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Sur le rond-point de l’indépendance à Bamako, la circulation s’est arrêtée. Des centaines de Maliens, prosternés sur le bitume, prient en direction de la Mecque. C’est pourtant un peu plus à l’ouest, vers la colline de Koulouba, où se niche le palais présidentiel, que s’adresse leur supplique. Ce rassemblement au cœur de la capitale, vendredi 19 juin, est moins une protestation religieuse dans un pays à 95 % musulman, qu’une démonstration de force politique dont l’imam Mahmoud Dicko est le fer de lance. A la tête d’une coalition hétéroclite de l’opposition, ce prêcheur rigoriste très influent demande au président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) de remettre sa démission au peuple.
Si les raisons de la colère couvent depuis des années, elles se sont cristallisées ces derniers mois à la faveur du couvre-feu exigé par les mesures sanitaires contre le Covid-19, et des élections législatives de mars et avril, dont les résultats sont contestés. De nombreuses irrégularités ont été dénoncées dans les régions où des proches du pouvoir ont été élus. En guerre depuis 2012, le Mali affronte une économie en berne, une crise des financements scolaires, une extrême pauvreté persistante et une recrudescence des violences au centre et au nord où les exactions des groupes djihadistes font des milliers de victimes.
Nourrie de ces nombreuses frustrations, la colère populaire a été cueillie par une large coalition de l’opposition, couvrant tout le spectre politique, réunie sous le nom de « Mouvement du 5 juin-Rassemblement des Forces Patriotiques (M5-RFP) ». S’y rejoignent le mouvement de la société civile Espoir Mali Koura (EMK), porté par l’ancien ministre, Cheick Oumar Cissoko, et appuyé par le militant anticorruption Clément Dembélé, le Front pour la sauvegarde de la démocratie (FSD) qui unit plusieurs partis et leaders d’opinion, ainsi que la Coordination des mouvements et associations des sympathisants de Mahmoud Dicko, organisation politico-religieuse tenante d’un salafisme quiétiste.
« Ma porte est ouverte »
Leur première démonstration de force, vendredi 5 juin, a rassemblé des dizaines de milliers de Maliens. Son impact a forcé le président à multiplier les adresses à la nation. Dimanche 14 juin, à la télévision publique, il a assuré avoir « entendu les colères et les cris » et promis d’« œuvrer sans relâche à ce que chaque Malien puisse se nourrir, envoyer ses enfants à l’école (…) et accéder à des services de santé de qualité ». Avant de conclure : « Ma porte est ouverte et ma main toujours tendue. ». Une conciliation qui n’a pas suffi à apaiser la colère d’une partie de la population.
« C’est une situation inédite au Mali, appuie Baba Dakono, chercheur à l’Institut d’études de sécurité à Bamako. Par son ampleur, elle est révélatrice de la faillite de l’élite politique qui n’a pas su lire et prévenir les éléments catalyseurs d’une situation exaspérante où les coupures d’électricité et d’eau intempestives, les états d’urgence sécuritaires et sanitaires ont réduit de nombreuses perspectives économiques. » S’il voit une similitude avec les manifestations de 2012 qui avaient mené à un coup d’Etat, « celle-là intervient dans un contexte plus sombre où le président a déçu de nombreux espoirs par son incapacité, tant à réduire la corruption que la crise sécuritaire ».
La mort de vingt-quatre soldats maliens pris dans une embuscade djihadiste le 14 juin est venue s’ajouter à une longue liste de revers meurtriers subis par des forces armées maliennes démoralisées, accentuant la colère des familles. Trois jours de deuil national ont été décrétés. « On nous demande de prier pour nos frères mais les morts s’entassent et rien ne change », lance un manifestant à la pancarte « dégage IBK ».
Mardi 16 juin, le président a annoncé de nouvelles mesures : des discussions pour la formation d’un gouvernement d’union nationale, une possible dissolution du parlement et de la cour constitutionnelle, et une majoration de la rémunération des enseignants. « Il n’a pas tiré la leçon, il n’écoute pas les gens. Mais cette fois-ci, il va comprendre », a rétorqué l’imam Mahmoud Dicko, le lendemain devant un parterre de militants.
Un message religieux rigoriste au cœur de la contestation
Alerté par la dégradation de la situation sociopolitique malienne, une mission ministérielle de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), de l’Union africaine et de l’ONU a rencontré le premier ministre, Boubou Cissé, le chef de l’Etat et l’imam Dicko. Lui, le président du Haut conseil islamique malien de 2008 à 2019, qui soutenait en 2013 la candidature de son « ami IBK », négociant même pour le gouvernement, la libération d’otages auprès des chefs djihadistes, retourne contre le président l’influence gagnée auprès de lui.
« Beaucoup d’opposants qui n’auraient eu aucune chance d’accéder au pouvoir ont décidé de s’appuyer sur l’imam et ses milliers de fidèles, lui conférant un grand pouvoir politique », analyse le chercheur Aly Tounkara. A son tour, M. Dicko qui a toujours assuré n’avoir aucune velléité gouvernante, en profite pour replacer son message religieux rigoriste au cœur de la contestation sociale.
Vendredi soir, dans le vacarme de dizaines de milliers de manifestants venus exiger le départ du président Keïta, Mahmoud Dicko a pris la parole pour calmer une foule l’acclamant. « Nous ne devrions pas donner une mauvaise image de notre pays au monde. Nous n’allons pas brûler et casser ce pays, qui est le nôtre », a-t-il tonné. Puis, il a désigné deux leaders politiques, les anciens ministres Cheick Oumar Cissoko et Choguel Maïga leur demandant de marcher jusqu’au palais de Koulouba remettre au président sa lettre de démission où ils ont été gazés par la police.
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