en Côte d’Ivoire, Steven, couturier reconverti dans les masques

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Steven Ndukwé dans son petit atelier, à Abidjan, en avril 2020.
Steven Ndukwé dans son petit atelier, à Abidjan, en avril 2020. YOUENN GOURLAY

A l’étage de son petit atelier, Steven Ndukwé touche presque le plafond. Eclairé par une simple lampe de chevet, l’imposant couturier, concentré, déroule les longs rouleaux de coton qu’il vient de se faire livrer. Pour lui, finis les slips, les débardeurs et autres tricots pour enfants qu’il confectionnait et vendait par milliers chaque semaine. Le Nigérian a dû s’adapter aux nouveaux besoins des clients en fabriquant ses propres masques de protection, appelés ici cache-nez – le masque revêtant davantage une connotation mystique. L’accessoire, devenu essentiel, est omniprésent dans les rues d’Abidjan.

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Pour la première fois de sa longue carrière, le couturier de 56 ans, installé depuis la fin des années 1990 à Abidjan, a provisoirement dû fermer sa boutique, comme toutes les autres du grand marché d’Adjamé pour désinfection. Il en est sûr, il ne rouvrira pas de sitôt. « Plus personne ne vient acheter les habits pour enfant, la priorité est ailleurs », souffle-t-il derrière son cache-nez fait maison.

« Le patron », comme tout le monde l’appelle ici, ne quitte plus son modeste lieu de fabrication situé dans une petite cour dédiée aux couturiers. Une nouvelle activité « pour soutenir l’Etat », comme il le dit fièrement, mais aussi son porte-monnaie et celui de ses employés.

Jusqu’à 2 000 masques par jour

Si beaucoup se sont lancés dans les cache-nez en coton molletonné – plus efficaces – ou en tissu – plus esthétiques –, Steven a opté pour une matière à bas coût qui se rapproche visuellement des masques chirurgicaux que l’on trouve dans les pharmacies et les hôpitaux. Dès l’entrée de son atelier, les couleurs disponibles sont affichées comme en boutique : orange, bleu et violet. Il dit en confectionner jusqu’à 2 000 par jour depuis une semaine. « La couture, c’est mon don, je peux tout fabriquer si j’ai le bon matériel », assure-t-il.

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Steven a dû faire des choix et ne garder que cinq de ses quinze couturiers habituels. La petite équipe besogne sept jours sur sept et tourne à plein régime dans une mécanique déjà bien huilée. Le patron coupe la matière première à l’aide d’un ciseau électrique, Seydou prend les mesures et ajuste à la taille standard, Ouattara assure les plis d’usage, Frédéric coud les derniers rebords blancs quand Déborah et Youssouf donnent les derniers coups de ciseaux avant de glisser douze cache-nez du même coloris dans chaque sachet plastique.

Même si les besoins sont importants, la production est bien moins bonne qu’avant. « Le chiffre d’affaires est trop bas maintenant. Avant, je payais mes quinze employés 20 000 francs CFA [30 euros] chacun par jour. Désormais, c’est environ 15 000 francs CFA alors qu’ils ne sont plus que cinq. Mais ça nous permet toujours de manger, donc on continue », raconte-t-il, dans un mélange de français et d’anglais.

Et maintenant les paires de gants

Hanna, sa femme, était secrétaire dans une église. Mais les lieux de culte ont fermé pour lutter contre le Covid-19, alors elle n’a plus aucun revenu et tient compagnie à son mari. Même chose pour la petite amie de Youssouf, commerçante entre Abidjan et l’intérieur du pays, pour qui l’activité est à l’arrêt depuis l’isolement de la capitale économique. Mais durant cette période de galère, Steven n’a laissé personne sur le carreau. « Malgré la situation, le patron continue d’aider les anciens couturiers pour que tout le monde mange », souligne Youssouf Dembélé, l’un de ses employés.

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La fabrication de cache-nez permet aussi aux vendeuses ambulantes de proposer des marchandises utiles en cette période de restrictions pour la plupart des familles. Elles sont plusieurs à venir passer commande à Steven. « La semaine dernière encore, je vendais des bijoux mais, maintenant, plus personne n’en veut, les gens n’achètent presque plus rien dans la ville. J’ai six enfants, mon mari est mort, c’est ma seule solution », reconnaît Soukrate, le regard ému et fatigué, un lot de masques de l’atelier de Steven à la main.

Alors qu’en Côte d’Ivoire, des masques chirurgicaux arrivent en avion par dizaines de milliers dans le cadre du plan de riposte mis en place par l’Etat, ils sont avant tout destinés au personnel médical. Si ces cache-nez informels ne sont pas reconnus par les institutions médicales, ils ont le mérite de protéger et de rassurer un peu une population qui n’aurait de toute façon pas les moyens de s’acheter les protections aux normes. Vendus par les commerçantes entre 250 et 500 francs CFA en fonction de la qualité et de la négociation – 3 à 6 fois moins chers qu’en pharmacie –, ils sont aussi réutilisables. « Vous le lavez à l’eau chaude ou au fer à vapeur chaque soir et c’est bon », conseille le couturier.

Et Steven ne compte pas s’arrêter là, il envisage de confectionner le deuxième accessoire du moment : la paire de gants, que de nombreux professionnels sont désormais obligés de porter. « Je cherche encore la bonne matière pour le faire, mais je trouverai », assure-t-il.

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Ils sont couturier, femme de ménage, menuisier ou vendeur. Certains n’ont pas de contrat, pas de protection sociale ou travaillent même exclusivement dans le secteur informel. Depuis le début de l’épidémie due au Covid-19 et les mesures de confinement prises dans leurs pays respectifs, ils ne peuvent plus poursuivre leur activité comme avant, au risque de ne plus pouvoir faire vivre leur famille.

Selon les chiffres publiés en 2018 par l’Organisation internationale du travail (OIT), le Maroc connaît un taux d’emploi informel de 79,9 %, l’Algérie de 63,3 % et la Tunisie de 58,8 %. A l’échelle de toute l’Afrique, cette proportion s’élève à 85,8 %. Le Monde Afrique a suivi cinq de ces travailleurs, au Maroc, en Côte d’Ivoire, au Sénégal et au Rwanda. Ils racontent comment ils tentent de s’adapter au jour le jour à ce confinement qui met gravement en péril leurs conditions de vie.

Portrait n°1 Au Maroc, la double peine de Zeyna, mère célibataire
Portrait n°2 En Côte d’Ivoire, Kadio à l’affût des derniers chantiers
Portrait n°3 Au Sénégal, Moïse craint un confinement total
Portrait n°4 A Abidjan, Steven, couturier reconverti dans les masques

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