« Pour échapper au piège de la dette, la Tunisie doit changer de moteur économique »

0
32

[ad_1]

Pour ne rien manquer de l’actualité africaine, inscrivez-vous à la newsletter du « Monde Afrique » depuis ce lien. Chaque samedi à 6 heures, retrouvez une semaine d’actualité et de débats traitée par la rédaction du « Monde Afrique ».

Autrefois florissant, le secteur tunisien du tourisme a beaucoup souffert de la crise sanitaire, comme ici à l’île de Djerba, en juillet 2020.

Lourdement endettée, la Tunisie est en pleine négociation avec le Fond monétaire international (FMI) pour un prêt de 4 milliards de dollars. C’est la quatrième fois en une décennie que le pays sollicite une aide financière de l’institution, alors que les effets de la pandémie du Covid-19 pèsent lourdement sur une économie déjà fragilisée par des années de morosité.

Lire aussi Le FMI se dit prêt à accompagner la Tunisie dans ses réformes économiques

Fadhel Kaboub est professeur associé d’économie à l’université de Denison dans l’Ohio, aux Etats-Unis, et président du groupe de réflexion Global Institute for Sustainable Prosperity. Ce spécialiste des politiques monétaires et budgétaires dans le monde arabe estime que le problème de la dette tunisienne est structurel et que les recours au FMI n’offrent que des solutions de court terme.

La Tunisie négocie un programme d’aide avec le FMI. Le pays risque-t-il le défaut de paiement ?

Fadhel Kaboub Oui. C’est notre dette extérieure, libellée en devises étrangères – soit 30 milliards de dollars – qui nous pose problème. Pour la rembourser, il nous faut puiser dans nos réserves de change, alimentées via l’export, le tourisme, l’investissement étranger ou la diaspora avec les « remittances » [transferts de fonds des travailleurs à l’étranger].

Nous avons déjà essayé de miser sur ces recettes et le constat est simple : nous n’en avons pas assez, d’où le recours incessant à l’emprunt, qui sert finalement en partie à rembourser d’autres prêts. C’est un cercle vicieux. Nous ne pouvons même plus nous reposer sur certains secteurs autrefois florissants comme le tourisme. Ils ont montré leur limite en période de pandémie.

Aujourd’hui la dette publique dépasse les 100 % du PIB et c’est la quatrième fois en dix ans que la Tunisie demande l’aide du FMI. Pourquoi le pays n’arrive-t-il pas à juguler son endettement ?

Nous devons importer beaucoup de produits alimentaires faute de souveraineté dans ce domaine. C’est la même chose pour l’énergie et nous importons aussi beaucoup de produits à haute valeur ajoutée pour faire fonctionner nos industries, ainsi que de l’équipement high-tech comme les smartphones et les ordinateurs.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi « Les acquis démocratiques en Tunisie pourraient s’effondrer du fait de la crise provoquée par le Covid-19 »

En retour, nous exportons des produits à faible valeur ajoutée comme l’huile d’olive, le textile, les câbles électriques ou le phosphate. Tout cela crée un déséquilibre structurel de la balance commerciale et fait pression sur la valeur de la monnaie. Or, plus la valeur du dinar baisse face à l’euro et au dollar, plus nous importons à un coût élevé et plus l’inflation augmente. La hausse des prix pèse aussi sur le pouvoir d’achat des Tunisiens.

Malheureusement, dans les négociations actuelles entre le FMI et le gouvernement tunisien, il n’y a pas vraiment de proposition pour résoudre ces problèmes d’ordre structurel. Nous sommes plutôt dans des solutions de court terme.

A quoi ont servi les prêts contractés par la Tunisie jusqu’à présent ?

Commençons par évacuer un malentendu, selon moi très problématique. On entend souvent que nous devons emprunter au FMI pour pouvoir financer le budget du gouvernement. Autrement dit, selon certains politiques, pour pouvoir payer les salaires des fonctionnaires. Or, ces salaires ne sont pas payés en dollars, mais en dinars tunisiens.

Les prêts contractés auprès du FMI ne servent donc pas à cela. Ils permettent surtout au ministère des finances et à la Banque centrale de défendre efficacement la valeur du dinar, sous pression, en raison des importations massives de denrées alimentaires, d’énergie et du déficit commercial structurel dont j’ai parlé.

Un élément délicat de cette négociation avec les bailleurs concerne justement la masse salariale de la fonction publique. Elle représente aujourd’hui près de 17 % du PIB…

Un climat de grande morosité a régné sur l’économie tunisienne ces dix dernières années. La baisse des investissements directs étrangers, la perte des recettes touristiques en devises et des recettes d’exportation en général, ont beaucoup pesé sur le pays.

Après la révolution, le secteur privé n’était tout simplement pas capable d’absorber les nouveaux venus sur le marché du travail, notamment cette jeunesse frustrée qui s’est soulevée en 2011. On peut comprendre la pression croissante qui s’est alors exercée sur le gouvernement pour créer des emplois. Malheureusement, cette solution a été utilisée comme un remède de court terme, sans vision stratégique.

Lire aussi En Tunisie, l’Aïd el-Fitr confiné révèle les fractures économiques

Aujourd’hui, le FMI demande de restreindre la masse salariale du secteur public, mais une telle mesure risque d’être socialement intenable, surtout si elle arrive en même temps que la suppression des subventions alimentaires et énergétiques et d’autres dépenses publiques consacrées aux services sociaux, mentionné dans le plan gouvernemental [proposé au FMI en échange du prêt].

Y a-t-il une alternative à l’endettement extérieur en Tunisie ?

Même si nous revenons au même niveau de tourisme, au même niveau d’investissement direct que lors de nos meilleures années, ce ne sera pas suffisant. Pour échapper au piège de la dette et renforcer la résistance aux chocs extérieurs, la Tunisie ne doit pas faire redémarrer le même moteur, mais en changer complètement. Il faut investir dans la sécurité alimentaire via une agriculture durable, les énergies renouvelables et se spécialiser dans les industries produisant des biens à haute valeur ajoutée.

Les crispations politiques incessantes depuis la révolution ne sont-elles pas l’une des explications de la crise ?

Nous avons eu des acquis avec la révolution. Mais la grande faiblesse de notre pays, du gouvernement, des partis politiques et de la société civile, c’est de ne pas avoir repensé un modèle économique qui a été synonyme de corruption, d’inégalités et de chômage de masse.

L’inflation, par exemple, est largement liée aux monopoles détenus par certains acteurs sur l’importation dans les secteurs de l’alimentation, de la construction ou des produits de grande consommation. Ils fixent les prix sans forcément s’aligner sur les cours mondiaux quand ceux-ci descendent.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi En Tunisie, les nouveaux visages de la colère

Nous sommes là face à un problème de corruption et d’abus de pouvoir, peu sanctionné par le gouvernement tunisien. Notre économie n’a pas été suffisamment démocratisée en dix ans pour permettre plus de concurrence intérieure, en particulier dans certains domaines stratégiques.

Jusqu’à aujourd’hui, nous n’avons pas eu de débat sur notre modèle économique et le fait d’aller au FMI en est la preuve. Cela signifie que nous allons continuer à répéter les mêmes erreurs. Le pays est au fond du trou. Dans une telle situation, la première chose à faire est d’arrêter de creuser. Or, en Tunisie, au lieu de réfléchir à comment en sortir, nous creusons plus vite.

[ad_2]

Source link

Have something to say? Leave a comment: