Allan Lutchman: «J’ai surpris cinq élèves enfermés dans une poubelle…»

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Allan Lutchman, enseignant.

Allan Lutchman, enseignant.

Le «Teachers’ Day» a été célébré hier, 5 octobre. Comment se porte ce métier aujourd’hui, surtout avec l’escalade de la violence et de la drogue à l’école ? Pourquoi les leçons particulières perdurent-elles ? Quels sont les défis ? Allan Lutchman, enseignant au Collège du Saint-Esprit, à Quatre-Bornes, y répond.

Bonne fête… Mais qu’avez-vous célébré, au juste ?

Le Teachers’ Day marque la reconnaissance d’être enseignant. Nous sommes environ 20 000 et 25 000 à Maurice, dont 10 000 approximativement dans le secteur public. Cela reste toujours un noble métier surtout quand vous êtes reconnu pour le travail accompli.

Les enseignants revendiquaient un jour de congé en semaine. Est-ce justifié ?

Ce n’est pas une question de semaine ou de week-end. Il faut trouver le moment pour marquer le Teachers’ Day.

La profession attire-t-elle toujours aujourd’hui ?

Ça attire de moins en moins. Mais beaucoup l’exercent par défaut. Car après les études universitaires, les perspectives d’emploi sont limitées. Ils intègrent ce domaine sans avoir la passion ni la vocation.

Et vous, pourquoi avez-vous choisi cette voie ?

J’ai démarré ma carrière dans la comptabilité. Puis un poste d’enseignant m’a été offert à Rodrigues. J’ai saisi cette opportunité. Comme j’ai beaucoup apprécié ce domaine, j’y suis resté. Je compte maintenant 25 ans de service. J’aime le contact avec les jeunes et la transmission des valeurs. Je suis heureux dans ce que je fais.

En termes de responsabilités, que fait un enseignant de nos jours ?

Déjà, l’appellation d’enseignant a changé pour celle d’éducateur. Un bon prof ne se cantonne pas uniquement à transmettre des connaissances. Il doit former l’humain intégralement. Ce n’est pas seulement pour leur remplir la tête mais pour que les jeunes aient un coeur pour réfléchir. Évidemment, les profs ont un cursus à respecter avec les examens et tout. Des fois, le temps fait défaut. Par conséquent, les autres responsabilités deviennent un peu secondaires…

On reproche d’ailleurs aux enseignants de trop se focaliser sur le côté académique…

Voilà, c’est vrai. Moi-même j’enseigne en Grade 11 et 13. Le programme est chargé. On doit faire le maximum pour le boucler. Nous avons la pression des parents, autorités et élèves. À côté, il y a des activités extracurriculaires. On doit jongler avec le temps pour trouver cet équilibre. Pour moi, un bon prof doit avoir de la compassion, communiquer et se mettre à la place des enfants. Pour mieux les encadrer et les accompagner, il faut connaître leur milieu social et familial.

Souvent, les enfants qualifient les profs «d’arriérés». Votre avis ?

On voit cela sur les plateformes numériques et médias sociaux. Le métier d’enseignant devient plus exigeant. D’autant plus que les jeunes maîtrisent les outils informatiques mieux que nous et ont accès à une mine d’informations. Le bon prof doit les aider à discerner entre ces informations à profusion.

Comment le métier a-t-il évolué avec les années ?

Avant, les parents et élèves avaient plus de respect pour les profs. Cette notion s’estompe graduellement…

Pourquoi ?

Bonne question. Il y a un manque de respect non seulement envers les profs, mais aussi les policiers, médecins, etc. La société elle-même a changé. Les profs sont appelés à s’adapter et se réinventer à chaque fois. Moi-même, j’ai débuté après mes études universitaires, contrairement aux collègues des secteurs primaire et secondaire où il y avait du «onthe- job training». Les jeunes profs étaient lâchés dans la jungle. Avec les nombreux défis, ce travail devient de plus en plus difficile. Ce n’est pas uniquement un diplôme académique qui compte. La communication et le partage de connaissances font toute la différence.

Dur, dur d’être prof donc aujourd’hui : racontez-nous les pires choses que les élèves vous ont faites…

Je ne peux pas trop me plaindre. Je n’ai pas eu tant de problèmes avec les élèves. D’ailleurs, ici, on me surnomme «Chacha»…

Comme le Père de la Nation ?

Non pas du tout… Je dois beaucoup aux mentors et professeurs de carrière dont l’encadrement a forgé ma personnalité.

Et cette anecdote qui vous est restée en travers de la gorge?

L’an dernier, j’ai surpris cinq élèves en flagrant délit, enfermés dans une poubelle sur le parking du collège. J’ai mené mon enquête de terrain. C’était pour utiliser des produits prohibés. De là, toute la question de drogue a été soulevée.

Comment un prof réagit face à une telle découverte ?

On se fâche. Bien sûr, ils sont réprimandés. C’est un sentiment de déception. C’était des élèves de Grade 13 qu’on a accompagnés. Et à la veille des examens, on doit aussi penser aux sanctions sans pour autant hypothéquer leur avenir. Il nous fallait également envoyer un signal fort à la communauté scolaire sur ce fléau. Figurez-vous qu’un des élèves pris dans la poubelle nous a dit que c’était pour réviser. En 25 ans de carrière, je ne sais pas si on révise dans un tel lieu. Les parents ont essayé d’accréditer cette thèse-là.

Qu’en est-il de l’ampleur de la drogue synthétique dans les collèges ?

On a fait pas mal de campagnes avec beaucoup d’associations. Je ne peux dire que le problème a été résolu à 100 % mais il est sous contrôle.

Comment faites-vous face à la montée de violence des élèves ?

Dans un premier temps, on pense aux sanctions mais à mon sens, il faut traiter la violence de manière holistique, c’est-à-dire avec les parents, le ministère, la direction du collège, etc. Hier (NdlR, jeudi) même, j’ai eu un cas où un élève n’a pas eu l’autorisation pour aller aux toilettes. Il s’est montré agressif. J’ai dû intervenir. Il faut utiliser les mots pas la violence. Il faut gagner leur confiance. C’est la meilleure façon de gérer.

La justification pour demander un congé pour le «Teachers’ Day» repose sur les leçons particulières. Un business des plus lucratifs, n’est-ce pas ?

Oui, c’est un mal nécessaire. Beaucoup de parents sont absorbés par leur vie professionnelle et n’ont pas le temps pour se consacrer à l’éducation de leur enfant et confient cette tâche à un spécialiste.

Pourtant, sur Facebook, certains profs dénoncent cette pratique en vidéo, voulant même la «bloquer». Combien rapportent les leçons aujourd’hui ?

Cela dépend. Si les profs ont une certaine réputation, les cours particuliers coûtent plus cher. Je ne m’aventurerai pas à avancer un chiffre mais ça représente une coquette somme. Un cours varie entre Rs 500 et Rs 1 000, voire plus mensuellement. Le «goodwill» est déterminant. Tout comme les matières. Par exemple, le General Paper, les sciences, les mathématiques entre autres, peuvent coûter plus. Puis, d’autres personnes exerçant des professions libérales, dispensent aussi des leçons.

Est-ce normal que les profs se fassent de l’or sur le dos des collégiens alors qu’ils devraient plutôt donner le meilleur en classe ?

Peut-être que certains profs vont «batbaté» en classe et se donnent à fond dans les leçons. D’autres donnent le meilleur d’euxmêmes à l’école. Mais les parents et les élèves demandent un plus…

Donc, c’est la faute des parents, qui l’exigent ?

C’est un peu le principe de l’offre et de la demande, surtout ceux qui veulent réussir les examens avec des «flying colours». On a aussi des élèves qui réussissent académiquement sans prendre de leçons particulières.

La pédagogie est ainsi sacrifiée pour privilégier l’argent, les avantages et conditions du métier ?

Si on choisit ce métier par défaut, on n’est pas équipé pédagogiquement pour donner le meilleur de soi-même. Cela aura un impact négatif sur la performance des profs. Aujourd’hui, je ne crois pas qu’un jeune épouse cette profession pour l’argent. Il doit se faire un nom pour dispenser des leçons particulières et avoir la confiance des parents. Si les jeunes n’ont pas la vocation de la profession, qu’ils cherchent ailleurs. Ils seront malheureux et rendront les autres malheureux…


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Lexpress

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