« On peut se demander si Weinstein a intérêt à faire appel »

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Harvey Weinstein arrive au tribunal de Manhattan, le 24 février à New York.
Harvey Weinstein arrive au tribunal de Manhattan, le 24 février à New York. John Minchillo / AP

Le producteur de cinéma Harvey Weinstein a été reconnu coupable d’agression sexuelle et de viol – mais pas d’agression sexuelle en série –, lundi 24 février. Lors d’un tchat, Arnaud Leparmentier, correspondant du Monde aux Etats-Unis qui a suivi le procès devant un tribunal de Manhattan, a répondu aux questions des internautes du Monde.fr.

Youssef : Bonjour. J’ai toujours l’impression qu’il y a une justice à deux vitesses dans les pays occidentaux, y compris aux Etats-Unis. Si Weinstein avait été afro-américain ou latino, il aurait pris perpétuité. N’avez-vous pas également cette impression ?

Je ne rentre pas dans ce jeu. Le sujet est le procès d’Harvey Weinstein. Celui-ci s’est déroulé sereinement et nul ne dit que la sentence est injuste. C’est mon sentiment personnel après avoir assisté à de nombreuses audiences. Sa peine n’est pas connue [elle sera prononcée le 11 mars]. Elle sera comprise entre cinq et vingt-neuf ans de prison.

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Cédric : On a vu les images d’un pauvre Harvey Weinstein se traînant avec un déambulateur. Etait-ce de la comédie pour amadouer les jurés ou est-il vraiment diminué physiquement ?

Weinstein était diminué physiquement. Il a eu cet été un accident de voiture et a été opéré du dos. Je l’ai vu arriver sans son déambulateur à une des séances. Il marche effectivement avec difficulté. La défense n’a pas été autorisée à citer un médecin lors du procès.

Quentin : Harvey Weinstein a-t-il évité le pire ? Si oui, était-ce prévisible du fait de son statut, ou son jugement correspond à ce qui est décidé habituellement dans ce genre d’affaires ?

On ne connaît pas encore la durée de sa peine. S’il est condamné à cinq ans, ce n’est pas pareil qu’une peine de vingt-neuf ans. Il a évité le pire en n’étant pas condamné pour agression en série et comportement « prédatoire », selon le vocable américain. Il aurait eu une peine minimale de vingt-cinq ans, équivalant à la perpétuité vu son âge. L’acteur Bill Cosby a été condamné en 2018 à une peine de trois à dix ans de prison, peine non fixe, confirmée en appel.

Colsk : Il n’y avait pas prescription pour ces agressions a priori. La prescription existe aux Etats-Unis, elle est de combien de temps ? Savez-vous par ailleurs la prescription française pour les mêmes délits ?

En France, la prescription pour viol sur majeure a longtemps été de 10 ans et a été prolongée à vingt ans. Aux Etats-Unis, la prescription existe, mais les détails sont compliqués, varient d’Etat en Etat. Ce que je retiens : de nombreux cas n’ont pas été examinés, faute de preuve, en raison de la prescription ou en raison du souhait de certaines victimes d’éviter l’épreuve douloureuse d’un procès.

Les deux cas pour lesquels Weinstein a été condamné remontaient à 2006 et 2013, soit un peu plus de dix ans. En revanche, les jures n’ont pas reconnu Weinstein coupable d’un viol présumé ayant eu lieu en 1993-1994 qui était prescrit mais aurait pu étayer le caractère de prédateur et l’envoyer en prison à perpétuité. Cette longue circonvolution pour montrer que les jurés au fond n’ont pas voulu le condamner sur une accusation vieille d’un quart de siècle.

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Jean : Doit-on s’attendre à un aménagement de peine étant donné son accident ainsi que ce qui lui reste (ou pas ?) de fortune personnelle ?

Weinstein a été admis à l’hôpital à l’issue du verdict. Il est très rare de sortir de prison pour raison de santé. L’escroc Bernard Madoff condamné à 150 ans de prison se dit mourant et a demandé à sortir de prison. Ce sera un test de la mansuétude envers les anciens puissants. Mais il ne faut pas se tromper sur l’argent : elle sert à payer les avocats, payer des enquêteurs, réduire au silence les victimes, sortir de prison sous caution avant la condamnation, mais après, lorsque vous êtes condamné, vous allez en prison. Regardez les amis de Donald Trump. Quand c’est de la délinquance en col blanc – ce qui n’est pas le cas de Weinstein –, on peut aller dans une prison aux contraintes légères. Vu le poids politique de l’affaire, je pense que Weinstein passera de longues années en prison.

Mark : Peut-on être plus précis sur ce qui lui était reproché et ce qui a été finalement retenu ?

Rapidement, Weinstein était accusé d’agression sexuelle (un cunnilingus forcé) contre Mimi Haleyi en 2006. Il a été reconnu coupable de ce crime et encourt de 5 à 25 ans de prison.

Il était accusé de viol contre Jessica Mann en 2013. Il a été acquitté de l’accusation de viol avec violence qui lui aurait valu de 5 à 25 ans de prison, mais reconnu coupable de viol avec impossibilité pour la victime de donner son consentement. Cette qualification, dont je pense qu’elle n’existe pas en France, lui vaudra jusqu’à 4 ans de prison.

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Enfin, Weinstein a été acquitté d’agression sexuelle en série (comportement prédatoire). Pour cela, il aurait fallu qu’il soit reconnu coupable du viol de l’actrice Annabella Sciorra en 1993-1994 : sur ce point, le jury l’a acquitté.

Tom : Sa culpabilité ayant été reconnue uniquement sur la base des déclarations des plaignantes sans autres preuves matérielles, quelles sont les chances de Weinstein d’être acquitté en appel ?

Il n’y a pas de preuve matérielle, mais il y a eu le témoignage d’une amie de Mimi Haleyi, qui a été mise au courant en temps réel des agissements de Weinstein. Cette accusation est très forte, c’est d’ailleurs elle qui vaut à Weinstein sa condamnation la plus grave.

En appel, je ne peux me prononcer, mais je pense qu’il a très peu de chances de gagner sur ce point : les jurés ne l’ont condamné que sur les faits accablants (cf l’acquittement sur le cas Sciorra et la condamnation au fond légère dans le cas Mann). Mais le dossier Haleyi est très solide. On peut même se demander s’il a intérêt à faire appel, ayant évité la condamnation la plus lourde. Peut-être attend-il le prononcé de sa peine.

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ultras1984 : Si DSK a pu obtenir un arrangement financier avec la femme de ménage, comment se fait-il qu’un homme si riche ne soit pas parvenu à s’entendre avec les deux plaignantes ?

Excusez-moi, mais votre présupposé est faux. Le procureur Cyrus Vance a abandonné en 2011 les poursuites parce qu’il estimait qu’il n’arriverait pas à faire condamner Dominique Strauss-Kahn (DSK). Explication, dans une conversation sous écoute, Nafissatou Diallo, sa victime, avait dit à un ami en prison : « Ne t’inquiète pas, ce type a plein d’argent. Je sais ce que je fais. » En une seconde, le dossier s’est écroulé : jamais un jury ne condamne à l’unanimité quelqu’un alors que sa victime espère en tirer de l’argent. C’est en tout cas ce que fut le raisonnement du parquet. La fin de l’action pénale n’a pas empêché des poursuites civiles, et DSK a dû indemniser Nafissatou Diallo.

Sur Weinstein, on était ici dans le premier volet pénal de l’affaire. Il y en aura une autre en Californie. De nombreuses victimes ont préféré attaquer au civil, un accord a été annoncé à plusieurs reprises, mais il n’a pas été confirmé.

Damien : Aux Etats-Unis, estimez-vous que l’affaire Weinstein soit un véritable coup de tonnerre sociétal, qui va durablement influencer les relations entre les êtres humains, ou bien pensez-vous que, dans ce pays, c’est l’aboutissement d’un long processus de judiciarisation de la société ?

L’affaire Weinstein a été un coup de tonnerre mondial, qui change la donne. Un documentaire explique bien comment on est passé d’un état d’esprit généralisé « les actrices couchent pour avoir un rôle » à « les actrices sont en fait violées par leur producteur qui exerce une emprise sur elles ». Cela ne change pas vraiment la judiciarisation permanente de la société américaine. Les poursuites pénales existaient déjà : contre Polanski dans les années 1970, on en a beaucoup parlé, mais aussi contre Bill Cosby, avant l’affaire Metoo, contre l’entraîneur de l’équipe de gymnastique américaine Larry Nassar (condamné à 60 ans de prison en 2017).

D’un autre côté, vous avez un « balancier », avec un président des Etats-Unis élu alors qu’il a pu se vanter de « prendre les femmes par la chatte », un juge à la Cour suprême investi en dépit des accusations d’agression – certes dans les années 1980. On a donc une tension entre ces tendances. Le mérite du jugement Weinstein – c’est une opinion personnelle –, c’est qu’il est mesuré. Il n’y a pas de lynchage de Weinstein, une condamnation qui apparaît raisonnable et correspond aux débats. On ne jugeait pas « metoo » ou la vie abjecte de Weinstein. On le jugeait pour trois cas précis. Et c’est dans doute ce qu’il y a de plus efficace pour le combat des femmes.

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Damien : L’affaire Weinstein a mis des années à éclater (comme l’affaire Gabriel Matzneff en France). En sait-on plus sur la « machination » qui a rendu possible cette mise au jour ? Les ennemis du producteur ont décidé que le moment était venu, pourquoi ? Et pourquoi pas plus tôt, ce qui aurait peut-être épargné d’autres victimes ?

Ce n’est pas une machination. Beaucoup soupçonnaient le comportement de Weinstein, mais il achetait le silence d’une partie de ses victimes via des transactions tandis que beaucoup pensaient qu’il avait les moyens de foudroyer leur carrière et leur vie. Le New Yorker avait tenté d’enquêter dès le début des années 2000, mais n’avait rien pu publier faute de témoignages. Finalement, à force d’enquêtes des journalistes du New York Times et du New Yorker, des femmes ont eu le courage de parler à visage découvert, et c’est ce qui a révélé toute l’affaire. Aux Etats-Unis, la presse est libre, mais si vous publiez des accusations fausses ou non étayées, le risque est immense.

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