Le Cachemire, à feu et à blanc

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Sohrab Hura/Magnum photos

Par Guillaume Delacroix

De cette région de tensions entre l’Inde et le Pakistan, exacerbées par les élections, on ne montre souvent que des images de guerre. Le photographe Sohrab Hura répond par une poésie du réel. Des lignes de fracture comme dissimulées sous un manteau de neige.

Evoquer le Cachemire autrement qu’à travers les imprimés camouflage des uniformes militaires, les barbes des indépendantistes, le sang et les fusils d’assaut. Rendre compte sans parti pris de la complexité politique d’un territoire indien revendiqué, depuis la partition de 1947, par le Pakistan…

Eternelles questions auxquelles Sohrab Hura a choisi de répondre par la poésie visuelle que lui inspirent les paysages enneigés des contreforts de l’Himalaya, qu’il parcourt régulièrement depuis 2014. Quintessence de l’Inde multiculturelle qui dérange tant les nationalistes hindous au pouvoir, ce photographe de 37 ans est originaire pour moitié du Pendjab et pour moitié du Bengale. Né à proximité de Calcutta, il a grandi et étudié l’économie à Delhi et voyage constamment dans tout le pays. Il prétend « rapporter une réalité sans la juger », en interrogeant « ce que saisirait un regard qui resterait inattentif » au spectacle s’offrant à lui.

« Les différentes phases de l’hiver sont comme des couvertures que l’on empile pour oublier la réalité qui se dissimule dessous. » Sohrab Hura

Dans l’inconscient indien, les flocons de neige sont indissociables du Cachemire. Bien qu’ils couvrent d’un manteau bien d’autres contrées du toit du monde, dans l’Himachal Pradesh, l’Uttarakhand ou le Sikkim, leur blanc immaculé offre une métaphore de la façon dont le peuple du Cachemire dissimule pudiquement les lignes de fracture qui le traversent.

« Les différentes phases de l’hiver sont comme des couvertures que l’on empile pour oublier la réalité qui se dissimule dessous », analyse Sohrab Hura. Et lorsque survient la fonte des neiges, une réalité immuable refait surface que les professionnels de la politique ont, cette année encore, caricaturée à l’extrême à la faveur des élections générales qui se déroulent jusqu’au 19 mai dans le pays.

Dans ce contexte, le photographe s’attache à ne pas se départir de son profil d’« outsider ». Traduction : « Je ne suis pas cachemiri et, pour les gens de là-bas, je suis indien, ce qui sous-entend que l’on m’y considère en quelque sorte comme un étranger. » Il se « fiche » d’ailleurs de savoir si le Cachemire appartient à l’Inde ou pas.

Parler de la région en ces termes, pense-t-il, c’est « prendre une photo en noir et blanc », dans un déni absolu des subtilités du terrain. C’est surtout « éluder le seul sujet qui vaille et qui semble n’intéresser personne » : savoir ce que veulent les Cachemiris eux-mêmes, et non les partis représentés à Delhi et à Islamabad.

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Le 14 février, Sohrab Hura se trouvait dans la vallée de Srinagar lorsqu’un camion piégé a foncé sur un convoi militaire indien, tuant une quarantaine de soldats dans le district de Pulwama. Il a vu comment les responsables politiques ont aussitôt été pris dans une spirale incontrôlable et funeste, et comment le premier ministre, Narendra Modi, candidat à sa réélection, a instrumentalisé sa riposte sous forme de frappes aériennes au Pakistan, en vue de flatter la fibre nationaliste de l’électeur. Au lieu de défendre un projet de société, Narendra Modi passera par la suite ses meetings électoraux à se poser en gardien (chowkidar) de la souveraineté indienne sur le Cachemire et de la suprématie de la religion hindoue sur une terre majoritairement musulmane.

Violence et tendresse

Soucieux de garder « la bonne distance » avec ce brouhaha, le photographe, qui voulait, enfant, devenir boxeur jusqu’au jour où il fut sonné par un uppercut, préfère s’appesantir sur « le caractère politique » du paysage hivernal cachemiri, quand ses précédents travaux sur Barwani, localité réputée la plus chaude de l’Inde avec un mercure frôlant les 50 degrés l’été, révélaient, à ses yeux, « la détresse sociale » d’un morceau de territoire enserré dans un pays caractérisé décidément par ses extrêmes, à tous points de vue.

Ses images prétendent en fin de compte restituer le statu quo qui règne au Cachemire, l’une des zones les plus militarisées de la planète, depuis l’établissement, en 1949, d’une ligne de cessez-le-feu entre l’Inde, au sud, et le Pakistan, au nord. Un statu quo illustré par les fruits et légumes, récoltés invariablement au fil des saisons avant d’être écoulés sur tous les marchés du sous-continent. Les tomates éparpillées dans un fossé témoignent alors, d’après Sohrab Hura, de la beauté paradoxale d’une région mêlant intimement « violence et tendresse ».

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