confinés depuis des semaines déjà, ils racontent le délitement du temps

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Le semainier de Marianne Daquet, dans son appartement, à Pékin.
Le semainier de Marianne Daquet, dans son appartement, à Pékin. MARIANNE DAQUET

Pour Marianne Daquet, expatriée en Chine, l’horloge s’est arrêtée le 30 janvier, lorsque l’école française où sont scolarisées ses deux filles de 8 ans et 9 ans a fermé ses portes, pour freiner la propagation du Covid-19. Depuis, comme tous les habitants de Pékin, elle et sa famille vivent confinés dans leur appartement, regardant s’égrener les jours et les semaines, ne sortant que pour faire les courses, parfois un peu plus, pour faire un tour. « Au début, l’école devait rouvrir le 17 février ; ensuite, c’était le 23 mars ; puis le 6 avril. Aujourd’hui, on ne sait même plus, on n’a plus de nouvelles », raconte cette professeure d’arts plastiques, qui a dû fermer l’école qu’elle avait créée début février.

Marianne Daquet s’efforce de fixer précisément les choses et les dates dans sa tête. Elle a créé un semainier, dans lequel elle recense les événements familiaux. Sur les murs de son appartement, elle affiche des règles, des pense-bêtes, des mots doux, des idées, des souvenirs, des réussites.

Depuis deux mois qu’elle vit confinée, le plus difficile, dans cette vie recluse à inventer, est de maîtriser le temps.

« Au bout de quelques jours de confinement, très vite, le temps vous échappe. Les journées se ressemblent. La notion de week-end se brouille. On a l’impression d’être dans ce film où le personnage revit sans arrêt la même journée, “Un jour sans fin” [d’Harold Ramis, 1993]. »

« Le futur devient abstrait »

Le cap est difficile à maintenir, convient sur Facebook la Française de 41 ans qui vit en Chine depuis quatorze ans, et documente son quotidien et livre des conseils à l’attention des Français confinés depuis mardi 17 mars.

« Au début, on ne faisait pas attention, on se retrouvait parfois à prendre le petit-déjeuner à 11 heures et à traîner en pyjama… Pourquoi faire un effort pour s’habiller alors qu’il ne va rien se passer ? On se couchait trop tard, on n’était jamais fatigué, faute d’être peu exposé à la lumière du dehors… Assez vite cela mène à des baisses de moral, un état semi-dépressif. »

Depuis, elle et son mari, enseignant au Lycée français de Pékin, ont établi une routine, des horaires, pour éviter, comme elle le dit, le « délitement du temps ». Mettre un réveil, faire un planning, garder une activité physique, s’exposer un minimum à la lumière du jour, fixer des horaires de travail, ne pas se coucher trop tard : ces conseils reviennent dans les bouches de tous ceux qui ont déjà quelques semaines de confinement derrière eux.

Et pas seulement ceux qui vivent avec des enfants. Julie Deschepper, 30 ans, historienne en post-doc à l’Institut universitaire européen de Florence (Italie), n’est confinée que depuis dix jours. Mais elle a déjà pu appréhender les effets potentiellement délétères de cette vie recluse.

« Au début du confinement, je ne faisais rien, je n’arrivais pas à m’organiser, je stressais. On se dit qu’on a le temps pour faire plein de trucs, mais, dans les faits, on n’en a pas forcément l’envie ou la force. Au bout du sixième jour, j’ai trouvé un rythme. »

Avec ses trois colocataires, ils ont mis en place des séquences de sport, des moments de jeux, de calme ou des discussions collectives planifiées.

Vue sur Florence, depuis la piazzale Michelangelo, le 10 mars.
Vue sur Florence, depuis la piazzale Michelangelo, le 10 mars. CARLO BRESSAN / AFP

Ce qui fascine cette jeune chercheuse, c’est ce nouveau rapport à l’espace et au temps qui se dessine jour après jour.

« Notre perception du dehors change. On ne se déplace pas de la même façon. Les journées passent très vite et très lentement. Et puis, le futur devient abstrait. Dans mon travail, tous les événements que je préparais sont reportés ou annulés. Je suis en télétravail, c’est devenu de moins en moins intense. L’idée même de deadline a perdu son sens. »

Promiscuité familiale

Le confinement dans la durée, c’est aussi la découverte d’une nouvelle promiscuité familiale. Un mode de vie expérimenté les week-ends ou en vacances, mais rarement au quotidien, et sur la durée. Comment conserver un peu d’intimité ? Comment éviter les tensions ? Comment satisfaire son besoin de calme et de tranquillité ? « A la maison, tout le monde peut vite exploser », livre Claire Frota, Française de 47 ans expatriée à Pékin avec son mari et ses deux ados, confinés depuis fin janvier. Difficile pour son fils de 13 ans de passer la journée devant l’ordinateur pour ses cours, puis de débrancher des écrans. La surchauffe du réseau Wi-Fi est source de frustrations pour tout le monde.

Eviter l’explosion, c’est aussi le défi d’Anne Portier, en quarantaine avec son mari et ses enfants de 4 ans et 7 ans dans leur appartement à Shanghai – une obligation depuis leur retour d’un voyage en France la semaine dernière. Elle a mis en place des « règles de la maison », et utilise un système de « mauvais points » et de « bons points » qu’elle distribue dans la journée, avec, à la clé, des récompenses. Autant d’astuces pour maintenir la paix sociale, alors que la famille n’a pas le droit de mettre un doigt de pied dehors – ils se font déposer leurs courses et doivent envoyer deux fois par jours une photo des thermomètres à un médecin.

Et puis, comment préserver des conversations d’adultes, quand tout l’appartement se cale peu à peu sur le même rythme, que la coupure avec le monde du travail ou de l’école n’existe plus ? « Quand on vit tous ensemble tout le temps, on perd la relation exclusive à l’autre », observe Mariane Daquet, qui s’inquiète aussi de l’affaiblissement des hiérarchies parents-enfants.

« C’est une telle promiscuité qu’il n’y a plus de barrières, mes filles ont de plus en plus tendance à se placer au même niveau que moi, c’est troublant. »

Quant aux relations entre frères et sœurs, elles sont parfois tendues :

« Je commence vraiment à voir l’impact du manque de socialisation chez mes filles. A force de ne voir personne d’autre, elles sont à cran. Et il faut respecter au maximum les zones et moments d’intimité de chacun. »

Dans un parc du centre de Shanghai, le 17 mars.
Dans un parc du centre de Shanghai, le 17 mars. ALY SONG / REUTERS

Lâcher prise

D’autres sujets de crispation apparaissent à mesure que les semaines défilent, en premier lieu le rangement, noria perpétuelle lorsque l’on vit en permanence à l’intérieur. Sur ce sujet, Sandra, expatriée à Pékin avec deux enfants de 4 ans et 6 ans, reconnaît qu’elle a un peu « lâché l’affaire ». Dans ce domaine ou dans d’autres, ceux que nous avons interrogés assument une forme de lâcher prise, pour pouvoir tenir le coup. « On ne peut pas être tout le temps dans la contrainte. Il y en a déjà tellement », reconnaît Anne Portier, 40 ans.

Marianne Daquin, de son côté, raconte qu’elle ne met « pas trop la pression » sur les cours à ses filles de 8 ans et 9 ans. Nicolas, le mari de Sandra, en convient :

« L’école, c’est l’apprentissage de la vie sociale, des autres. On se rend vite compte que cette dimension fondamentale de l’école leur manque. On n’est pas des instit’, c’est un métier. Il ne faut pas lâcher le travail scolaire, mais cela ne sert à rien d’être hyper exigeant là-dessus. »

Pour garder le moral, tous conseillent de se déconnecter régulièrement de l’actualité et des réseaux sociaux. De profiter de son temps pour resserrer les liens avec sa famille par les messageries…, d’appeler des amis, de prendre des nouvelles de collègues. Pour Julie, depuis Florence, en Italie :

« Tous les jours à 18 heures, on danse sur les balcons avec les voisins, on passe vingt minutes à se défouler, à chanter “Its’Gonna be Alright”, de Jain. »

« Ne pas culpabiliser si on ne fait rien »

Cette période est aussi l’occasion de regarder des films, prendre des cours en ligne, écrire, trier des photographies ou des vêtements, s’occuper de son appartement, prendre le temps de cuisiner… « On peut aussi explorer de nouvelles formes de sexualité virtuelle, lancer des apéros avec des amis sur Skype ou Zoom », complète Julie. Mais sans forcément s’imposer des objectifs. Pour Marianne Daquet, à Pékin :

« Un des conseils les plus importants, c’est de ne pas se mettre la pression pour absolument tirer quelque chose de ce moment. Ne pas culpabiliser si on ne fait rien. Je me disais que la créativité venait du vide. Mais moi, pendant plusieurs semaines, j’ai été hébétée. »

Dans sa colocation, Julie a mis en place un concours façon « Top chef », où chacun évalue, prend en photo, commente le menu concocté par le cuisinier du jour. A la fin, la coloc imprimera un album souvenir avec toutes leurs recettes imaginées pendant cette période. Ils espèrent qu’il sera le moins épais possible.

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