, on se retrouve avec des ONG qui ont une très bonne connaissance du terrain, mais qui sont très peu outillées en matière de background théorique, de recul, d’analyses. Et, de l’autre, l’université et l’Open University of Mauritius, qui proposent de bons diplômes, qui dispensent des théories de recherche avec différents courants de pensée extrêmement riches, mais sans proposer quelque chose qui englobe ces deux aspects. Durant ma formation en éducation spécialisée, il y avait autant de stages que de théories. L’action doit nourrir la recherche et la réflexion. Et à son tour, la recherche nourrit l’action.

 



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Le Mauricien

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