Pourquoi l’Union européenne n’est pas une « dictature de Bruxelles »

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Idées reçues sur l’Europe (6/6). « La Commission européenne, non élue, prend des décisions dans le dos des Français. » Cette accusation portée il y a quelques années par Davide Rachline (RN) pourrait figurer en couverture du petit manuel de l’euroscepticisme, tant on la retrouve dans la bouche des contempteurs de l’Europe de tous bords.

La Commission européenne peut-elle voter une loi même si le Parlement européen s’y oppose ?

Oui

Ça dépend

Non

Je ne sais pas

Pourquoi c’est trompeur

L’idée fort répandue d’une « dictature de Bruxelles » tenue par des « technocrates » est en réalité bien éloignée du fonctionnement réel de l’Union européenne (UE). Si la Commission européenne n’est pas élue, c’est qu’elle fonctionne à la manière d’un gouvernement. Les vingt-huit commissaires européens ne sont pas plus élus que les ministres français : il s’agit de femmes et d’hommes politiques nommés par les vingt-huit Etats européens en fonction de leur sensibilité politique (ainsi, un gouvernement espagnol socialiste nommera un socialiste). Le président de la Commission européenne, équivalent d’un premier ministre, est quant à lui théoriquement choisi dans la famille politique qui a remporté les élections européennes.

La Commission joue avant tout un rôle de moteur, en proposant et en préparant les textes législatifs, qui doivent ensuite être votés par :

  1. le Parlement, élu tous les cinq ans grâce aux élections européennes ;

  2. le Conseil, qui représente les gouvernements élus dans les vingt-huit Etats européens.

Si, avec son pouvoir d’initiative et une administration puissante pour l’épauler, la Commission européenne jouit d’un avantage certain, elle partage donc largement son pouvoir avec les parlementaires et les capitales européennes (eux-mêmes souvent divisés), comme en témoignent ces cinq exemples récents.

1. Le renouvellement du glyphosate

En 2017, l’UE a eu l’occasion de bannir du sol européen le glyphosate, dont la licence arrivait à l’expiration. Cet épisode a donné lieu à un conflit politique féroce au sein de l’Europe, sur fond de bataille scientifique sur la dangerosité de cet herbicide controversé. La Commission européenne, convaincue que le glyphosate ne pose pas de problème pour la santé humaine, a insisté pour renouveler son autorisation pour dix ans supplémentaires (les industriels réclamant quinze ans). Sous la pression d’un Parlement européen inquiet, elle a ensuite proposé entre cinq et sept ans.

Mais la décision finale revenait aux vingt-huit ministres européens. Or, les neuf Etats européens (France en tête) qui réclamaient, au nom du principe de précaution, une interdiction rapide du glyphosate ont été mis en minorité par les dix-huit autres (dont l’Allemagne) : la licence du glyphosate a donc été renouvelée pour cinq ans.

2. La protection des lanceurs d’alerte

La Commission européenne a proposé, en 2018, un texte de loi européen (directive) pour mieux protéger des lanceurs d’alerte. Une initiative pas vraiment spontanée, puisqu’elle faisait suite aux pressions du Conseil de l’Europe, du Parlement européen et de la société civile, inquiets du sort réservé aux personnes qui avaient révélé récemment au public des informations confidentielles au nom de l’intérêt général.

Le débat s’est cristallisé autour de la notion de hiérarchie du signalement, qui impose au lanceur d’alerte de signaler d’abord ses informations en interne et auprès des autorités compétentes avant de se tourner vers le public.

Cette disposition, réclamée par les lobbys des entreprises, était défendue par la Commission européenne et par plusieurs Etats européens (dont la France). Mais elle a été refusée par le Parlement européen, qui y voyait un affaiblissement à la protection des lanceurs d’alerte. Grâce au soutien de plusieurs Etats (dont l’Allemagne), les eurodéputés ont gagné le bras de fer et obtenu un texte plus ambitieux, salué par les ONG, qui a été voté en avril 2019.

3. La protection du secret des affaires

Si la Commission européenne a mis en chantier un projet de loi européenne (directive) sur le secret des affaires, en 2013, c’était d’abord pour répondre à une demande de longue date des entreprises, qui se plaignaient d’une législation insuffisante contre le vol de leurs informations confidentielles.

Ce texte a rapidement suscité l’inquiétude des ONG, qui craignaient que cette nouvelle directive ne soit utilisée pour museler les lanceurs d’alerte et les journalistes qui révèlent des informations dans l’intérêt public. Sensible à leur interpellation, le Parlement européen a imposé des aménagements substantiels au projet de directive, en instaurant des exceptions pour protéger la liberté d’information. Si ces garde-fous étaient insuffisants aux yeux des écologistes et de la gauche radicale, ils ont finalement convaincu une large majorité d’eurodéputés et les Etats européens.

La directive, adoptée définitivement en 2016, a désormais été transposée dans le droit français et commence à s’appliquer.

4. La disparition des frais téléphoniques à l’étranger

L’abolition des frais de « roaming », ces suppléments tarifaires imposés par les opérateurs téléphoniques au sein de l’UE, est une vieille rengaine à Bruxelles : en 2010, la commission Barroso promettait déjà qu’ils disparaîtraient sous cinq ans.

La concrétisation de cet engagement a toutefois rencontré quelques obstacles. La Commission européenne a proposé, en 2013, une élimination progressive de ces frais, d’abord aux seuls appels téléphoniques entrants. Les Etats européens, soucieux de préserver les opérateurs téléphoniques, ont tout fait pour repousser la réforme aux calendes grecques.

Mais c’est finalement le Parlement européen, partisan d’une décision rapide et ambitieuse, qui a obtenu gain de cause, et permis l’élimination totale des frais de roaming depuis juin 2017, dans la limite des comportements « raisonnables » de l’usager (pas plus de quatre mois à l’étranger, plafonds d’utilisation des données mobile, etc.).

5. Les normes antipollution des voitures

La définition des nouvelles normes antipollution de l’industrie automobile a fait l’objet d’un compromis typiquement européen.

La première proposition de la Commission européenne prévoyait une réduction de 30 % des émissions de CO2 des véhicules neufs pour la décennie 2021-2030, sans véritables sanctions à l’encontre des constructeurs en infraction. Les ONG écologistes, qui réclamaient une réduction de 70 % pour rester dans les clous de l’Accord de Paris sur le climat, ont dénoncé un « cadeau au lobby automobile ». Le Parlement européen a, par la suite, proposé le chiffre de 40 %.

C’est à ce moment-là que les capitales européennes se sont divisées. La moitié des Etats-membres (dont les Pays-Bas et la France) ont soutenu les 40 % du Parlement ; l’autre moitié, Allemagne en tête, a défendu mordicus les 30 % de la Commission.

La poire a été finalement coupée en deux, avec le chiffre intermédiaire de 37,5 % – « la limite de ce qui [était] techniquement et économiquement possible », selon le gouvernement allemand.

Quand la Commission européenne décide seule

Les traités européens donnent à la Commission européenne la compétence de décider seule pour un petit nombre de sujets, sans l’aval du Parlement européen et des Etats membres. « Il s’agit de sujets sur lesquels les Etats ont besoin d’un arbitre, car ils ne se font pas confiance entre eux », précise le juriste Renaud Dehousse, président de l’Institut universitaire européen de Florence.

  • La discipline budgétaire :

La Commission peut rappeler à l’ordre les Etats dont le déficit dérape par rapport aux règles de Maastricht. Elle a ainsi contraint l’Italie à réviser son budget en 2018 ; elle avait aussi, à l’inverse, critiqué il y a quelques années les excédents commerciaux et budgétaires de l’Allemagne.

  • Les accords commerciaux :

La Commission a le monopole pour négocier les accords de libre-échange européens depuis 2009, mais elle le fait au nom des Etats européens. Elle a donc besoin de leur aval pour lancer une négociation.

En outre, ces accords, comme le CETA ou le traité UE-Japon, doivent être validés par le Parlement européen (à la majorité) et par les Vingt-Huit (à la majorité qualifiée ou à l’unanimité) avant de pouvoir entrer en vigueur. Enfin, la ratification des Parlements nationaux est nécessaire pour toutes les dispositions qui ne relèvent pas de la compétence européenne (comme les tribunaux d’arbitrage).

La Commission peut s’opposer à des abus de position dominante d’entreprises (elle l’a par exemple fait avec Google et Android) ou condamner les Etats qui leur octroient des aides illégales (Apple a dû rembourser 13 milliards d’euros à l’Irlande pour des avantages fiscaux indus).

Une boulimie législative qui recule

Contrairement à une idée reçue, la Commission européenne n’est pas victime d’un emballement qui la pousserait à s’occuper de toujours plus de sujets. « L’image d’une Commission assoiffée de pouvoir qui veut réglementer tout ce qui bouge est une caricature », confirme le chercheur Renaud Dehousse, de l’Institut universitaire européen de Florence. Dans une étude menée avec Olivier Rozenberg, il a montré que le nombre de « lois » européennes avait singulièrement baissé lors du deuxième mandat de José Manuel Barroso, et que la tendance s’était confirmée sous Jean-Claude Juncker. Le président sortant de la Commission « a poursuivi une inflexion entamée par son prédécesseur, en menant une politique destinée à limiter la production législative », ajoute-t-il. Une stratégie assumée par M. Juncker dès le premier plan d’actions de son mandat : « Les citoyens attendent de l’Union européenne qu’elle imprime un réel changement en ce qui concerne les grands défis économiques et sociaux [et] qu’elle s’immisce moins dans les questions pour lesquelles les Etats membres sont mieux à même d’apporter une réponse adéquate. »

Retrouvez notre série « Idées reçues sur l’Europe »

A l’occasion des élections européennes du 26 mai, l’International Fact-Checking Network (IFCN), réseau international de vérification d’information dont Le Monde est partenaire, a réalisé un sondage pour confronter les idées reçues sur l’Europe des citoyens de plusieurs pays (France, Allemagne, Espagne, Italie, Pologne et Suède).

Et vous, quelles sont vos connaissances et opinions sur l’Europe ? Coïncident-elles avec celles des Français interrogés ? Et avec la réalité ? Vous pourrez le vérifier dans le cadre de notre série d’articles sur :

Maxime Vaudano et Agathe Dahyot (design)



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