Manifestation devant les bureau de la Sécurité sociale: «Nou pa bann mandian!»

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Marina Rafael était parmi les manifestants devant les grilles de l’Astor Court.

Marina Rafael était parmi les manifestants devant les grilles de l’Astor Court.

«Mendiants.» «Vampires.» Des «surnoms» dont ont été affublées les centaines de personnes qui se sont rendues dans divers bureaux de la sécurité sociale, tout au long de la semaine, pour réclamer une compensation dans le sillage des inondations du mardi 9 avril. Depuis, la polémique enfle, les commentaires racistes fusent sur les réseaux sociaux. Pourquoi certains sinistrés ont-ils reçu Rs 6 000 et Rs 3 000, d’autres Rs 182 et d’autres rien ? Pourquoi avoir attendu plus de deux semaines pour demander l’argent ? Réponses.

Astor court…

Vendredi 26 avril, midi, Port-Louis. Les costumes trois-pièces, les robes griffées et celles des avocats côtoient les ripped jeans et les jupes «asté dan lafwar» ou chez Roxy. Les talonnettes des chaussures pointues et vernies des hommes d’affaires marchent au milieu des savates Quicksilver ou Dodo, c’est selon. À la rue Lislet Geoffrey, il y a plus d’animation que d’habitude.

Les restaurants sont bondés à l’heure du déjeuner. Devant les grilles de l’Astor Court aussi on a faim. Au menu, merveille-chatini ou roti soso. Au cinquième jour des «manifestations», il y a une cinquantaine de personnes à peine, certains en ont eu assez d’attendre devant les grilles fermées.

Affalée sur le trottoir, la tête posée sur les genoux d’une amie, son collant troué à l’air, Marina Rafael et sa flamboyante chevelure. Sa bouche lance des fleurs. «Hein, filmé mwa la, mo pé koz ar zounalis.» Le ton de bariton est donné.

Pas besoin de mégaphone, elle a ses cordes vocales. La femme de 49 ans, qui habite Résidence La Cure, est venue chercher un remède à sa misère. Quelques belles insultes adressées à qui veut l’entendre – surtout aux policiers et au gouvernement – plus tard, elle se confie, entre rires, pleurs et zouré mama.

«(…) Pa vinn fer loss isi…»

Sa maison, qu’elle a construite – ou plutôt bricolée – sur un terrain qui ne lui appartient pas, fuit. «Mo pit latrinn tou inn gagn bezé kan inn gagn inondasion. Mo bann meb, mo rasion tousala.» Pourquoi avoir attendu tout ce temps pour réclamer une compensation ? «Eoula ! Mo ti al station Terre-Rouge landemin, savé dir merkredi 10 avril, apré inondasion. Mé zonn pous mwa, inn dir mwa pa vinn fer loss isi…»*

Elle s’est résignée. Momentanément. «Lerla monn tann dir éna dimounn Fond-du-Sac inn gagné. Mo pa pe met gro poumon, mé nou ousi nou gagn drwa gagné non ? Samem lerla nou’nn désid pou vinn démandé.» S’attendelle à recevoir Rs 6 000, aussi ? (voir encadré) «Bé kifer non? Si éna inn gagné… Mwa seki donn mwa mo pou pran, mo bizin kasla. Mo bizin ranz mo pit latrinn.»

Elle lance un regard à la ronde, fusille, mitraille un policier du regard. «Hayaaaa mo dir twa…» Marina a souvent affaire à la police et à ceux qui travaillent à la municipalité, ils la connaissent. Pour gagner sa vie, elle vend des légumes qu’elle achète à des encanteurs. «Ena fwa mo met zanon, pena kas pou payé. Mo dwa Rs 50-60 000 la. Ena fwa kan mo trouv dimounn mo bizin sové, kasiet, parski péna kas pou donn zot.»

Justement, pourquoi n’a-t-elle pas travaillé durant toute la semaine au lieu de venir se heurter à un mur, ici ? «Mo névé ek mo nies pe vann mo bann légim touzour-la. Kan fini isi mo pou al zwenn zot.»

Marina regarde ses orteils badigeonnés d’un vernis bleu électrique. Elle boude, peste contre son sort et la Terre entière. Et contre les hommes. «Mo ti kontan enn boug, linn kit mwa ek mo piti linn alé kan mo ti éna 20 an.» Plusieurs peines de cœur plus tard, elle a décidé d’envoyer paître la gent masculine. «Momem zom, momem fam. Mwa ki roul mo lakwizinn, péna personn.» À part un fils, qui «bat-bat béton», parfois.

Qu’a-t-elle à répondre à ceux qui, sur Facebook , traitent ceux qui demandent une compensation de «vampires», de «mendiants» ? Sa poitrine se soulève, elle éclate en sanglots, même pas feints, Marina la dure à cuir est à fleur de peau. «Monn fer boukou erer dan mo lavi. Mé mo bizin kas pou viv. Ou krwar mo kontan pou vinn tal lamé isi? Séki ziz nou pa koné ki nou viv. Sakenn so sans. Mo espéré dan enn lot lavi pa zot ki dan mo plas…»

Marina se relève soudainement. Il y a du grabuge à côté, la foule s’emballe devant les grilles. «Atann mo vini la!» Il est 14 heures environ, des policiers en béret annoncent que l’enregistrement est clos, qu’il faudra repasser plus tard, lundi peut-être. Marina soulève son T-Shirt, leur montre son ventre. «Hein, to pé trouv mwa gro vant la, pa akoz mo manz tro boukou sa, akoz mo ena lerni…»

Les Rs 6 000 de la discorde

À la sortie du Conseil des ministres, vendredi, le ministre de la Sécurité sociale, Etienne Sinatambou, a donné quelques chiffres. Il a fait savoir que le gouvernement a déjà déboursé Rs 35 millions en termes de paiements. «C’est l’argent des contribuables. Le gouvernement vote plus de 24 milliards pour venir en aide aux gens jugés vulnérables.» Le mardi 23 avril, au Parlement, il est également revenu sur le montant des aides accordées dans le sillage des inondations. Quid des Rs 6 000 de la discorde ? Il a expliqué que la somme puisée du Prime Minister’s Relief Fund – Rs 6 000 par adulte et Rs 3 000 par enfant – est accordée aux victimes qui ont subi des «severe structural damages and consequential material lost». Comment définit-on ces gros dégâts matériels ? Nous n’aurons pas de réponse à cette question, pour l’instant, nous dit-on du côté du ministère.

Renganaden Seeneevassen…

Ils sont environ 300. Bravent le soleil pour le cinquième jour d’affilée. Font le poireau devant le bureau de la sécurité sociale au bâtiment Renganaden Seeneevassen. Des adultes, des bébés, des enfants, des adolescents, à l’affût de la moindre information quant au paiement d’une tant espérée compensation.

La détermination s’étiole. La foule n’est pas bruyante. De petits groupes se forment çà et là, on parle, on s’interroge, on s’énerve, les cigarettes se fument à plusieurs. Certains sont adossés aux murs, d’autres, gagnés par la fatigue, sont assis par terre. Les bouteilles d’eau sont une denrée rare. Ceux qui viennent de loin pensent déjà au moment où il faudra retourner à la maison, bredouilles.

Quelques policiers sont sur place. Comme les manifestants, ils sont fatigués et surveillent la foule du coin de l’œil. La chaleur a eu raison de leur énergie. «Zis dir nou si pou payé ou pa. Pa fer dimounn kouma lisien», lance soudain une voix. Il n’en faut plus pour que la foule revive. D’un seul coup, on se regroupe, le mot d’ordre pour former un barrage humain au niveau de la rue de l’Intendance surgit de nulle part.

Les voitures sont immobilisées. Un van de la Special Supporting Unit (SSU) débarque dare-dare, les policiers, casques vissés sur la tête et matraques en main, descendent; des hommes, des femmes, pas hostiles pour un sou. Ils parlementent avec les sinistrés, certains hommes en bleu sont des voisins. «Mo konn bann-la, nou sorti mem landrwa. Mo pé dir zot al lakaz», affirme un jeune policier, avec le sourire en bonus.

La méfiance s’installe quand même. «Yer (NdlR, jeudi) zot inn baté, fer tansion zordi zot donn kout gaz», lance-t-on de part et d’autre. Cela n’arrivera pas. Policiers et manifestants se sont tellement côtoyés qu’ils commencent à se connaître, on se serre la main ici et là. L’un d’eux s’aventure même à dire aux sinistrés que le paiement sera effectué lundi.

Elle l’espère en tout cas. Cherlene Fin a 21 ans. Assise sur le trottoir, elle est entourée de ses voisins. C’est qu’en ce moment, la jeune femme a besoin de soutien. Son épaisse chevelure est tirée en un chignon serré. Son haut laisse apercevoir ses nombreux tatouages, sur les bras et les épaules. Mais il ne fait pas se fier aux apparences. Cherlene Fin a d’autres soucis. Dans son sac qu’elle porte en bandoulière, il y a à peine de quoi payer le trajet du retour en bus, et elle ne sait pas si le ministère lui donnera ses allocations…

Même enceinte, elle se bat

Son premier bébé naîtra dans quatre mois. Les allers-retours incessants et la chaleur étouffante de Port-Louis rendent la situation encore intenable. Même assise, elle a l’air fatiguée. Les traits tirés, la jeune femme raconte qu’elle est dans la capitale depuis le lundi 22 avril. Elle a même passé une nuit sur place. Sa grossesse ne l’empêche pas de se battre pour «sa» compensation. Dans son cas, les Rs 182 promises par le ministère sonnent comme un soulagement.

Dans sa voix, de la lassitude. Son histoire, elle l’a déjà racontée tant de fois mais cela ne lui a rien rapporté. Lors des inondations, cette habitante de Cassis a tout perdu. Téléviseur, électroménagers, vêtements, meubles. «Mem komision ti asté inn gagn dilo.» 

Contrairement à ce que des internautes affirment sur Facebook, elle n’a pas attendu la dernière minute pour se bouger. «Je suis partie au poste de police peu après les dégâts. Les policiers sont venus bien après, lorsque tout était sec. Bé mo pa ti pou res dan malang ziska zot désid pou vini !» Quant à d’autres sinistrés, ils affirment que les policiers ne sont jamais venus chez eux pour effectuer un constat. De toute façon, maintenant il est trop tard, l’eau est partie…

Cherlene explique que lorsqu’elle s’est rendue au poste de police d’Abercrombie, les policiers lui ont dit qu’il n’y a plus de formulaire, chose bizarre car à chaque grosse pluie, elle doit faire face à la même situation et elle n’avait jamais eu droit à ce type de réponse auparavant. Après avoir fait le va-et-vient entre différents postes de police, elle a décidé, avec les autres sinistrés de sa région, de se rendre à Port-Louis devant les locaux de la sécurité sociale. Ce mouvement, dit-elle, est né d’un ras-le-bol des sinistrés, que l’on balade, que l’on mène en bateau. «Ena inn gagn Rs 6 000. Nou dakor nou. Tou Morisien dan problem bizin gagn led. Mé nou kifer pé tardé pou payé nou? Gouvernman inn dir pou doné non? Be doné!»

Elle se frotte le ventre. «Lindi, mo’nn dormi divan Astor Court pou mo kapav resi ranpli form mardi.» Lorsqu’elle a finalement pu compléter son dossier, des officiers lui auraient dit qu’elle recevrait sa compensation vendredi. Mais le jour venu, elle n’a eu droit qu’à des grilles fermées.

En plus de devoir braver la chaleur et les fonctionnaires qui restent muets, Cherlene Fin doit également face à des torrents de commentaires racistes sur Facebook. «Bann ki pé kritiké-la, zot ena zot. Zot dan bien. Si nou ti dan bien, nou pa ti pou la….»

La conversation passionne. Encore une fois, la foule grogne. Sarah Jane, 32 ans, se joint à la mêlée. «Ena pé dir nou batiara, nou pa kontan travay. Tou travay nou fer nou ! Mason ki ranz lakaz !» Elle rajoute qu’elle a vu, toujours sur les réseaux, que certains ironisaient en disant qu’ils ont besoin de femmes de ménage et de jardiniers. Pour Sarah Jane, ces paroles blessantes sont loin d’être drôles. «Zot dir mwa vini mo alé mwa. Mo pa kontan tal lamé, mé si tou dimounn ti gagn mem tretman, nou pa ti pou bizin la. Nou pa bann mandian…»

* Nous n’avons, forcément, pas interrogé tous ceux qui veulent une compensation. Il y a sans doute des cas sincères, des gens qu’il faut aider équitablement et les autres, qu’il faut identifier objectivement. Pas simple, mais il est impératif de bien faire le travail !

Les procédures

Pour bénéficier des allocations, il faut se rendre au bureau de la sécurité sociale, s’enregistrer, remplir des formulaires. Ce sont les policiers, ensuite, qui visitent les lieux pour effectuer un constat avant que le déboursement ne soit effectué, sur une base de «mérite». Qu’en est-il du nombre de policiers déployés ? «C’est le National Disaster Risk Reduction and Management Centre qui se charge de nous dire s’il faut envoyer plus de policiers, d’officiers de la SSU et tout», explique l’inspecteur Shiva Coothen de la cellule de communication de la police.

Pourquoi Rs 182 ? 

Pourquoi Rs 182 ? Pourquoi pas Rs 200 ou Rs 150, voire quelque autre chiffre «rond» ? Le montant de la «flood allowance» est, en fait, définie par le «First Schedule Part 1 of the Social Aids Regulations» de 1984. «C’est le montant que l’on estime ‘décent’ pour qu’une personne puisse se nourrir correctement, sur une base journalière», affirme-t-on du côté de la police.
 

Pas que Fond-du-Sac et Cottage 

À lundi, Rs 21 130 000 avaient été déboursées du Prime Minister’s Relief Fund pour aider 1 230 familles, venant des quatre coins de l’île. Hormis celles de Fond-du-Sac et de Cottage, 92 sont issues de Ste.-Croix, Roche-Bois, Résidence La Cure et Tranquebar.


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Lexpress

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