« On peut retrouver le cas George Floyd partout, même en Afrique »

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Rassemblement en hommage à George Floyd à Abuja, au Nigeria, le 10 juin 2020.

Ancien enseignant à Princeton, actuellement en poste à l’American University of Nigeria à Yola, le sociologue sénégalais Mahamadou Lamine Sagna est spécialiste des Etats-Unis. Il est l’auteur notamment de Violences, Racisme et Religions en Amérique. Cornel West, une pensée rebelle (éd. Karan, 2016). Pour Le Monde Afrique, il revient sur les réactions engendrées par la mort de George Floyd, tué le 25 mai par un policier blanc à Minneapolis, et sur le racisme systémique américain.

Les manifestations liées à la mort de George Floyd apparaissent nouvelles dans leur composante multiraciale et jeune. Y a-t-il un changement sociologique dans la lutte contre le racisme ?

Dans les années 1920, ce phénomène existait déjà avec le parti progressiste de Woodrow Wilson, le syndicalisme d’Eugene Debs ou le parti populaire de Thomas Watson. Ces mouvements ont constitué leurs luttes avec les populations noires, avant, malheureusement, de les abandonner. Thomas Watson a même fini proche du Ku Klux Klan. Cela est resté dans les mémoires, ce qui fait que pendant de longues années, les Noirs sont descendus seuls dans la rue.

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Aujourd’hui, la situation est inédite. Les jeunes connaissent mal cette histoire et n’ont pas subi la ségrégation, abolie en 1964. C’est seulement la deuxième génération d’Africains-Américains à vivre la liberté. Et qu’il s’agisse des Noirs, des Blancs, des Asiatiques ou des Latino-Américains qui manifestent ces jours-ci, tous savent désormais que le racisme est structurel et ils sont déterminés à ce que les choses changent.

Ces manifestations interviennent en pleine pandémie de Covid-19, dont les Afro-Américains sont les principales victimes d’un point de vue sanitaire et économique. Cela a-t-il exacerbé la situation ?

La symbolique de la respiration est très importante en cette période de pandémie de Covid-19. On a vu George Floyd mourir asphyxié. Assister en direct à cette agonie nous a touchés dans notre humanité. Cette pandémie révèle par ailleurs, de manière criante, le lien entre l’économique, la santé et la question raciale. Les Africains-Américains sont 2,5 à 3 fois plus nombreux à mourir du Covid-19 et sont proportionnellement en surnombre parmi les 40 millions d’Américains mis au chômage du fait de cette pandémie.

« Les Africains-Américains sont 2,5 à 3 fois plus nombreux à mourir du Covid-19 »

Cela n’est pas étonnant et s’explique par le système américain, qui, comme l’a montré Cornel West, lie intrinsèquement ce qu’il appelle l’intégrisme de l’économie de marché – qui exige que l’économique passe avant tout autre chose –, le militarisme – même la police est militarisée – et l’autoritarisme. La mort de George Floyd relève de cette connexion économique, militaire et politique avec l’autoritarisme de Trump.

Les policiers inculpés dans différentes affaires de violence raciste jouissent souvent d’une impunité. Comment l’expliquer ?

Le système américain protège les policiers notamment grâce à une loi, la « qualified immunity », qui rend presque impossibles les poursuites contre les pratiques discriminatoires des agents. Le racisme est dans toutes les sphères de la société et de l’Etat, à un point tel qu’il peut être spontané, inconscient, tandis que certains individus en font même une sorte de contrat social, comme on peut le supposer chez Trump.

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Certes, il y a toujours eu des personnes contre le racisme au sein de la police. Mais le problème est plus complexe. Le racisme est tellement systémique que des policiers noirs se comportent de la même manière que les blancs envers les populations africaines-américaines. Ils ont intériorisé le fait que le Noir est par définition dangereux. C’est là la grande force de la violence symbolique du racisme.

« Le racisme est tellement systémique que des policiers noirs se comportent de la même manière que les blancs »

Par ailleurs, on ne peut pas combattre efficacement la brutalité policière si l’on ne lutte pas contre l’armement des individus. C’est la grande différence avec la France.

Justement, qu’en est-il en France ?

Je ne sais si l’on peut parler d’un racisme institutionnel en France, mais le racisme est fortement présent dans la police, où le vote Rassemblement national est relativement élevé. On constate que la police intervient fréquemment sur les populations identifiées comme noires ou maghrébines. L’Etat français a d’ailleurs été épinglé sur ces questions-là par l’ONU, la Cour européenne des droits de l’homme ou encore le Défenseur des droits.

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La France a longtemps refusé de penser la question raciale. Est-ce en train de changer ?

Non, je ne le crois pas. Théoriquement, la France ne reconnaît pas la question raciale. Les Français ont du mal à admettre l’existence du racisme dans leur pays. Mais ce qui est important et qui peut évoluer, c’est que les jeunes Noirs ou Maghrébins en ont marre d’un certain paternalisme ou sentimentalisme, qui est une manière de cacher le racisme. Ils ne vont plus le tolérer.

Comment expliquer l’ampleur planétaire des manifestations actuelles ?

Comme je l’ai dit, la symbolique de la respiration en plein Covid-19 est importante. Avec Internet, les images se propagent extrêmement vite, et est né un monde où les frontières ne sont plus aussi importantes. On comprend très bien que l’on peut retrouver le cas George Floyd partout, même en Afrique où beaucoup d’Etats se servent de la police et de l’armée pour contrôler des populations qui ne sont pas du même groupe ethnique ou religieux. Si on est cohérent avec soi-même, on doit lutter contre cela en Afrique également.

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