« Il n’est d’espoir aussi solide que l’Europe »

0
154

[ad_1]

L’écrivain espagnol fustige, dans une tribune au « Monde », le repli sur soi qui nous a fait perdre de vue ce qu’est l’Union européenne : « la région du monde où, malgré tout, les citoyens jouissent de droits tangibles qui n’existent nulle part ailleurs ».

Publié aujourd’hui à 06h00 Temps de Lecture 7 min.

Article réservé aux abonnés

L’écrivain espagnol Antonio Munoz Molina.
L’écrivain espagnol Antonio Munoz Molina. Yann Legendre

Tribune. Je me rappelle quand je n’étais pas européen. Je me rappelle m’être senti enfermé dans un pays qui semblait en marge du monde ; avoir senti que j’étais né avec une malchance ou un handicap qui n’existaient pas au-delà de la frontière nord de mon pays ; avoir désiré comme un rêve chimérique ce qui, de l’autre côté de cette frontière et tout du long d’un continent, était la vie normale : la liberté de se déplacer ici et là, de lire ce qu’on avait envie, et de voir des films, de choisir même ses représentants politiques et de leur demander des comptes sur leur action.

Je me rappelle avoir vécu une délégation de vie, une vie hypothétique qui n’était pas là où je vivais mais loin, toujours très loin, dans les pays où l’on publiait le plus normalement du monde les livres qui nous étaient interdits, où dans les rues pouvaient flotter au vent des banderoles et des drapeaux, ce qui, dans mon pays, aurait conduit en prison celui qui aurait osé les brandir.

Je me rappelle avoir atteint pour la première fois la frontière française à bord d’un train de nuit, être descendu du train dans l’obscurité et le froid, avoir présenté mon passeport, le premier que j’utilisais dans ma vie, avoir attendu, un peu effrayé, tandis que le gendarme l’examinait et m’observait, moi.

Bien des années après, en direction de Perpignan, dans un train qui ne s’arrêtait plus à la frontière, je me suis rappelé ce premier voyage que j’ai fait, en voyant fugacement par la fenêtre le nom de la gare, Portbou. Mais mon souvenir personnel se trouvait presque effacé par l’éloignement du temps et parce qu’une autre image, bien plus puissante, s’y superposait, un autre souvenir, qui m’est presque aussi personnel bien qu’il n’appartienne pas littéralement à ma vie, celui de Walter Benjamin, qui mit fin à la sienne dans cette même bourgade. Le gendarme qui examinait mon passeport m’avait regardé avec l’arrogance instinctive de celui qui possède une dose minime, mais substantielle, de pouvoir, celui d’ouvrir ou de fermer une frontière. C’est cette frontière fermée et la peur d’être livré à la Gestapo qui poussèrent Walter Benjamin à s’ôter la vie justement là, à cet endroit.

Le retour des frontières

Les frontières tuent. Les frontières de l’Europe tenaient les jeunes Espagnols de ma génération à l’écart de la liberté qui bouillonnait au cœur du continent. Les frontières qui aujourd’hui n’existent plus et que nous traversons à toute vitesse sans y prêter attention, à moins de nous fixer un moment sur un nom qui éclaire comme une étincelle la mémoire, pourraient être rétablies, avec leur terrible décor de barrières, de barbelés et de miradors.

[ad_2]

Source link

Have something to say? Leave a comment: