Un genou à terre… – Le Mauricien

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DANIELLE PALMYRE

Le Bien a sa propre force, une force inhérente qui ne tient ni au nombre ni au contexte ni au temps. J’ai aimé lire dans Le Monde cet article sur le genou à terre qui est devenu tout un symbole. Alors que, sur les réseaux sociaux, la haine peut se déverser bruyamment et sans retenue, je retiens que, dans la vraie vie et les cœurs, le Bien se répand aussi, presque dans un silence assourdissant.

Mettre un genou à terre, c’est dire à l’oppresseur : « Tu ne vaincras pas ! »

Depuis le temps de Martin Luther King et la lutte des Noirs pour les droits civiques, il a fallu du courage pour affirmer ce qui est bien et lutter contre le racisme et la discrimination. Ce sont les premiers genoux à terre. C’est le symbole du renversement d’un signe d’oppression en signe de protestation. La conscience mauricienne en faveur de ce qui est bien en ce domaine va-t-elle un jour atteindre ce degré élevé d’éthique ? L’Histoire de notre pays a été tellement instrumentalisée que certaines de ses parties sont encore taboues pour beaucoup de Mauriciens. D’ailleurs, on n’enseigne pas notre Histoire, ce qui laisse entendre que nous n’avons pas encore la maturité nécessaire en tant que peuple pour la prendre à bras-le-corps, en débattre et avancer ensemble autour d’objectifs communs. Qu’y a-t-il de si difficile à regarder en face dans cette histoire, ancienne et récente ? Qu’est-ce qui nous fait si peur ?

Il ne sera jamais bien, jamais conforme à l’humanité des humains, d’opprimer, de mépriser, de haïr et de pratiquer l’injustice envers d’autres humains. Le premier pas dans ce combat est de nommer les choses. La Truth and Justice Commission a eu le mérite d’exister. Des analyses ont été menées et des mots ont été mis sur les maux de notre société. Des recommandations ont été faites qui sont restées, pour la plupart, lettre morte. Il en sera ainsi tant qu’une majorité de Mauriciens ne s’emparera pas de la question du racisme et de l’injustice comme d’une question qui les concerne en tant qu’êtres humains. La question raciale n’est pas quelque chose qui ne concerne que ceux qui en sont les victimes. Ce qui abîme un être humain abîme tous les humains.

Le racisme, visage hideux de la haine de l’autre, est une atteinte à l’humanité et ce n’est pas en fermant les yeux que ce mal s’efface de notre réalité. Le racisme est souvent insidieux parce qu’il s’inscrit dans une mentalité qui est une réalité impalpable. Mais cette mentalité se révèle à travers ce qui se dit, s’écrit et de pratique.

Dans le racisme, il y a les pensées du racisme, les mots du racisme, les gestes du racisme.

Tout commence dans une manière de penser, de catégoriser, d’étiqueter les autres, de décider si leur vie a la même valeur que la nôtre, si leurs droits sont aussi inaliénables que les nôtres, si leurs besoins sont aussi légitimes que les nôtres. Tout est d’abord dans « la mentalité ». Une mentalité, ça se crée, ça s’entretient et ça peut évoluer. Les idées sur les Noirs doivent changer. L’idéologie du racisme doit être démontée. Elle a été créée dans le but de déshumaniser l’autre pour pouvoir l’opprimer. Le genou sur le cou de George Floyd n’en est que le symptôme. Il y a tant de genoux invisibles sur tant de cous. George Floyd a rendu visible ce qui était camouflé. Lorsque l’on veut combattre le racisme, un des premiers obstacles que l’on rencontre est le déni ou la sommation d’apporter des preuves. Dieu sait qu’il est souvent difficile d’apporter des preuves de discrimination, parce que tout un système fonctionne de manière à la pratiquer tout en la camouflant. La Truth and Justice Commission a des pages entières sur la discrimination à Maurice. Elles sont encore camouflées, tues, enterrées.

La deuxième étape de la lutte contre le racisme est de mettre des mots, de nommer, de porter au langage. Car dire, c’est reconnaître, c’est porter à la conscience, c’est rendre visible ce qui est caché dans la pensée et la mentalité. La résistance à nommer le racisme et la discrimination à Maurice témoigne de la difficulté de faire émerger à la conscience mauricienne l’un de ses maux les plus pernicieux. On préfère les pré-jugés. Le préjugé est le produit de deux opérations biaisées qui s’appellent la simplification et la généralisation. « Tu dis que tu es l’objet de discrimination. Je vais simplifier les choses en décrétant que tu es paresseux (simplification qui te réduit à un vice) et en te plaçant dans la grande catégorie des paresseux (généralisation qui fait non seulement de toi, mais aussi de tous ceux qui te ressemblent un groupe de parasites). » Ainsi, le pré-jugé offre à ses adeptes une réponse simple (simpliste) qui leur donne alors le droit de catégoriser publiquement et de « shame », de faire honte à ceux qu’ils ont ainsi étiquetés. Il est entendu que ceux qui créent cette catégorie n’en font pas partie. Le vice qu’ils dénoncent chez les autres n’existe pas chez eux.

Autre argument fallacieux et récurrent à Maurice: le « mérite ». L’accès aux ressources qui est censé être universel et équitablement réparti est, en fait, conditionné par le « mérite ». Ce mérite est le paiement ou le salaire d’un « sacrifice » encouru. Qu’est-ce qui se joue ici ? Il y a un subtil, mais réel déplacement du terrain des droits universels, liés eux-mêmes aux besoins de base (tels que définis par Maslow par exemple) vers un autre terrain : celui du « mérite ». Désormais, on n’a pas droit à l’éducation, au logement ou à un emploi ; on doit le « mériter ». On doit mériter des droits ! On le mérite par le « sacrifice », un critère souvent utilisé dans cette rhétorique de la haine pour discréditer les demandes légitimes de l’autre. La catégorie des « nous » a fait des sacrifices (par exemple : contracter des prêts sur 30 ans pour acheter une maison…), tandis que la catégorie des « vous » paresseux ne fait aucun « sacrifice » pour obtenir cette même commodité.

Cette vision nie volontairement l’histoire qui conduit à la situation d’aujourd’hui. Elle ne considère pas que l’extrême pauvreté soit le fruit d’une pauvreté transgénérationnelle, qui remonte aux conditions d’exploitation systémique des siècles passés. Elle ne veut pas savoir que c’est une pauvreté qui s’est construite sur des générations de personnes démunies et dépourvues de leurs droits les plus élémentaires. Cette vision ne tient pas compte du fait que lorsqu’on vit dans la précarité économique, il suffit d’un accroc de santé pour vous précipiter dans la misère. Il suffit d’un problème familial pour vous jeter à la rue avec vos enfants, surtout si vous êtes une femme seule. Ce pauvre-là, cette personne en précarité, est censé faire des « sacrifices » pour « mériter » enfin d’être traité comme un humain à part entière ? La vie entière des pauvres est un sacrifice. Ils ont amplement mérité que leurs besoins élémentaires soient pris en compte. N’y répondre que par le mépris et la force, c’est les déshumaniser encore plus. Personne n’a mérité de naître dans la misère. Une société qui méprise ses pauvres est une société inhumaine. Une société, qui catégorise ses pauvres pour discriminer qui méritent et qui ne méritent pas, est une société qui pratique ouvertement l’injustice.

La troisième étape est l’action raciste. Celle-là est sournoise la plupart du temps, mais elle devient hardie aussi parfois, croyant à son impunité. Ainsi, on peut se moquer, harceler, dénigrer à l’ombre des bureaux, des maisons, des administrations, des entreprises. Mais on peut aussi éteindre des caméras, s’octroyer le droit de frapper, de mutiler, de torturer, de tuer, de faire de fausses déclarations et de faux rapports, de couvrir, de camoufler, de déguiser, quand on est en position de pouvoir. Le genou sur le cou de George Floyd ne se cachait même pas. Il avait l’impunité de sa position et de son pouvoir. Ici aussi, certains genoux ne se cachent pas. Ils se sentent assurés d’une impunité qui découle de leurs relations au pouvoir. Cela aussi figure dans les dépositions et le Rapport de la Truth and Justice Commission.

Faut-il espérer ou désespérer de ce manque de conscience mauricienne sur une réalité que nous vivons au jour le jour ? Faudra-t-il supporter encore longtemps les propos haineux, les insultes, les pré-jugés discriminatoires, le déni des droits, le racisme ? Je ne le sais pas, mais ce que je sais, c’est qu’une conscience universelle se manifeste contre le racisme et la discrimination. Cette conscience atteindra-t-elle une majorité de nos concitoyens ? Combien de genoux à terre faudra-t-il encore ?



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Le Mauricien

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