« Nana » d’Émile Zola en coupé-décalé par Annick Choco, Franck Edmond Yao et Ordinateur – JeuneAfrique.com

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La troupe La Fleur revisite le roman « Nana » à la MC 93 de Bobigny. En s’entourant de quelques-uns des danseurs ivoiriens les plus doués de leur génération.


Sur scène, filles et garçons lèvent la jambe très haut en soulevant leur t-shirt au-dessus du nombril dans un simulacre de French cancan, avant d’enchaîner avec des pas de coupé-décalé. Annick Choco avance vers le public, un sourire provocant au bord des lèvres : « Ce qui compte en ce moment, c’est ma présence… ce type de présence qui donne la chaleur. » En quelques secondes, la température a augmenté de 20 degrés. Et la danseuse, qui interprète Nana, nous a fait passer d’un cabaret parisien du XIXe siècle à un maquis poisseux d’Abidjan aujourd’hui.

Nana sauce arachide

Lors d’une des répétitions de “Nana, ou est-ce que tu connais le bara ?”, à Bobigny. © DR / Felix Schoeller

La troupe de La Fleur fait de Nana un outil puissant et souvent hilarant pour comprendre les sociétés européennes et africaines contemporaines

Drôle de projet que cette relecture sauce arachide de Nana, Nana ou est-ce que tu connais le bara, qui se joue à la Maison de la culture de Bobigny du 12 au 16 février. A priori, le roman d’Émile Zola publié en 1880 a peu à voir avec l’Afrique de l’Ouest d’aujourd’hui. Il raconte l’ascension fulgurante, puis la chute, d’une cocotte – une prostituée de luxe – sous le Second Empire.

Mais la troupe de La Fleur, sous la direction pour ce spectacle de Monika Gintersdorfer et Franck Edmond Yao, en fait un outil puissant et souvent hilarant pour comprendre les sociétés européennes et africaines contemporaines.

C’est la deuxième fois qu’ils s’essaient à l’exercice, il y avait eu précédemment le spectacle Les nouveaux aristocrates, un travail à partir du roman de Balzac La Fille aux yeux d’or.

« Quand j’ai lu Nana pour la première fois, je me suis reconnu dans ce personnage, avoue Annick Choco. Moi aussi j’ai galéré, moi aussi j’ai dû sortir avec des mecs pour de l’argent. » Et l’ancienne danseuse de Serge Beynaud de rappeler la triste condition de ses consœurs. « Les femmes qui se lancent dans ce métier sont très peu payées, souvent exploitées, exposées à beaucoup de mensonges… pour la génération des Koffi Olomidé, elles peuvent aussi devenir des maîtresses du chanteur. »

« La go vend son gésier »

Chez nous on dirait que Muffat, c’est un pigeon, c’est le gars qui va se faire plumer… et Nana la go qui vend son gésier

Durant le spectacle, les danseurs donnent de la voix et jouent la comédie. Ordinateur Zoropoto (ex-danseur star de DJ Arafat) s’improvise rappeur. « Je chante un texte qui s’appelle « mouche dorée », qui reprend un passage du bouquin de Zola que j’ai transformé », explique le jeune homme. « Ça raconte que Nana est comme une mouche qui viendrait gâter l’aristocratie. »

Franck Edmond Yao, alias « Gadoukou la star », qu’on a pu voir aux côtés des vedettes du coupé-décalé Lino Versace et Boro Sanguy, interprète dans le spectacle le comte Muffat, un noble qui tombe fou amoureux de Nana et se fait plumer par la belle.

Pendant la pièce, tout en dansant, il décortique le roman en ponctuant ses monologues d’expressions nouchi – l’argot ivoirien -. « Chez nous on dirait que Muffat, c’est un pigeon, c’est le gars qui a beaucoup de plumes, qui va se faire plumer… et Nana la go qui vend son gésier. Vous savez le gésier c’est cette partie délicieuse qu’il y a dans le poulet une fois qu’on a écarté les cuisses. »

L’un des danseurs, lors de la répétition de “Nana ou est-ce que tu connais le baba?” © DR / Felix Schoeller

Les choses ont changé ! Aujourd’hui tu peux voir du hip-hop même à l’Opéra

La troupe de La Fleur s’amuse à bousculer les conventions du théâtre européen. Les comédiens-danseurs-chanteurs improvisent constamment, interpellent le public dans un mélange de langues pas toujours facile à suivre (allemand, français, nouchi), viennent danser près des rangées…

« L’idée c’est de changer l’image du théâtre, explique Franck Edmond Yao. Pourquoi les immigrés africains ne viennent pas dans des lieux qui sont pourtant parfois à côté de chez eux ? Parce qu’ils ont peur d’être obligés d’écouter un texte auquel il ne vont rien comprendre, dans une salle toute noire, fermée après le début du spectacle. Alors que nous, Africains, aimons bien prendre le temps de nous préparer, venir avec un peu de retard… Mais les choses ont changé ! Aujourd’hui tu peux voir du hip-hop même à l’Opéra. »

Le spectacle va sans doute en désarçonner certains et en enjailler beaucoup. Mais la troupe s’engage à laisser les portes ouvertes tout le long de la représentation.

Nana ou est-ce que tu connais le bara, de Monkika Gintersdorfer et Franck Edmond Yao, troupe La Fleur, du 12 au 16 février à la MC 93 de Bobigny.



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JeuneAfrique