Dans un Liban en crise, la tentation du repli communautaire

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Ibrahim Sidani au balcon de son appartement à Ras Al-Nabaa, Liban, le 28 août.

Nichée sur une colline du mont Liban, la bourgade chrétienne de Kahalé ne goûte plus à son habituelle tranquilité. Les soubresauts politiques qui agitent Beyrouth, à une quinzaine de kilomètres, l’ont rattrapée. « On va vers un repli. L’entraide entre familles s’est renforcée, autour de l’église ou des volontaires locaux. Le sentiment d’appartenance [communautaire] l’emporte sur les divergences d’opinions politiques », observe Tony, ingénieur informatique de 54 ans. Lors du soulèvement contre le pouvoir à l’automne 2019, il avait été décidé « qu’aucune manifestation dans la lignée de la contestation ne se tiendrait [à Kahalé] pour préserver l’harmonie, car tout le monde ne pense pas pareil », poursuit-il. La bourgade se replie davantage sur elle-même, depuis l’explosion au port de Beyrouth, le 4 août, alors que les tensions politiques s’exacerbent au Liban et que l’effondrement économique s’accélère.

La fracture est devenue béante entre le camp réuni autour du Hezbollah et ses adversaires politiques. Le débat a été relancé sur les armes du parti-milice chiite, et l’épreuve de force entre les Etats-Unis et l’Iran, parrain du Hezbollah, avive ces clivages, compliquant la formation du nouveau gouvernement. Les incidents inter- ou intracommunautaires se succèdent dans le pays. Les derniers en date ont opposé, mi-septembre, des partisans des deux « frères ennemis » chrétiens, Michel Aoun, le président, et Samir Geagea, le chef du parti des Forces libanaises. Dans ce climat incendiaire, Tony n’est pas le seul à pronostiquer un repli communautaire, à rebours des aspirations au changement et au renversement du système confessionnel portées, à l’automne 2019, par de nombreux Libanais.

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« Les chefs communautaires nous laissent vivre dans la peur, la peur de “l’autre” qui va venir nous tuer. Il y a toujours un “autre”. Depuis l’explosion du 4 août, nous avons vu les troubles ou les informations anxiogènes s’enchaîner, déplore Ibrahim Sidani, un sunnite engagé dans une association de bienfaisance de Ras Al-Nabaa, un quartier central de Beyrouth. La peur de l’inconnu, déplore-t-il, est le plus grand obstacle au changement. N’oublions pas que nous avons vécu quinze ans de guerre civile [1975-1990]. Malheureusement, on se sent aujourd’hui encore appartenir à sa secte, plus qu’à un pays. »

« Tout le monde doit changer »

Conspués, ébranlés par des mois de fronde populaire, les chefs politiques communautaires (les six principaux étant Michel Aoun et Samir Geagea chez les chrétiens, Walid Joumblatt chez les druzes, Hassan Nasrallah et Nabih Berri chez les musulmans chiites, Saad Hariri chez les musulmans sunnites), n’ont jamais semblé douter ni de la force des peurs ataviques comme frein au changement, ni de la fidélité de leurs soutiens. Cette loyauté, ils l’ont le plus souvent acquise par le clientélisme et l’image de « protecteur » de leur communauté dans un pays multiconfessionnel. Ils se sont forgé un statut par leur rôle en temps de guerre, par l’héritage politique ou le poids traditionnel de leur famille. Ils savent jouer de l’histoire, invoquant au besoin un passé révolu de puissance ou, à l’inverse, de marginalisation.

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