Le mouvement Black Lives Matter contraint les ONG humanitaires à un examen de conscience

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Une antenne de Médecins sans frontières (MSF) à Anka, dans le nord-ouest du Nigeria, en décembre 2019.

La sentence a fait trembler les murs de la plus célèbre des ONG d’urgence installée dans vingt-cinq pays avec un staff permanent de plus de 55 000 salariés. « MSF a failli auprès des gens de couleur, aussi bien parmi ses employés qu’auprès de ses patients. Il a échoué à combattre le racisme institutionnel et il participe de cette culture blanche privilégiée. »

Signé par le Grec Christos Christou, président de Médecins sans frontières international, et le Kenyan Samuel Bumicho, l’un des membres du conseil d’administration, ce message à usage interne a été révélé fin juin par le site spécialisé The New Humanitarian. Il traduit les tensions que suscitent au sein des ONG humanitaires les appels à plus de justice qui résonnent dans le monde entier depuis la mort de l’Afro-Américain George Floyd lors de son interpellation, le 25 mai, par un policier blanc à Minneapolis.

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Si la section américaine de MSF, la plus directement interpellée par le mouvement Black Lives Matter (« les vies noires comptent ») s’est déclarée en phase avec ce constat, d’autres ne le partagent pas. En particulier en France où est née cette organisation il y a cinquante ans. « MSF a été créée pour lutter contre les discriminations et nous sommes très attentifs aux situations de domination. Il existe, depuis 2007, une cellule des abus auprès de laquelle tout acte de discrimination peut être dénoncé, riposte Thierry Allafort-Duverger, le directeur général de MSF France. Nos recrutements sont géographiquement de plus en plus diversifiés et les écarts de salaires entre les expatriés et les employés nationaux ont été réduits, même s’il y a encore du travail à faire. »

« Vieilles accusations de discrimination »

Le Français reconnaît néanmoins l’existence d’un « plafond de verre » alors que les cinq centres opérationnels de MSF, tous localisés en Europe et chargés de coordonner les interventions humanitaires, demeurent dirigés par des Occidentaux. « Cette situation ne pourra évoluer qu’en déplaçant les centres de pouvoir et c’est ce que nous faisons par la création du premier centre opérationnel en Afrique à Abidjan. Il aura vocation à travailler sur toute l’Afrique de l’Ouest », poursuit-il, en affirmant que MSF a toujours été un « lieu de débat et qu’il n’existe aucun tabou ».

Chercheur associé au Centre population et développement (Ceped), le sociologue Ludovic Joxe a longuement observé les pratiques de MSF France où il a travaillé sur de nombreuses missions. A partir des années 2000, relate-t-il, l’association a changé de manière volontariste sa politique d’expatriation en multipliant ses recrutements dans les pays du Sud : « Cela a été une première façon de répondre aux vieilles accusations de discrimination entre les expatriés blancs et les locaux qui concernent toutes les ONG. Cette diversification a contraint à sortir de l’entre-soi occidental et fait remonter des sujets de discrimination qui étaient éludés voire ignorés auparavant»

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Black Lives Matter a aussi conduit l’ONG Care, dont le siège se trouve à Atlanta, à un nouvel exercice d’introspection. Lors du dernier conseil international réuni en juin, les représentants du réseau ont décidé d’inscrire « la lutte contre le racisme » dans la mission de l’organisation à côté de la lutte contre la pauvreté et les injustices sociales qui définissent son mandat historique.

« Nous sommes bourrés de bonnes intentions mais n’ayons pas peur des mots : le racisme existe chez nous, traitons-le, affirme Philippe Lévèque, le directeur général du bureau français. En allant dans les pays en développement pour aider les autres, nous n’avons pas d’arrière-pensées, mais nous sommes l’héritage d’une histoire coloniale et il faudra que cela change. »

Conseil d’administration très monocolore

Preuve de la transformation en cours, des bureaux locaux jusqu’alors rattachés aux sièges occidentaux commencent à gagner leur « indépendance ». L’Inde a ainsi pris son autonomie par rapport à Care USA et le Maroc ne dépend plus de Care France pour décider de ses opérations. Mais le Cameroun, Madagascar et le Liban demeurent des bureaux « français ».

« Sur les vingt et un membres qui composent le réseau Care, treize sont encore du Nord. Je pense que d’ici à dix ans, les pays du sud seront largement majoritaires. Nous avons vocation à nous effacer, à diminuer en taille et en puissance », explique-t-il. Dans l’avenir, selon lui, le rôle des ONG occidentales sera uniquement de faire du plaidoyer et de lever des fonds.

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Les ONG qui ne sont pas rattachées à un réseau international comme Solidarités International sont moins exposées au vent de critiques qui souffle des Etats-Unis. « Il n’y a pas de débat interne sur le racisme chez nous », témoigne son directeur Alexandre Giraud, en reconnaissant que le profil encore très monocolore du conseil d’administration est « peu représentatif des contextes d’intervention ».

Cette association créée en 1980 et spécialisée dans l’accès à l’eau en situation d’urgence est active dans une vingtaine de pays, principalement en Afrique. « Ce sont les équipes sur le terrain qui proposent des stratégies d’intervention, mais il est vrai que les outils et les méthodes de travail sont définis au siège, décrit-il. Il serait bon de se remettre en question. Inconsciemment, nous portons des modèles hérités du passé qui peuvent être perçus comme discriminants. »

Exigences croissantes des bailleurs

Le débat sur la domination « blanche » dans le monde humanitaire est d’autant plus vif que les pays occidentaux se sont trouvés en échec face à l’épidémie du nouveau coronavirus. Pour la première fois, les pays du Sud sont apparus plus résilients et les centaines de milliers de victimes ont été en majorité enregistrées dans des Etats réputés solides et organisés. De quoi éclairer d’un jour cru les puissances occidentales.

Lors d’un débat intitulé « Quand l’Ouest sombre dans la crise », organisé par The New Humanitarian le 1er juillet, le ressentiment à l’égard du contrôle de l’aide internationale s’est clairement exprimé. Degan Ali, directrice de l’ONG kenyane Adeso, a livré un témoignage virulent : « Cela devient à la mode de parler du racisme et tout le monde affirme soutenir Black Lives Matter. Mais, dans le même temps, je ne vois personne s’interroger sur l’architecture même de l’aide et sur la façon dont elle perpétue les inégalités et empêche que nous sortions de la pauvreté. »

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Mme Ali a en particulier critiqué le projet du « Grand bargain » (« grand marchandage »), adopté en 2016 lors du sommet humanitaire mondial entre les pays donateurs et les grandes ONG à Istanbul. L’un de ses objectifs était de transférer 25 % de l’aide à des ONG du Sud d’ici à 2020. Mais, selon elle, « ce n’est pas la localisation de l’aide que nous voulons, mais la justice. Nous ne voulons plus être invisibles ».

Cette montée en puissance des voix du Sud se heurte cependant aux exigences croissantes des bailleurs pour s’assurer que l’argent alloué atteint bien ses objectifs et n’est pas détourné. « L’investissement financier et humain que nos organisations doivent consentir pour se mettre aux normes des donateurs n’est pas à la portée de la plupart des ONG. Ces critères ne sont pas favorables à l’émergence de la société civile dans les pays en développement », regrette Jean-François Riffaud, directeur d’Action contre la faim. Un constat qui ouvre un autre champ d’investigation pour la lutte contre les discriminations.

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