« En s’endettant pour 30 ans, les Etats membres de l’UE disent leur volonté de rester ensemble »

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La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen (à gauche) et le président du Conseil européen Charles Michel (à droite) lors d’une conférence de presse au sommet de l’UE à Bruxelles, le 21 juillet 2020.

Après quatre jours et quatre nuits de discussions, les chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne (UE) sont parvenus, au matin du 21 juillet, à décrocher un accord sur le plan de relance qui doit leur permettre de mieux affronter la récession consécutive à la crise sanitaire due au Covid-19. Virginie Malingre, correspondante du Monde à Bruxelles, spécialiste des questions européennes, a répondu à vos nombreuses interrogations sur le sujet lors d’un tchat, mardi 21 juillet.

Lire le récit : Après 90 heures de négociations, les Européens adoptent un plan de relance historique

Marie d’Autriche : En quoi cet accord est-il historique ?

Virginie Malingre : C’est la première fois que la Commission européenne s’endette au nom des Vingt-Sept pour un montant aussi important : 750 milliards d’euros. L’exécutif communautaire a déjà émis de la dette, mais ses incursions sur les marchés sont toujours restées limitées (moins de 100 milliards) et rares. En effet, les traités obligent l’Union à présenter un budget à l’équilibre.

Cela dit, si les Vingt-Sept le souhaitent, et si leurs Parlements les suivent, elle peut se soustraire à cette règle, et acquérir une certaine autonomie budgétaire. Une dette commune, c’est un mécanisme qui, de facto, dessine les contours d’une Europe plus fédérale et plus solidaire. En s’endettant ensemble pour 30 ans, les Etats membres de l’Union européenne disent aussi leur volonté de rester ensemble et leur confiance dans le projet européen.

Européen convaincu : Bonjour, concrètement en quoi consiste l’accord et quel « camp » l’a emporté dans cette négociation ?

L’accord repose sur un plan de relance de 750 milliards d’euros, empruntés sur les marchés au nom des Vingt-Sept, et destiné à aider les pays les plus touchés par la crise liée au coronavirus. Cette dette commune sera d’abord un outil de solidarité, qui fait franchir à l’Europe un nouveau pas vers une Union de transferts. En effet, sur les 750 milliards d’euros affectés au plan de relance, 360 milliards seront prêtés aux Etats membres qui le souhaitent – ils y trouveront le moyen de s’endetter à de meilleures conditions qu’en allant seuls sur les marchés, mais ils devront rembourser ces sommes – et 390 milliards leur seront transférés d’ici à 2023, sous forme de subventions qui, elles, seront remboursées par les Vingt-Sept.

Les pays « frugaux » ont durement monnayé leur ralliement à ce plan

Il est difficile de dire quel camp l’a emporté. Je pense que c’est l’Europe qui est gagnante. En réalité, la France et l’Allemagne ont fait beaucoup de compromis pour sauver leur plan, auquel ne s’opposaient pas beaucoup de pays. Il y avait les « frugaux » – Pays-Bas, Autriche, Suède, Danemark – et leur allié finlandais, viscéralement opposés à ce plan qui, parce qu’il est un instrument fédéral et d’intégration, change profondément le modèle de la construction européenne. Ils ont donc durement monnayé leur ralliement et ont notamment obtenu la baisse du montant des subventions (de 500 à 390 milliards) et une hausse des rabais dont ils bénéficient sur le budget européen.

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A l’est, la Pologne et la Hongrie n’étaient pas hostiles au plan de relance mais ne souhaitaient pas qu’il soit l’occasion d’instaurer un lien entre le respect de l’état de droit et le déboursement des fonds européens. Même si un mécanisme a été instauré dans cet esprit, il reste très flou et peu efficace, et l’on peut donc dire qu’ils ont obtenu gain de cause.

Par ailleurs, pour accéder à la manne du fonds de transition juste, qui aide les économies les plus carbonées dans leur transition climatique, la Pologne aurait dû s’engager à poursuivre l’objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050, objectif que s’est donné l’UE au cours d’un sommet en décembre 2019 et auquel, à l’époque, elle a refusé de souscrire. Il n’en est désormais plus question, et le gouvernement de Mateusz Morawiecki pourra avoir accès à cet argent, si tant est qu’il ne remette pas en cause le principe selon lequel l’Union européenne, dans son ensemble, veut respecter l’accord de Paris sur le climat.

Le premier ministre polonais Mateusz Morawiecki à Bruxelles, le 20 juillet 2020.

Rémi : Quel a été l’impact de l’absence du Royaume-Uni dans ces négociations ?

Si le Royaume-Uni était encore dans l’Europe, ce plan n’aurait sans doute jamais vu le jour. Ceci dit, les « frugaux » – Pays-Bas, Autriche, Suède, Danemark – et leur allié finlandais ont clairement pris la relève. Avec La Haye en leader.

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Eirikr : Cet accord fait-il réellement franchir un pas significatif dans le sens d’une fédéralisation de l’Europe ou restera-t-il un événement isolé du fait de l’opposition farouche des « frugaux » ?

Ce plan de relance est temporaire et exceptionnel. Mais il engage les Vingt-Sept dans une dette commune pour trente ans. Qui plus est, l’émission d’une dette commune de 750 milliards d’euros pose la question de son remboursement. A ce jour, elle n’est pas tranchée mais elle pourrait amener les Vingt-Sept à se doter de ressources propres, c’est-à-dire des prélèvements faits au nom de l’Europe et pour l’Europe. Dès lors, un pas immense vers l’autonomie budgétaire de l’Union européenne serait franchi. Mais nombre d’Etats, dont l’Allemagne, n’y sont pas favorables. A suivre donc.

Ecolo inquiet : Quelles sont les obligations environnementales liées à cet accord ?

Pour bénéficier des aides européennes, les pays candidats devront présenter un plan de réformes et d’investissements qui reflètent les priorités de la Commission, à commencer par le Green Deal. Ces plans devront au préalable être agréés par la Commission et les Etats membres, qui auront normalement à cœur de vérifier que cet aspect du cahier des charges est respecté.

Par ailleurs, 30 % du plan de relance mais aussi du budget pluriannuel de l’Union (sur 2021-2027 il sera de 1 074 milliards d’euros) doit être consacré à des dépenses qui favorisent la transition climatique. Les dépenses réalisées dans le cadre du budget 2021-2027 et du plan de relance devront, en outre, respecter l’accord de Paris, le principe d’innocuité environnementale ainsi que les nouveaux objectifs climatiques de l’UE pour 2030, qui seront actualisés d’ici peu.

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Toutefois, les conditions d’accès au fonds de transition juste, qui doit aider les économies les plus carbonées à faire leur transition climatique, sont moins contraignantes. Alors qu’un lien direct – très critiqué par la Pologne notamment – était au départ prévu entre ce fonds et l’engagement à la neutralité climatique au niveau national pour 2050, l’accord évoque uniquement le respect de « l’objectif de neutralité climatique de l’UE d’ici à 2050 ».

Buldo75 : L’Europe sort renforcée de ce sommet, mais le résultat laisse penser que l’état de droit et la transition énergétique sont les grands perdants de ce sommet. Qu’en pensez-vous ?

Paris et Berlin ont clairement réduit la voilure en ce qui concerne l’état de droit. En matière de transition énergétique, en revanche, c’est moins vrai, même s’ils ont fait une concession à la Pologne, comme je l’expliquais dans la réponse précédente.

La chancelière allemande Angela Merkel à Bruxelles, le 20 juillet 2020.

Guillaume : Les pays « frugaux » ont obtenu une augmentation de leurs rabais en échange de ce plan. Que faut-il en penser ?

Les « frugaux » verront leurs rabais augmenter de 46 milliards pour le budget 2014-2020 à 53 milliards pour la période 2021-2027. Soit une hausse de 1 milliard d’euros par an, ce qui en soi n’est pas énorme comparé aux sommes en jeu. Mais la logique aurait voulu que ces rabais – qui étaient liés au cas britannique – disparaissent avec le Brexit. Et qu’ils sont désormais pérennisés pour sept ans de plus…

Memel14 : Au sein de cet accord, quelle est la différence entre les prêts et les subventions ?

Les prêts (360 milliards d’euros) seront accordés aux pays qui les demanderont, parce qu’ils y verront le moyen de s’endetter à des conditions plus avantageuses. Notée triple A, la Commission européenne paye des taux d’intérêt plus bas que l’Italie. Mais ces pays auront à rembourser ces prêts à la Commission.

En revanche, les subventions (390 milliards d’euros) leur seront données, ils n’auront pas à les rembourser directement. Certes, ils participeront au remboursement de la dette commune, au prorata de leur PIB en Europe, mais ce, quels que soient les transferts dont ils auront bénéficié. Les subventions sont donc un véritable outil de solidarité.

Hugof : Cet accord aura-t-il un vrai impact sur la relance économique européenne ?

Cet accord permet d’injecter 750 milliards d’euros dans l’économie européenne en trois ans, c’est-à-dire environ 1 % du PIB. Donc, oui, c’est important. Par ailleurs il doit soutenir des investissements et des réformes qui pourront être l’occasion pour certains pays de donner de nouvelles orientations, plus vertes et plus numériques notamment, à leur économie.

Emmanuel Macron et Angela Merkel à Bruxelles, le 21 juillet 2020.

Tom : Connaît-on dans le détail l’utilisation que la France va faire des 40 milliards de subventions ?

Ces 40 milliards vont financer une partie du plan de relance de 100 milliards annoncé récemment par le gouvernement.

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Michel : Existe-t-il un mécanisme pour geler les aides à un pays qui ne respecterait pas l’état de droit européen ?

Un mécanisme est prévu mais il n’est pas certain, à ce stade, qu’il soit efficace. D’ailleurs, preuve de cette ambiguïté, la Hongrie se félicite qu’il n’y en ait pas, quand Charles Michel, le président du Conseil, dit exactement l’inverse…

Vianney : Retrouve-t-on ici le « couple » franco-allemand comme véritable moteur de l’Europe ?

Oui, très clairement. Paris et Berlin ont été moteurs dans cette affaire. Moteurs parce qu’ils ont dessiné l’architecture de ce plan, qu’a ensuite repris la Commission. Et moteurs dans la manière dont ils ont négocié avec les autres Etats membres. Ces quatre derniers jours, durant le sommet européen à Bruxelles, Emmanuel Macron et Angela Merkel ont mené tous leurs rendez-vous ensemble. Tous les matins, ils se consultaient sur la stratégie à adopter, et ils faisaient le point tous les soirs. Histoire de ne laisser aucun espace entre eux et de décourager ceux qui auraient pu chercher à les diviser.

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Le Monde

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