pourquoi les juges ne font pas appliquer la loi ? – Jeune Afrique

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Malgré l’entrée en application d’une loi contre les violences faites aux femmes, les mentalités archaïques et conservatrices dont font souvent preuve les magistrats perpétuent l’impunité.


Elle s’appelait Refka Cherni, avait 26 ans et toute une vie à construire. Cinq coups de feu tirés par son mari ont mis fin, le 9 mai, aux rêves de cette jeune femme de Aïn Boukadeh, un douar de la ville du Kef (nord-ouest).

Avant d’être victime de son époux, agent de la garde nationale qui a utilisé son arme de service pour en finir avec une querelle conjugale, cette mère de trois enfants est aussi victime de ceux qui ont refusé de l’entendre. Refka, simple jeune femme anonyme, subissait depuis un certain temps des violences conjugales, tout comme le tiers des Tunisiennes. Elle avait tenté de se mettre sous la protection de la justice en déposant plainte trois jours avant d’être abattue à bout portant.

« Bien qu’elle ait présenté un certificat médical et que l’agresseur soit un agent des forces de sécurité, le substitut du Procureur de permanence n’avait pas jugé utile de l’arrêter », témoigne Karima Brini, présidente de l’Association femme et citoyenneté d’El Kef.

Pourtant, depuis 2017, l’entrée en application de la loi 58/17 contre les violences faites aux femmes est un outil de protection accessible à toutes, qu’aucun intervenant de la police et de la justice n’ignore. Mieux, une brigade spécialisée comprenant des agents féminins est dédiée, dans chaque délégation, au suivi des cas. Refka n’a pas bénéficié du dispositif.

Mentalités archaïques et conservatrices

Mais toutes les lois du monde ne feront pas changer des mentalités archaïques et conservatrices dont font souvent preuve les magistrats. La loi contre les violences faites aux femmes a dérangé leur ordre établi : celui d’un monde patriarcal et machiste où il ne faut surtout pas toucher à l’unité de la famille quitte à ce que la femme taise les maltraitances.

Comme si l’épouse, la mère ou la sœur devaient se sacrifier et être complices par leur silence de l’omerta qui accompagne les violences familiales dont elles sont victimes.

Les premières à faire le lit de l’indicible et à rendre la tragédie possible sont les femmes elles-mêmes

Les premières à faire le lit de l’indicible et à rendre la tragédie possible sont les femmes elles-mêmes. Avec un aplomb incroyable, certaines prônent sur les réseaux sociaux l’obéissance au mari et fustigent celles qui ne comprennent pas que le mâle est roi et que l’agression d’un époux est un acte d’amour, voire bienveillant. Le « qui aime bien, châtie bien » a encore de l’avenir auprès de celles qui ont aussi un rôle éducatif auprès des plus jeunes générations.

C’est sur ce substrat, où les valeurs sont biaisées, que la société perd la boussole à vouloir juger le bien et le mal. Pourtant, ce n’est pas ce qui lui est demandé. Certains s’affolent et sont gênés à l’idée de condamner une pratique qui leur semble relever d’une coutume ancestrale, légitimée par le temps.

Les magistrats, les juges instructeurs, la police et plus généralement tous les représentants de la loi sont enfants de cette société qui use et abuse du déni pour, surtout, ne pas reconnaître qu’elle est malade et que sa pathologie est transmissible et potentiellement mortelle.

Une maladie inavouable masquée par l’émancipation de la femme qui est, au demeurant, effective dans les textes de loi. Les plus retors objecteront que les Tunisiennes ont bien de la chance d’être protégées par le Code du statut personnel (CSP). Mais en 65 ans d’existence, il aurait besoin de faire peau neuve en matière d’égalité et de droits.

État de fait

Refka est victime de cette ambivalence qui n’est plus cachée par le bon sens, comme elle l’a été longtemps en Tunisie. Toutes les Tunisiennes, le sont, qui plus qui moins.

En cause, un conservatisme nourri de préconçus religieux par des pseudos exégètes qui dispensent dans les médias, des poncifs et appellent à la violence sans être contredits. Leurs propos se déclinent jusque dans les scénarios des feuilletons de ramadan, dont les héroïnes justifient le viol et les agressions subies par les femmes.

Il faudra bien, tôt ou tard, mettre à plat ces questions en lien avec l’islam et la société qui concernent directement 50 % de la population

Cet état de fait est de l’ordre du quotidien et ne dérange personne. Au contraire, certains estiment qu’il s’agit de liberté d’expression, un aspect encourageant d’une démocratie qui s’installe. Nul ne s’élève pour dénoncer ces réflexions de plus en plus répandues, personne ne pointe l’absurde, ne s’insurge contre une approche erronée de la religion et encore moins contre le fait que l’on absout ainsi des crimes. Il faudra bien, tôt ou tard, mettre à plat ces questions en lien avec l’islam et la société qui concernent directement les Tunisiennes, soit 50 % de la population.

Petits arrangements

Est-ce à partir de ces référents rétrogrades que, trop souvent, les magistrats ne prennent pas en compte les plaintes de femmes ayants subi des violences ? En tout cas, ils semblent confondre violences, qui entraînent parfois la mort, et accident domestique. L’essentiel est de taire, de diminuer l’importance des faits, de les réduire à un simple incident. Que craignent-ils en faisant simplement appliquer la loi ? Des questions auxquelles, aucun d’entre eux ne répond, tant elles leurs paraissent inconvenantes.

Le sang de Refka n’a pas encore séché qu’ils arguent déjà qu’elle s’était réconciliée avec son mari et que seule la paix des ménages compte. Aucun n’a la décence de se taire d’autant que le meurtrier de Refka est de la maison, un agent de la garde nationale qui a fait usage de son arme de service. Aux idées toutes faites s’ajoute le corporatisme qui rend les représentants de l’appareil judiciaire du Kef, complices d’un meurtre.

De fait, faute d’une autorité et d’une volonté politique, les petits arrangements entre amis sont de mise surtout qu’ils ont les coudées franches ; le système tolère les dérives et leur assure l’impunité. Et après tout pourquoi s’indigner ? Lorsqu’une femme est battue ou abattue, il n’y a pas mort d’homme.



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JeuneAfrique

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