Une note « secret-défense » détaille l’emploi des armes françaises au Yémen

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Vue de Sanaa après un bombardement aérien de la coalition menée par les Saoudiens, le 10 avril 2019.
Vue de Sanaa après un bombardement aérien de la coalition menée par les Saoudiens, le 10 avril 2019. Hani Mohammed / AP

La position française est-elle encore tenable dans la guerre au Yémen ? Pour avoir décidé de continuer de livrer depuis 2015 des armes à l’Arabie saoudite et aux Emirats arabes unis (EAU), les deux principaux acteurs de la coalition arabe engagée contre les rebelles houthistes dans le sanglant conflit yéménite, Paris se trouve soupçonné de participer à une guerre sale. Un collectif de journalistes français, Disclose, accuse ainsi la France de « mensonge d’Etat », lundi 15 avril. Le collectif conteste l’affirmation du gouvernement selon laquelle les matériels français n’auraient que des fonctions « défensives ». Il se fonde sur une note de la Direction du renseignement militaire (DRM) d’octobre 2018 évaluant l’action de la coalition et détaillant le rôle des armements acquis par les protagonistes.

La note, frappée du « secret-défense spécial France », un des plus hauts niveaux de classification, a été établie par la DRM pour le conseil restreint du 3 octobre 2018 à l’Elysée. A l’époque, la coalition arabe s’est lancée dans une nouvelle phase de son opération « Victoire dorée », et n’obtient guère de résultats sur le terrain. Le renseignement militaire français estime que malgré ses déclarations volontaristes, elle n’est pas en mesure de reprendre le port d’Hodeida, attaqué depuis juin.

La note renforce la position de l’exécutif en affirmant qu’« aucun élément ne permet de conclure à la présence de matériel français sur les fronts actifs ».

A Paris, la situation est scrutée, car frappes et blocus impliquent des matériels français. François Hollande, puis Emmanuel Macron, ont décidé de continuer d’honorer les livraisons d’armes scellées avant le déclenchement du conflit pour ses deux « partenaires stratégiques » que sont l’Arabie et les EAU. Les livraisons se poursuivent, officiellement avec « une vigilance renforcée », sous le filtre néanmoins opaque de la Commission interministérielle d’exportation des matériels de guerre qui dépend de Matignon. Le seul bilan des frappes aériennes depuis 2015 témoigne de l’ampleur de l’enjeu : selon la DRM, 150 000 missions aériennes de tous types ont été menées par la coalition arabe dont 24 000 frappes – 6 000 en 2018.

La note renforce la position de l’exécutif en affirmant qu’« aucun élément ne permet de conclure à la présence de matériel français sur les fronts actifs ». Mais dans le détail, la DRM dépeint une réalité beaucoup moins nette.

35 civils morts au cours de 52 bombardements

Ses cartes estiment à près de 437 000 personnes la « population potentiellement concernée par de possibles frappes » de l’artillerie de la coalition, dont font notamment partie les canons français Caesar, sur trois zones frontalières entre l’Arabie et le Yémen. Disclose précise qu’en croisant ces données avec celles de l’ONG américaine Acled, on peut établir que 35 civils sont morts au cours de 52 bombardements entre mars 2016 et décembre 2018 dans le champ d’action des Caesar français. Plusieurs localités, dans lesquelles des sources yéménites ont directement constaté des victimes, sont concernées en 2018. C’est, par exemple, le cas du village de Bani Faid dans le district de Midi, à l’ouest, où deux enfants sont morts. Ou le cas de la ville de Hard dans laquelle trois habitants d’une maison touchée ont perdu la vie.

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L’engagement militaire saoudien, « principalement aérien », consiste depuis mars 2015 en une « campagne de frappes massives et continues contre les territoires tenus par la rébellion houthiste ». Soit en moyenne 120 sorties par jour, depuis les bases de Kamis Mushat et Taif, avec des avions américains (F15S) et européens (Tornados et Typhoon). Ils n’utilisent pas de munitions françaises mais les bombes « pourraient » selon la DRM être guidées par des nacelles françaises Damoclès. L’aviation saoudienne bénéficie d’un soutien américain en matière de ciblage rappelle la DRM, mais l’appui aérien rapproché est « mal maîtrisé », autrement dit susceptible de causer des dégâts collatéraux.

A terre, Ryad sécurise sa frontière, mais, – et cela est qualifié « d’objectif inédit » par la DRM en octobre 2018 –, souhaite aussi « progresser en territoire houthiste ». Depuis juillet, les Saoudiens tentent de pénétrer les positions houthistes « en direction de Baqim, Munabbeh, Razeh et Haradh afin d’ouvrir la voie à une hypothétique prise de Sadah ». La note précise : « A ce jour, aucun matériel d’origine française appartenant aux forces saoudiennes n’a été observé dans le cadre des opérations saoudiennes et loyalistes en territoire yéménite. »

« Non employés au Yémen »

Quant aux unités blindées, un lourd dispositif est en place, avec cinq brigades de l’armée de terre et deux de la garde nationale, entre Jizan et al Wudayah. Soit de 11 à 16 escadrons déployés en permanence du côté saoudien de la frontière avec la présence observée de 300 chars. Auxquels s’ajoutent 28 batteries d’artillerie d’une portée de 18 à 42 km déployées d’est en ouest entre al Hatirah et al Wudayah, des canons américains et français.

« Un bataillon supplémentaire de canons automoteurs Caesar avait été déployé à la frontière saoudo-yéménite, côté saoudien, portant à 48 le nombre de Caesar dans cette zone. Une brigade de la garde nationale aurait également été envoyée en renfort à la frontière. La DRM n’est cependant pas en mesure d’évaluer de manière précise le dispositif saoudien actuel à la frontière du fait d’un manque de capteurs dans la zone. »

Ces batteries effectuent des tirs de barrages contre les assauts rebelles, mais « elles appuient également les troupes loyalistes, épaulées par les forces armées saoudiennes, dans leur progression en territoire yéménite ». Et la DRM indique ne pas être « en mesure de localiser précisément les pièces d’artillerie saoudienne à la frontière en septembre 2018 ».

La note dresse aussi une liste de matériels vendus « non employés au Yemen » : blindés AMX10 et 30, radars Cobra, obus et missiles.

Paris agit de façon « responsable et fiable »

Côté émirati, l’aviation est beaucoup plus compétente – au standard de l’OTAN, selon la DRM. Elle utilise des Mirage 2 000 avec des nacelles françaises de désignation (Damoclès). Et opère des tankers multirôle A330. L’engagement terrestre fait des EAU « le premier contributeur terrestre de la coalition arabe » avec 1 000 hommes, 400 forces spéciales et des contractuels. Les forces émiraties coordonnent les opérations terrestres des forces loyalistes sur la côte ouest en direction du port d’Hodeida. Port assiégé : une corvette émirienne Bayunah d’origine française participe au blocus, tout comme une frégate saoudienne de classe Makkah vendue par Paris et des hélicoptères de la marine saoudienne Panther et Dauphin.

Matignon assure ne pas avoir « connaissance de victimes civiles résultant de leur utilisation sur le théâtre yéménite ».

Paris relève que les chars Leclerc émiratis « ne sont pas observés en première ligne ». Ils sont néanmoins déployés sur l’emprise d’al-Khawkhah à 115 km d’Hodeida. Et en octobre 2018 Paris surveille leur positionnement à Assab en Erythrée, en attente d’un déploiement au Yémen. La DRM dit constater « un engagement principalement défensif des chars Leclerc : à la date du 25 septembre 2018, une quarantaine sont observés en défense fixe de camps et de positions avancées dans l’ouest, sur les quelque 70 chars déployés par les EAU dans le cadre de l’opération ».

Lundi, les services du premier ministre ont répondu dans un communiqué que Paris agissait de façon « responsable et fiable » auprès de ses partenaires, avec qui la France a des « intérêts de sécurité communs : la lutte contre le terrorisme et la préservation de la sécurité au Moyen-Orient ». Matignon répète que les « armes françaises sont placées pour l’essentiel en position défensive » et assure ne pas avoir « connaissance de victimes civiles résultant de leur utilisation sur le théâtre yéménite ».

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Nathalie Guibert

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