[ad_1]
« J’ai passé mon enfance à manger de la tourtière et à la détester. La tourtière est un plat traditionnel québécois qui se mange surtout en hiver, pour les fêtes. C’est de la viande hachée de porc et de veau, des oignons, un peu d’épices, le tout en croûte. Dans ma famille, c’était toujours trop cuit et très sec : pour avaler ça, il fallait mettre beaucoup de ketchup aux fruits, une sorte de chutney. Quand la tourtière était servie en minitartelettes, le rapport farce-pâte était complètement déséquilibré… Mais la pire, c’était sans doute celle de ma mère, qui n’aimait pas la viande et préparait ce plat par obligation, parce que c’était la tradition. Elle réalisait la pâte avec du shortening, une espèce de margarine bon marché insipide. Elle n’y mettait pas de cœur, et ça se sentait. D’ailleurs, cela fait longtemps qu’elle est devenue végétarienne. Quant à moi, j’ai décrété à mon adolescence que je ne voulais plus manger de tourtière de ma vie.
« Au quotidien, on mangeait très “français” : des croissants le dimanche matin, des poireaux vinaigrette, du bon vin. »
En dépit de cette aversion particulière, j’ai toujours été gourmande. Mes parents cuisinaient beaucoup – mon père avec passion. C’était un épicurien, qui chérissait la cuisine française. Pour moi, la gastronomie était aussi une façon de me rapprocher de lui. Lors de mon premier voyage en France, à 11 ans, je me rappelle qu’on épluchait les guides pour trouver les meilleurs bistrots. La Cuisine du marché, de Paul Bocuse, était l’un de ses livres fétiches. Il aimait faire des plats sophistiqués, du carré d’agneau, de la mousse d’épinard, du saumon à l’oseille. Au quotidien, on mangeait très “français” : des croissants le dimanche matin, des poireaux vinaigrette, du bon vin. Mon père m’emmenait aussi au marché Jean-Talon, à Montréal, alors qu’à l’époque ce n’était pas un lieu populaire. Le Québec a beaucoup changé ces cinquante dernières années, spécialement en termes d’alimentation, dans les cuisines comme dans les champs.
Je suis entrée au quotidien La Presse en 1988, j’ai couvert la politique, les affaires, la consommation. Quand j’ai pris la tête de la section “Style de vie”, qui parle aussi de comment le monde change, j’ai commencé à traiter de restaurants, de gastronomie et d’agroalimentaire. Pour moi, tout est lié. J’écris sur des millions de sujets, mais je m’aperçois que l’alimentation est souvent au milieu de tout, au centre de nos vies, et qu’il est important de faire les bons choix, les choix justes et savoureux.
La tourtière, j’y suis revenue quand le chef Martin Picard s’en est mêlé. Ce cuisinier a ouvert Au Pied de cochon, à Montréal en 2001, et s’est mis en tête d’arranger nos plats nationaux, toute la cuisine que j’ai détestée dans mon enfance, pour la remettre sur les rails. Il a fait ça avec la poutine (au foie gras), le pouding-chômeur (pain perdu), le ragoût de pattes de cochon, et la tourtière, bien sûr… Il a mis plein de beurre dans la pâte, pour faire un effet “pâte feuilletée”, il a ajouté des champignons, une pomme de terre et de la viande effilochée pour donner du goût et du moelleux, des épices bien dosées… C’est devenu un plat délicieux, qui m’a réconciliée avec ces classiques d’antan. »
L’avenir est dans le champ, de Jean-Martin Fortier et Marie-Claude Lortie, Les Éditions La Presse, 2019.
[ad_2]
Source link
Have something to say? Leave a comment: