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Le coronavirus, dont l’épidémie est partie de Wuhan en décembre, serait « une arme biologique parfaite » ou « une bioarme expérimentale qui a mal tourné ». Ces soupçons, très partagés sur les réseaux sociaux, auraient été confirmés par le juriste américain Francis Boyle, ancien professeur de droit international, auteur de Guerre biologique et terrorisme. Retour sur les attaques terroristes à l’anthrax (2006).
A l’origine de cette vague d’articles, une interview vidéo du 30 janvier 2020 accordée par ce même Francis Boyle à Geopolitics & Empire, une chaîne YouTube spécialisée dans les podcasts. L’approche y est volontiers complotiste, anxiogène et catastrophiste : on y parle de nouvelle guerre froide, d’Etat profond (« deep state »), du spectre d’une crise économique historique et de troisième guerre mondiale.
L’entretien dure une trentaine de minutes. L’ancien juriste y fait montre d’un mélange d’expertise datée, de confusions et de raisonnements conspirationnistes. Francis Boyle le reconnaît par ailleurs en cours d’interview : il n’est pas vraiment spécialiste de l’épidémie en cours, tient nombre de ses informations d’Internet, et fonde ses conclusions sur le rasoir d’Ockham, principe selon lequel l’explication la plus simple est la meilleure. Cela n’a pas empêché ses affirmations d’être massivement reprises sur Internet. Nous les avons passées en revue.
La ville de Wuhan abrite-t-elle un laboratoire à virus mortels ?
Ce qu’il dit :
« Si vous faites une recherche Google pour savoir si la Chine possède un laboratoire P4, Wuhan arrive en premier. Il est en haut de la liste. »
VRAI
La source est insolite, a fortiori pour un expert, mais il s’agit d’une affirmation correcte : il existe bel et bien à Wuhan, la capitale de la province de Hubei, un laboratoire de haut confinement (P4, pour « pathogène de niveau 4 », le niveau maximum).
Celui-ci appartient au Zhongguo kexueyuan wuhan bingdu yanjiusuo, ou institut de virologie de Wuhan et est officiellement le seul laboratoire P4 actuellement en activité en Chine continentale, sachant qu’il en existe une cinquantaine dans le monde. D’autres sont prévus à Harbin et Pékin.
Sa construction a été achevée en 2015. Il a obtenu sa certification de laboratoire haute sécurité par les autorités chinoises en janvier 2017. Depuis août 2017, il est missionné prioritairement par Pékin pour effectuer des recherches sur Ebola, Nipah et la fièvre hémorragique de Crimée-Congo. Le SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère causé par un autre coronavirus, apparu en 2002-2003 en Chine) fait partie de ses projets d’étude à terme.
Les scientifiques de Wuhan ont-ils « rendu le SRAS plus mortel » ?
Ce qu’il a dit :
« A mon avis [les scientifiques de l’institut de virologie de Wuhan] ont fait des recherches sur le SRAS et ont essayé de le renforcer en améliorant ses propriétés fonctionnelles, c’est-à-dire en le rendant plus mortel. En effet, selon le dernier rapport, il [le virus responsable du Covid-19] a un taux de létalité de 15 %, ce qui est plus élevé que le SRAS à un taux d’infection de 83 %. »
FAUX
L’idée que le virus ait pu être créé par des scientifiques a été formellement démentie par l’institut de virologie de Wuhan, et les avancées rapides de la communauté scientifique accréditent la défense du laboratoire chinois. « Il n’y a absolument rien dans la séquence génomique de ce virus qui indique qu’il ait pu être créé par ingénierie génétique. La possibilité qu’il s’agisse d’une arme biologique sciemment diffusée peut être exclue de manière certaine », atteste ainsi Richard Ebright, professeur de biologie chimique à l’université de Rutgers, cité par le Washington Post.
Du reste, Francis Boyle n’est pas au point sur les chiffres : si le taux de 15 % a bel et bien été avancé en début d’épidémie, il a largement été revu à la baisse, une contre-enquête ayant soulevé que les patients asymptomatiques n’avaient pas été pris en compte. Selon les derniers chiffres de l’OMS, le taux de létalité du Covid-19 est plutôt de 3,4 %, avec un indice de contagiosité compris entre 1,5 et 3,5, contre respectivement 9,6 % et 2,8 pour le SRAS. En somme, et contrairement à ce qu’affirment les lectures complotistes, en l’état des connaissances, le virus responsable du Covid-2019 est en réalité moins mortel que le SRAS et guère plus contagieux.
L’institut de virologie de Wuhan est-il piloté par l’OMS ?
Ce qu’il a dit :
« C’est un laboratoire de recherche spécialement conçu par l’OMS. L’OMS est impliqué dedans et savait exactement ce qui s’y passe. »
FAUX
L’institut de Wuhan est avant tout le fruit d’une décision de la Chine, seule souveraine en matière de politique de santé publique et de recherche scientifique. Sa construction a été décidée après l’épidémie de SRAS de 2003.
Ledit laboratoire a été conçu en partenariat avec la France sur le modèle de celui de l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale), à Lyon. Son objectif principal est d’étudier Ebola et d’« apporter une aide dans la lutte contre le virus en Afrique », où la Chine a de nombreux intérêts stratégiques, déclarait le ministre de la santé chinois lors de son inauguration.
Il doit par ailleurs servir à protéger la population de l’empire du Milieu des risques sanitaires liés à sa politique d’expansion. Comme l’expliquait en mai 2019 Han Xia, professeure associée à l’institut de virologie de Wuhan, « en raison de la stratégie chinoise de la nouvelle route de la soie [ensemble de projets de liaisons ferroviaires et maritimes pour favoriser le commerce mondial autour de la Chine], les chances que des pathogènes exotiques soient amenés dans le pays ont augmenté de manière spectaculaire ».
De son côté, l’Organisation mondiale pour la santé publie un manuel des bonnes conduites à destination des laboratoires de haut confinement, édicte des règles de sécurité liée aux virus émergents comme le Covid-19, ou encore aiguille les analyses d’échantillons vers les laboratoires spécialisés, mais n’est pas décisionnaire.
Les laboratoires P4 ont-ils un objectif uniquement militaire ?
Ce qu’il a dit :
« Tous ces laboratoires P4, aux Etats-Unis, en Europe, en Russie, en Chine, en Israël, sont tous là pour chercher, développer et tester des agents biologiques offensifs. Il n’existe pas d’autres raisons d’avoir un laboratoire P4. »
FAUX
La plupart des laboratoires P4 sont des laboratoires civils, dont la mission est avant tout de santé publique : étudier les virus les plus mortels ou contagieux (les fièvres hémorragiques à Solna en Suède, les herpès mortels à Atlanta aux Etats-Unis, la vérole et Ebola à Koltsovo en Russie…) et leur trouver des remèdes.
Ironiquement, la crise du coronavirus a mis en évidence ce rôle. L’institut de virologie de Wuhan revendique ainsi « un certain nombre de découvertes cruciales et opportunes, incluant la publication du génome complet du virus, l’identification de souches virales pour le développement de vaccins et de médicaments, ainsi que la création de modèles d’essais sur les animaux et le diagnostic des patients ».
Il existe également des laboratoires P4 militaires, mais qui ont avant tout, au moins officiellement, un rôle défensif. C’est le cas de l’US Army Medical Research Institute of Infectious Diseases à Maryland, qui est chargé depuis 1969 de « protéger les soldats américains des menaces biologiques ». Ces laboratoires se sont multipliés dans les années 2000 après les attaques à l’anthrax et la crainte d’attaques bioterroristes.
En France, le laboratoire de la direction générale de l’armement, ouvert en 2013, répond ainsi à un choix stratégique : « Face au risque nucléaire, radiologique, bactériologique et chimique (NRBC), il convient d’anticiper les évolutions de la menace en maintenant une avance technologique dans le domaine de la protection. » Jointe par le Monde, la direction générale de l’armement explique que sa mission ne diffère guère, aujourd’hui, de celle d’un laboratoire civil.
La Chine a-t-elle volé des souches de coronavirus au Canada ?
Ce qu’il a dit :
« Il a également été rapporté que des scientifiques chinois ont volé du matériel lié au coronavirus au laboratoire canadien de Winnipeg. »
FAUX
Francis Boyle relaie ici une rumeur formellement démentie par la Public Health Agency of Canada (PHAC) dans un article de vérification d’AFP factuel. La confusion pourrait venir de l’annonce, en août 2019, d’une livraison par le Canada de souches Ebola et Nipah à Pékin.
Les laboratoires P4 fabriquent-ils des armes de guerre biologique offensives ?
Ce qu’il a dit :
« Fondamentalement, les laboratoires P4, et nous en avons plein aux Etats-Unis, servent à développer des armes de guerre biologiques à caractère offensif, par l’ingénierie génétique. »
RIEN NE LE PROUVE
Jusqu’à présent, et sauf preuve du contraire, aucun Etat n’a utilisé de tel virus comme arme offensive. Comme le rappelait dans une communication de 2017 Lynn Klotz, administrateur scientifique du Centre pour le contrôle des armes et la non-prolifération, « d’un point de vue tactique et militaire, les pathogènes potentiellement pandémiques ne seraient pas une bonne arme biologique, car ils reviendraient comme un boomerang à l’agresseur, en raison de leur caractère hautement contagieux ». De telles armes seraient plutôt, selon lui, l’apanage de groupes terroristes suicides ou d’Etats désespérés.
La possibilité de créer une « arme biologique offensive » existe néanmoins. La communauté scientifique vit depuis le début de la décennie dans la crainte d’une pandémie causée par un virus génétiquement modifié, en l’occurrence la grippe aviaire A (H5N1), au taux de mortalité estimé à environ 50 %.
Dans sa forme naturelle, le virus n’est pas transmissible par voie aérienne. Mais en 2012, deux expériences menées dans des laboratoires P4 aux Pays-Bas et au Japon ont permis au virus d’être transmissible par l’air, le rendant, de fait, plus dangereux encore.
Le spectre d’une utilisation à mauvais escient plane depuis. Mais dans le cas du virus H5N1, les chercheurs n’étaient pas mal intentionnés : il s’agissait de prouver sa mutabilité pour alerter les responsables sanitaires sur « la nécessité de se préparer à de potentielles pandémies », concluait l’étude japonaise.
Des fuites de virus ont-elles déjà eu lieu à Wuhan ?
Ce qu’il a dit :
« Je ne dis pas que ce virus a été lâché dans la nature de manière volontaire, mais il y a eu de précédents rapports de fuites venant de ce laboratoire [celui de Wuhan] par le passé, et je crains que ce soit ce à quoi nous avons affaire aujourd’hui. »
FAUX
Francis Boyle confond deux laboratoires chinois de niveaux de sécurité différents. Il a bien été question d’une fuite d’un virus hautement pathogène, mais il s’agissait de celui responsable du SRAS, en 2004, à l’institut de virologie de Pékin, classé P3. A deux semaines d’intervalles et de manière indépendante, deux de ses chercheurs avaient accidentellement contracté le virus. Le responsable régional de l’OMS pour le Pacifique-Ouest, Shigeru Omi, avait alors évoqué « des erreurs, des manquements ». Cinq cadres de l’institut avaient été sanctionnés par Pékin.
Les inquiétudes occidentales quant à une possible fuite émanant de l’institut de virologie de Wuhan existent depuis longtemps. La revue scientifique Nature en faisait mention en 2017. « Son faible niveau de sécurité avait été pointé du doigt par plusieurs visiteurs français, mais c’était il y a une quinzaine d’années, les choses ont évolué depuis », nuance dans 20 Minutes Antoine Izambard, auteur de France-Chine : Les liaisons dangereuses (éditions Stock).
En septembre 2019, dans un article académique sur l’évolution de la biosécurité des laboratoires de son pays, Guizhen Wu, de l’institut national pour la prévention et le contrôle des maladies virales de Pékin, se félicitait de la rapidité et de l’efficacité avec laquelle la Chine s’était mise à niveau, mais regrettait le manque de personnel qualifié et l’absence de grille d’évaluation précise en matière de fiabilité de ses laboratoires. Rien toutefois qui prouve que des fuites aient déjà eu lieu.
En règle générale, les laboratoires P4 présentent-ils des risques de fuites ?
Ce qu’il a dit :
« Tous les laboratoires P4 ont des fuites, tout le monde sait ça. »
C’EST PLUTÔT VRAI
De nombreuses précautions encadrent le travail au sein d’un laboratoire de haut confinement, comme le port de combinaisons spéciales, assorti d’un protocole très strict, et des équipements extrêmes, comme des portes de sous-marin, des douches chimiques et des incinérateurs de déchets. Indice de leur niveau de sécurité : même l’explosion qui a eu lieu en 2019 dans le laboratoire russe de haut confinement où sont étudiés Ebola et la variole n’a pas entraîné de fuite.
Néanmoins, le risque zéro n’existe pas. En 2017, le centre pour le contrôle des armes et la non-prolifération chiffrait à 31 % les risques que le monde soit confronté dans les dix ans à une pandémie causée par un virus issu d’un laboratoire P4. En février 2019, le Bulletin of the Atomic Scientists – revue créée par d’anciens scientifiques à l’origine de la bombe atomique, et spécialisé dans les répercussions graves des activités humaines – évoquait de son côté « une menace pandémique probable », pointant du doigt l’inéluctabilité d’erreurs humaines. En 2003, un chercheur taïwanais de 44 ans travaillant dans un laboratoire P4 a ainsi été atteint par le SRAS en essayant de désinfecter à la main un module de transfert du virus. Quatre-vingt-dix personnes avaient dû être placées en quarantaine.
Il ne s’agit pas d’un cas isolé. En 2016, le Government Accountability Office (GAO), l’organisme d’audit du Congrès américain, recensait 21 incidents liés à des transferts indus de pathogènes hautement transmissibles vers des laboratoires de sécurité moindre, dont huit cas d’anthrax et deux d’Ebola et de Marburg. Dans la majorité des situations, le processus d’inactivation – procédé chimique rendant inopérant un virus et permettant de le manipuler dans le cadre de la création d’un vaccin – n’était pas allé jusqu’à son terme, et un virus dangereux s’était retrouvé là où il ne devait pas être. En 2014, deux tubes contenant respectivement une souche d’Ebola active et l’autre inactive avaient ainsi été intervertis par inadvertance, et le virus actif, envoyé dans un laboratoire P2. Heureusement, l’erreur avait été remarquée le lendemain, et le laboratoire P2, prévenu à temps.
Ces différents ratés n’ont pour l’instant jamais entraîné de contamination à l’extérieur, et rien n’atteste que le laboratoire de Wuhan soit à l’origine de la crise du coronavirus. Un article sur le portail scientifique ResearchGate incriminant l’institut de virologie de Wuhan a d’ailleurs été dépublié après que chercheurs et internautes y ont relevé plusieurs incohérences et erreurs factuelles.
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