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La mort à Minneapolis de George Floyd, un homme noir de 46 ans tué par un policier blanc, a déclenché un vaste mouvement de protestation aux Etats-Unis et de nombreuses réactions partout dans le monde. De Los Angeles à New York, en passant par Toronto, Londres ou Montréal, des manifestations se sont organisées pour dénoncer les violences policières à l’encontre des minorités, débouchant parfois sur des scènes de saccage et de violence. Caroline Rolland-Diamond, spécialiste de l’histoire afro-américaine et des mouvements de contestation aux Etats-Unis, autrice de Black America : une histoire des luttes pour l’égalité et la justice (XIXe-XXIe siècle) (La Découverte, 2016), a analysé la situation et répondu aux questions des lecteurs du Monde dans notre direct du 1er juin.
Frlm : Après une succession d’affaires de violences policières à l’encontre de la communauté noire américaine, peut-on encore penser que la situation actuelle puisse déboucher sur un véritable changement ?
Caroline Rolland-Diamond : Votre pessimisme me semble tout à fait justifié vu la répétition d’affaires similaires où un homme africain-américain, plus rarement une femme, est tué du fait de violences policières. Quelques mesures, comme la généralisation de caméras embarquées dans les voitures de police, ont bien été prises sous la présidence de Barack Obama en réponse aux revendications du mouvement Black Lives Matter, mais elles restent très insuffisantes, comme on le voit avec les événements actuels.
La réponse à apporter est complexe et nécessairement longue, car il s’agit non seulement de violences policières mais aussi, derrière, de la persistance de très fortes inégalités raciales dans le pays. La présence de l’administration Trump au pouvoir n’est pas de bon augure pour espérer une solution rapide et positive qui soit à la hauteur de l’enjeu. Pourtant, il y a urgence à agir.
Poussin : Est-ce que les violences policières et les inégalités touchant les Afro-Américains ont reculé pendant les huit ans de présidence de Barack Obama ?
Ni les inégalités raciales ni les violences policières contre les Africains-Américains n’ont reculé sous la présidence Obama. Son arrivée au pouvoir s’est accompagnée d’un fort espoir de changement (entretenu par sa campagne « Yes, we can »), mais le premier président noir s’est toujours refusé à être « le président des Noirs » et, tout au long de son mandat, il s’en est tenu à sa vision « colorblind » (daltonienne, littéralement « aveugle aux couleurs »), universelle, des politiques de réduction des inégalités sociales.
La reprise économique, après la crise de 2008, a bénéficié aux Blancs plus qu’aux Noirs et, au terme des huit années de la présidence Obama, les inégalités restent fortes aussi bien sur le plan de l’emploi que sur ceux du logement, de l’éducation, de la santé, et, bien entendu, de la relation avec la police et le système judiciaire.
Obama a bien pris quelques mesures, comme la réduction de certaines inégalités flagrantes en matière de peines de prison pour affaires de drogue, mais le phénomène d’incarcération massive est toujours bien présent. De plus, les années Obama ont aggravé la polarisation politique et raciale dans le pays.
Black Power : Comment peut-on expliquer la rapidité avec laquelle les manifestations se sont propagées ?
La mort de George Floyd trouve un écho très large à la fois dans la population noire – chacun et chacune se sentant directement concerné·e dans sa chair –, mais aussi dans une grande partie de la population, qui est excédée par la répétition de ces violences policières.
On assiste à un débordement de colère et de frustrations attisées par des décennies d’injustice raciale. Dans les cas de violences urbaines similaires en réponse à des actes de brutalité policière qui ont eu lieu récemment ou dans les années 1960, les manifestations s’étaient aussi propagées très rapidement. Par exemple, pendant ce qu’on a appelé le « long et chaud été » de 1967, 159 émeutes avaient éclaté à l’échelle du pays. Aujourd’hui, les réseaux sociaux permettent une diffusion rapide et massive des protestations mais ce n’est pas un phénomène nouveau.
Pallas : Dans quelle mesure la réponse sécuritaire de Trump est-elle dictée par des considérations électorales ?
La réponse de Donald Trump appelant les gouverneurs à mobiliser la garde nationale pour mettre fin aux débordements et annonçant sa volonté de faire mettre le mouvement « antifa » sur la liste des organisations terroristes est évidemment politique. Elle tente de répondre à l’attente de l’opinion publique de mettre fin aux violences, tout en rejetant la responsabilité des troubles sur l’extrême gauche, ce qui ne peut que plaire à l’« alt-right » qu’il courtise.
Cela rappelle sa réaction au moment des événements de Charlottesville. Ce faisant, il attise une nouvelle fois les haines et renforce la polarisation de la nation qu’il entretient depuis plusieurs années. Mais la forme de sa réaction jusqu’à présent – à savoir l’envoi de tweets au lieu de l’adresse à la nation qu’on pourrait attendre d’un président à la tête d’un pays en proie à une telle situation – est très largement critiquée et pourrait desservir son intérêt électoral.
Federalist : Les violences et bavures policières dont sont si souvent victimes les Afro-Américains sont-elles parfois commises par des agents fédéraux (FBI, DEA…) ou bien sont-elles exclusivement imputables aux forces de polices locales ?
Les bavures sont le plus souvent le fait des forces de police locales qui sont, par définition, au contact quotidien avec la population. Ce sont ces policiers locaux qui interviennent au jour le jour sur le terrain et dont certains membres se rendent coupables de violences et bavures.
Caro : Comment s’étaient terminées les émeutes de 1992 à Los Angeles ? Et y a-t-il eu des améliorations du traitement des minorités par la police depuis ?
Les émeutes de 1992 à Los Angeles, après l’acquittement des policiers ayant passé Rodney King à tabac, avaient pris fin avec l’intervention de l’armée et s’étaient soldées par la mort de plus de 50 personnes, plus de 2 300 blessées, des milliers d’arrestations et près d’un milliard de dollars de dommages matériels.
Après ces événements, en pleine campagne électorale pour la présidentielle qui a mené Bill Clinton à la Maison Blanche, la réponse choisie a été de durcir la répression policière. La loi fédérale « Violent Crime Control and Law Enforcement Act » de 1994, adoptée avec le soutien des deux principaux partis politiques, a durci l’arsenal sécuritaire.
Depuis les années 1980, les forces de police américaines se sont militarisées (équipement et tactiques) et on voit le résultat de ce type de durcissement encore aujourd’hui. C’est toute la culture de la police qu’il faut changer pour que les policiers retrouvent le rôle qui devrait être le leur de « protecteurs », et non pas de « guerriers ». Telle était l’une des recommandations de la « Task Force » mise en place par Obama à la fin 2014 pour réformer en profondeur les relations entre la police et la population américaine. Ces recommandations ont été enterrées avec l’arrivée de Trump à la Maison Blanche.
Reda : Est-ce qu’on peut considérer que la mort de George Floyd n’est que la goutte qui a fait déborder le vase, traduisant un malaise profond de la société américaine, surtout après la crise déclenchée par la pandémie Covid-19 ?
Les protestations révèlent le grave malaise qui touche les Etats-Unis aujourd’hui : outre les graves inégalités sociales et raciales que la crise du Covid-19 rappelle et accentue – n’oublions pas que les Africains-Américains sont touchés deux fois et demie plus que les Blancs par l’épidémie –, on voit encore une fois combien ce pays est divisé politiquement. Beaucoup d’Américains ressentent l’urgence qu’il y a à réformer le pays et à trouver le moyen de lutter efficacement contre le racisme systémique et les inégalités, mais ils ne sentent pas entendus. D’où la colère actuelle.
Billy Gibbons : Les leaders communautaires noirs, notamment liés aux églises et aux associations de lutte pour les droits civiques, ont-ils prise sur ces manifestations ?
L’influence des leaders de la communauté noire est à la fois réelle et limitée, en particulier chez les plus jeunes, qui ont le plus tendance à descendre dans la rue. On avait déjà ce même phénomène de clivage générationnel dans les années 1960 à l’époque du mouvement du Black Power.
Les manifestants les plus jeunes trouvent que les discours modérés et réformistes d’appel au calme venant des églises ou des associations de défense des droits civiques n’apporteront pas de réponse au problème. A cela s’ajoute aujourd’hui le fait que les protestations rassemblent très largement, au-delà de la communauté noire.
Lafayette : Quel est le risque que la crise s’aggrave ? Une guerre civile est-elle possible ?
Le risque est grand que les protestations aggravent la crise du Covid-19 dans un pays déjà très fortement éprouvé. Or cette crise sanitaire touche de manière disproportionnée les Américains de milieux défavorisés, dont un très grand nombre d’Africains-Américains.
Quant à la peur que les événements ne débouchent sur une guerre civile, le simple fait que cette éventualité soit évoquée et qu’elle reflète à la fois la militarisation des forces de l’ordre et l’extrême polarisation du pays doit amener à réfléchir et, surtout, à agir de manière urgente.
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