Témoignage: « Ma mère est une criminelle », j’ai dû me reconstruire

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Béatrice, 18 ans, n’a jamais pu compter sur sa mère, alcoolique. La situation a dégénéré le jour où cette dernière a poignardé son petit ami lors d’une violente dispute. Béatrice vit désormais dans une famille d’accueil et tente de reconstruire sa vie.

« J’ai appris à prendre soin de moi-même depuis que je suis toute petite. Aussi loin que je m’en souvienne, ma mère a toujours été alcoolique. Elle est artiste et souffre de graves sautes d’humeur en raison de son trouble bipolaire. Elle amenait toujours des gens peu fréquentables à la maison. Il lui est arrivé d’arrêter de boire durant de courtes périodes, mais en règle générale, elle ne se préoccupait que d’elle et de son alcool.

La police venait régulièrement sonner chez nous. Il n’était pas rare que ma mère se dispute avec ses amis marginaux, et que les voisins appellent la police à cause du bruit. Elle a déjà menacé de se suicider et appelé les services d’urgence elle-même.

Il m’arrivait d’aller vivre quelques jours chez ma grand-mère pour me remettre de mes émotions, mais je devais toujours finir par y retourner. Elle était déjà arrivée complètement ivre aux réunions de parents. Les professeurs devaient bien voir que ma situation familiale n’était pas saine ?! Pourtant, personne n’a jamais tiré la sonnette d’alarme.

Lorsqu’il lui arrivait – très rarement – d’être sobre, ma mère changeait alors radicalement de comportement. Soudain, elle commençait à faire excessivement attention à moi: elle préparait mon petit-déjeuner et m’écrivait des lettres d’amour. Elle me conduisait partout et me serrait dans ses bras à longueur de temps. C’était très étouffant. Elle se remettait ensuite à boire et reprenait son attitude habituelle… Je me retrouvais alors à nouveau livrée à moi-même. Ma vie n’était pas rose, mais je n’avais jamais connu autre chose. Lorsque je suis partie vivre chez ma grand-mère, l’une de mes tantes m’a emmenée pour la première fois dans un centre commercial pour m’acheter des vêtements neufs. Ça n’était jamais arrivé.

Heureusement que ma grand-mère était là. Quand j’y réfléchis, maman n’a jamais été une vraie mère pour moi. C’est ma grand-mère qui a endossé ce rôle, dès ma petite enfance. Vivre chez elle m’apaisait énormément. Tout était à l’opposé de chez moi. Elle m’apportait de l’attention, de l’amour, me préparait des bons petits plats. Chaque soir, elle m’aidait à faire mes devoirs et on jouait ensuite à un jeu. Elle a été mon ange gardien et moi, ‘sa petite protégée’ comme elle disait. Honnêtement, je ne sais pas comment j’aurais tenu le coup sans elle.

J’avais onze ans. Ma mère était en couple depuis un moment, et son copain buvait aussi beaucoup. Cette relation était tumultueuse; ils se disputaient sans cesse et se rabibochaient aussi vite. Un jour, alors que j’étais en train de regarder la télévision dans la chambre de ma mère, je les ai entendus se disputer. Puis à se frapper. J’ai essayé de m’isoler dans ma bulle… jusqu’à ce que j’entende un des amis de ma mère, qui était également présent, hurler: « Mais qu’est-ce que tu as fait? Tu l’as tué! » Je suis alors descendue et j’ai vu ma mère complètement sous le choc.

Son compagnon était étendu sur le sol, il y avait du sang partout et un couteau. Elle l’avait poignardé »

J’ai aidé ma mère à appeler le 112 et je me suis ensuite enfouie à vélo chez ma grand-mère. Avec cette phrase qui tournait dans ma tête « ma mère est une criminelle, que vais-je devenir? ».

Je n’aime pas repenser à cet épisode de ma vie. Je pense avoir refoulé beaucoup de choses, car la période qui suit l’accident reste assez floue. Je ne sais plus si j’ai été interrogée par la police ou si j’ai revu ma mère. Je sais seulement que ma grand-mère a pris soin de moi, qu’elle est restée très calme et m’a soutenue. Finalement, l’homme n’est pas mort: il a quitté l’hôpital au bout de quelques jours. Mais le drame était déjà paru dans la presse. Le nom de ma mère était associé à une tentative de meurtre et notre nom n’était pas très répandu dans notre village. Tout le monde était au courant.

Les trois années qui ont suivi ont été les plus belles de ma vie. Le juge pour enfants m’a laissé vivre avec ma grand-mère.

Pendant ces trois ans, ma vie a été stable, rassurante et remplie d’amour. Nous avions une routine apaisante et j’ai pu me sentir à nouveau en sécurité. J’étais tout pour ma grand-mère »

Elle s’est énormément sacrifiée pour moi, mais c’était une femme forte. On vivait dans notre bulle, à deux. Avec du recul, je me dis que sa façon de s’occuper de moi comme d’une éternelle enfant n’était peut-être pas idéale, car la réalité m’a frappée d’autant plus fort par la suite. Mais je suis heureuse d’avoir vécu ces années avec elle. Ma mère a été libérée après huit mois de prison. Elle venait parfois me rendre visite, mais j’étais heureuse de rester chez ma grand-mère.

« Après trois ans, le sort a encore frappé. Ma grand-mère a été victime d’un cancer et elle a rapidement été en phase terminale. Nous l’avons suppliée de commencer une chimiothérapie, mais elle a refusé. Finalement, elle a choisi de mourir par euthanasie. Quelques mois avant de décéder, elle a demandé à mon oncle et ma tante s’ils voulaient bien m’accueillir dans leur famille après sa mort. Ils avaient déjà deux fils. Au final, ce n’était pas très juste de leur demander ça… Mais comment refuser le dernier souhait d’une personne qui se sait condamnée? Quoi qu’il en soit, ils ont immédiatement accepté et j’ai déménagé chez eux.

Je me suis rendue chaque week-end chez ma grand-mère, jusqu’à sa mort. On ne s’est pas vraiment dit adieu, mais elle m’a donné un petit singe dont le dos était brodé d’un « je t’aime ». Je l’ai toujours avec moi! »

Cette période de transition n’a pas été simple. Je n’avais jamais vraiment vécu dans une famille auparavant. Je me suis retrouvée dans un foyer avec d’autres enfants et des parents qui travaillaient. Quand j’étais chez ma grand-mère, je recevais toute l’attention dès que je rentrais de l’école. Désormais, c’était un peu différent. Au début, j’ai essayé à plusieurs reprises de monter ma mère biologique contre ma tante et mon oncle. Ma mère n’était pas très heureuse que je vive chez son frère et son épouse, et je pense qu’elle essayait aussi de me monter contre eux. Et cela a parfois réussi… je n’en suis pas fière. J’ai vraiment blessé ma tante à l’époque, j’en suis désolée. Je pense que j’aurais voulu que ma mère se batte pour moi. Mais j’ai vite réalisé qu’elle n’avait pas changé. Avec le temps, j’ai trouvé ma place dans ma nouvelle famille, et j’ai compris à quel point ma vie était désormais sereine, et à quel point ma tante était comme une vraie maman pour moi.

Le pire est arrivé l’an dernier. Ma mère a insisté pour que je passe Noël avec elle. Elle a fait une énorme scène à ce propos… J’ai donc fini par accepter, mais le jour J, elle n’a pas arrêté de reporter ce qui était prévu. Au final, elle ne m’a pas autorisée à venir chez elle avant 10 heures du soir. Le jour du réveillon! Fâchée, j’ai commencé à ignorer ses appels téléphoniques et ses SMS… Elle n’a pas arrêté de m’appeler. Elle a aussi menacé ma tante via des dizaines de messages vocaux et appelé ses amis.

Quand elle a finalement menacé de lui trancher la gorge, j’ai explosé. On a déposé plainte auprès de la police »

Et je ne l’ai plus vue depuis. Je ne veux plus la voir. Elle pense que ma tante et mon oncle me montent contre elle. Elle ne comprend pas que je grandis juste et que je comprends de mieux en mieux la situation.

Pourrais-je un jour lui pardonner? Je ne sais pas. J’ai accepté le fait qu’elle n’irait jamais mieux. Je ne peux pas m’imaginer un avenir stable à ses côtés, donc je préfère ne plus la voir. Elle m’a trop fait espérer, et beaucoup trop déçue. Ma vie est plus paisible sans elle. J’ai encore du chemin à faire pour surmonter mon passé, et certains jours sont plus faciles que d’autres. Je montre peu mes sentiments. Je suis très réservée et peu de gens connaissent mon histoire. J’ai connu des périodes sombres ces dernières années, mais aujourd’hui ça va mieux.

J’ai entamé une thérapie il y a deux ans. Au début, j’avais honte: aller chez un psychologue, ça voulait dire que j’étais folle, non? Je le vois différemment maintenant, je sais que je ne pouvais pas m’en sortir seule »

J’ai aussi suivi des thérapies de groupe avec d’autres jeunes dont les parents souffraient de troubles psychologiques. Ça fait du bien de savoir que je ne suis pas un cas isolé… J’ai parfois l’impression que la vie des autres est tellement plus facile! Mais ma tante dit souvent que chaque famille a une zone d’ombre, et je pense que c’est vrai. Aujourd’hui, je sens que j’ai trouvé ma place dans ma famille adoptive. Je fais partie de la famille, au même titre que mes deux frères adoptifs.

J’ai commencé des études d’infirmière. J’ai eu un job d’étudiante dans une maison de repos et découvert que j’aimais beaucoup travailler avec les personnes âgées. Ils apportent beaucoup d’amour et sont très reconnaissants lorsque vous discutez avec eux. En tous cas, j’aimerais beaucoup travailler comme infirmière dans une maison de repos. J’aimerais aussi avoir une maison, un jardin, un chien… mais ce sera plus tard. Pour le moment, je ne ressens pas le besoin d’être en couple. Je veux d’abord pleinement me réconcilier avec moi-même.

Je suis très reconnaissante envers les personnes qui ont pris soin de moi: ma grand-mère et ma famille d’accueil. Ma tante et mon oncle font le maximum pour moi, ils m’ont offert la possibilité de faire des études, ce qui n’aurait pas été possible avec ma mère. Ils me considèrent comme leur propre enfant et je ne manque de rien. J’ai beaucoup de chance: ils font le maximum pour m’aider et ne me laissent jamais tomber. Je suis également très reconnaissante envers mes frères d’accueil, mon superviseur de famille d’accueil et mon thérapeute. Je n’aurais jamais pu aller aussi loin sans eux. Grâce à eux, je suis prête à prendre mon avenir en main.

Grandir dans un environnement insécurisant

Nous avons interrogé Lies Scaut (psychothérapeute spécialiste des enfants et des jeunes) et Erik de Soir (docteur en psychologie et en sciences sociales et militaires et psychologue spécialiste des traumatismes aigus et chroniques de la petite enfance).

Lies Scaut: « Un enfant a besoin de grandir dans un environnement stable et sûr pour apprendre à s’attacher aux autres sans méfiance. C’est important pour son équilibre émotionnel futur, et pour qu’il  puisse nouer des relations équilibrées. Si l’enfant grandit dans un environnement insécurisant et violent, comme celui qu’a connu Béatrice, il va se refermer sur lui-même. Béatrice a aussi dû endosser très jeune certaines tâches parentales. Elle a perdu son insouciance d’enfant bien avant l’âge et c’est une chose qu’on ne peut pas retrouver par la suite. »

Quelle conséquence peut avoir le traumatisme subi lors d’un drame aussi violent?

Erik De Soir: « Il est évident qu’on n’oublie jamais une telle chose, mais on peut aider l’enfant à le surmonter en expliquant la situation d’une manière honnête et compréhensible pour lui; en expliquant pourquoi les adultes sont parfois violents, par exemple. Vouloir protéger complètement l’enfant de ce qui est arrivé et en faire un sujet tabou ne fait qu’empirer les choses. Parfois, les enfants se retrouvent dans des familles d’accueil où ils sont réduits au silence concernant ce qui est arrivé. Ils se retrouvent alors avec un tas d’émotions et d’images en tête qu’ils ne peuvent exprimer. J’ai rencontré des personnes qui n’ont pu commencer une thérapie qu’après vingt ou trente ans, à cause de ce silence. »

Quels sont les conséquences lorsqu’on ne traite pas un tel traumatisme?

Lies Scaut: « Les enfants sont très résistants. Ils n’ont pas toujours besoin de psychothérapie, mais ils ont en tout cas besoin d’une explication honnête et juste d’un adulte quant à la situation, afin qu’il puisse replacer les choses dans leur contexte et comprendre ce qui est arrivé. L’école peut également jouer un rôle important à cet égard. Si la situation n’est pas éclaircie et reste mal comprise par l’enfant, celui-ci risque de développer de l’angoisse et d’être prisonnier d’un terrible secret dont il ne peut parler à personne. Il sera moins facile d’arriver à débloquer la situation. »

Comment soigner le stress post-traumatique?

Erik De Soir: « En fin de compte, il faut, tôt ou tard, se confronter à l’événement traumatisant. Nous ne les confrontons pas d’emblée avec ce qui est arrivé, même si certains thérapeutes le font. La thérapie des traumatismes est vue comme un processus, composé de différentes phases qui se succèdent cycliquement: la stabilisation et la lutte contre les symptômes les plus dérangeants (par des exercices de respiration, de méditation et de relaxation) et puis, seulement, la confrontation avec la situation liée au traumatisme. Après cela, il faut à nouveau passer par une phase de stabilisation. Idéalement, l’intégration de l’événement et la reconstruction terminent le processus. Après la thérapie, le patient peut à nouveau investir plus d’énergie dans sa vie, en ne sera plus bloqué par tout ce qui évoque de près ou de loin l’événement traumatique. »



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