Le Covid-19, accélérateur des tensions mondiales

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Un médecin s’apprête à réaliser un test Covid-19 derrière une protection à Buenos Aires, le 18 septembre.

Evidemment, il y aura un après-Covid-19, mais sera-t-il très différent ? « Ma crainte, c’est que le monde d’après ressemble furieusement à celui d’avant, mais en pire », lançait le ministre français des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, dans une interview au Monde en avril. Quelque peu pessimiste, même si probablement prémonitoire, la formule fit florès. Cette pandémie est un surgissement de l’impensable. Certes, il y avait déjà eu des alertes, à commencer par le SRAS, en 2003. Tous les documents prospectifs dignes de ce nom des services de renseignement comme des think tanks, aussi bien à Washington qu’à Londres, Berlin ou Paris – notamment le Livre blanc de la défense de 2008 et celui de 2013 – évoquaient le scénario d’une épidémie avec un nouveau virus mutant partant de Chine. Tous furent néanmoins pris de court, car nul n’avait vraiment imaginé l’ampleur de la maladie ni celle d’un monde à l’arrêt.

« Pour la première fois dans l’histoire, les êtres humains ont eu peur de la même chose en même temps et partout dans le monde », souligne Hubert Védrine, l’ancien ministre des affaires étrangères. Le défi est inédit. Pour certains, tel Henry Kissinger dans les colonnes du Wall Street Journal du 3 avril, « la pandémie modifiera à jamais l’ordre mondial ». Et l’ancien ministre allemand des affaires étrangères Joschka Fischer n’a pas hésité à comparer la pandémie à un astéroïde ayant frappé la Terre.

« Pas de monde d’après »

Mais une fois passée la grande stupeur d’un monde à l’arrêt, il semble de plus en plus évident que ce choc, incontestable tournant, sera « moins transformateur que catalyseur confirmant et exacerbant des tendances préexistantes », note en juillet Jean-Baptiste Jeangène-Vilmer, directeur de l’Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire (Irsem), dans un article de Politique internationale au titre provocateur : « Il n’y aura pas de monde d’après ».

La pandémie ne peut, en effet, qu’amplifier les fractures qui minent depuis des années un ordre international de plus en plus chaotique, marqué par le retour des rivalités entre puissances sur fond de crise d’une certaine idée du multilatéralisme et de l’ordre international tel qu’il s’était constitué au lendemain de la seconde guerre mondiale.

Le système onusien est ébranlé par le pays même qui en fut le pilier, les Etats-Unis. « La crise déclenchée par le Covid-19 peut se lire comme la première d’un monde post-américain, l’absence complète de leadership américain est inédite. A aucun moment Donald Trump n’a tenté de susciter une coordination mondiale, et il va au bout de sa logique unilatéraliste », explique Thomas Gomart, directeur de l’Institut français des relations internationales (IFRI).

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Depuis l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche, les Etats-Unis se sont retirés de nombre de traités, dont l’accord de Paris sur le climat, celui sur le nucléaire iranien ou celui sur la limitation des armes nucléaires à portée intermédiaire conclu avec la Russie à la fin de la guerre froide. En avril, Washington annonçait aussi la suspension de la contribution américaine à l’Organisation mondiale de la santé, accusée de complaisance à l’égard de Pékin et de mauvaise gestion de la crise sanitaire.

Le retour des frontières

Au nom de l’« America First », l’administration Trump accélère un repli déjà amorcé par Barack Obama. « Le sentiment d’un retrait américain est plus important que le Covid-19 pour expliquer les montées de tensions en Asie, au Moyen-Orient ou en Méditerranée orientale », analyse Bruno Tertrais, directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS).

La crise sanitaire a partout renforcé le repli sur le pré carré national et le retour des frontières. « La rapidité avec laquelle le virus s’est répandu dans le monde montre la nécessité d’une réponse globale. Mais, alors que le multilatéralisme serait plus nécessaire que jamais, il se détériore aussi bien au niveau international, en témoigne la crise du système onusien, que régional avec l’Union européenne qui a réagi, au moins au début, en ordre dispersé », note Bertrand Badie, professeur émérite à Sciences Po.

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Les mesures exceptionnelles qu’impose la lutte contre le virus représentent un incontestable effet d’aubaine pour les régimes autoritaires. Mais des leaders populistes qui ont nié la gravité de la maladie, refusant toute mesure de confinement, tel Jair Bolsonaro au Brésil, ont gagné en popularité malgré le fiasco sanitaire. Même Donald Trump, bien que distancé par Joe Biden dans les sondages, préserve son socle électoral en dépit de ses errements.

Les conséquences géopolitiques de la crise sont réelles. « La pandémie est la continuation par d’autres moyens de la lutte entre puissances », notait Jean-Yves Le Drian dans son interview au Monde. La bipolarisation Etats-Unis-Chine, déjà amorcée depuis quinze ans, s’est encore renforcée. En outre, les deux superpuissances ont aussi creusé l’écart militairement et économiquement vis-à-vis de l’Europe et de la Russie. Le virus a encore attisé les tensions et, à Pékin comme à Washington, on n’hésite plus à parler de « nouvelle guerre froide ».

Durcissement des Etats forts

Les Etats-Unis n’en demeurent pas moins, et de loin, la première puissance mondiale même s’ils ne sont plus l’hyperpuissance du monde unipolaire qui avait suivi la chute du Mur. A la différence de ce qu’il en était à l’époque de la guerre froide avec l’Union soviétique, les Etats-Unis et la Chine, malgré leurs relations conflictuelles, restent interdépendants économiquement.

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« Si la Chine agit depuis six mois et l’irruption du virus de façon plus agressive, est-ce parce qu’elle se sent plus forte ou, au contraire, parce qu’elle se sent plus faible ? », s’interroge Bruno Tertrais. Elle fut le premier foyer de l’épidémie et, par impéritie, l’a laissé s’étendre avant de réagir avec efficacité. Une démocratie comme Taïwan a su faire beaucoup mieux.

« Cette pandémie est apparue pour des raisons liées à la nature même du système communiste chinois et elle a révélé les limites internes du régime incompatibles avec son statut de deuxième puissance mondiale », décrypte Valérie Niquet, responsable du pôle Asie à la Fondation pour la recherche stratégique. « Si la pandémie se prolonge, voire s’aggrave, le risque est d’une part celui d’un durcissement des Etats forts, qui tels la Russie, la Chine, la Turquie, l’Iran pourraient être tentés par des aventures extérieures, alors que leurs populations souffrent de la crise économique, et d’autre part celui d’un affaiblissement des Etats faibles – en Afrique, en Amérique latine – avec la montée de conflits internes », prévoit Bruno Tertrais.

Autant de défis pour l’Europe. Elle a su réagir au niveau économique avec un plan de relance commun sans précédent. Mais, en dépit des appels du président français à la souveraineté européenne et à une prise de conscience, l’UE, « puissance herbivore dans un monde carnivore », selon le mot d’Hubert Védrine, hésite encore à mettre en œuvre une politique de sécurité commune malgré l’évidence de la montée des périls à ses frontières au sud et à l’est.

« La tentation d’un repli qui accompagnerait une contraction de l’effort de défense risque d’être d’autant plus séduisante pour les opinions publiques et les élites occidentales qu’elle viendrait conforter la perception grandissante de la vanité d’interventions militaires toutes présentées – à tort – comme des guerres sans fin », s’inquiète ainsi Corentin Brustlein, dans l’édition 2021 du Ramses, le rapport géopolitique annuel de l’IFRI (Dunod).

Cet article fait partie d’un dossier réalisé dans le cadre d’un partenariat avec Le Forum mondial Normandie pour la paix qui se déroule le 1er et 2 octobre à Caen. Pour en savoir plus, c’est ici.

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