Au Soudan du Sud, la guerre sans fin des éleveurs surarmés

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Un éleveur et son troupeau près de la ville d’Udier, au Soudan du Sud, en mars 2019.
Un éleveur et son troupeau près de la ville d’Udier, au Soudan du Sud, en mars 2019. SIMON MAINA / AFP

Malgré les risques d’attaques, les bergers sont venus. Depuis les « cattle camps » éparpillés des kilomètres à la ronde, ils ont convergé vers le village de Maper, pour bénéficier de la campagne de vaccination du bétail conduite par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR). C’est la quatrième année consécutive que ce programme a lieu à Rumbek North, région centrale du Soudan du Sud où se côtoient différents clans dinka.

Ici, il n’y a ni réseau téléphonique, ni radio, ni télévision, ni journaux. La route qui relie Maper à Rumbek, la capitale régionale à 100 kilomètres au sud, est impraticable à cause des pluies la moitié de l’année. Et à quelques kilomètres au nord, on arrive en territoire nuer, sous contrôle de l’opposition armée dirigée par l’ancien vice-président Riek Machar, un Nuer, principal opposant au président Salva Kiir, un Dinka, dans la guerre civile qui a éclaté en décembre 2013. Les populations de Rumbek North, isolées, survivent grâce au bétail, surtout lorsque les inondations et la violence réduisent les récoltes à peau de chagrin, comme cela a été le cas fin 2019.

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Fin novembre, des combats ont éclaté entre le clan de Maper et celui du village voisin, Malueeth. Trois jours de violence qui ont fait 79 morts et 101 blessés. Le CICR a même évacué ses employés par hélicoptère ainsi que 29 blessés graves pour les soigner à l’hôpital militaire de Juba, la capitale du pays. C’est seulement deux mois plus tard, fin janvier, que l’organisation a pu reprendre la vaccination, les formations aux premiers secours et au respect des droits de base à destination des « Gelweng », les « protecteurs du bétail » en dinka.

Ces jeunes hommes ont un look très travaillé. Cheveux décolorés par l’application d’une mixture de cendres et d’urine de vache, ils sont coiffés d’une plume ou d’un foulard rouge en signe de danger, portent un bracelet d’ivoire et d’autres amulettes de protection autour des poignets. Ils portent aussi un AK-47 en bandoulière et n’hésitent pas à s’en servir pour défendre leur « cattle camp » ou venger l’un des leurs.

« Des meurtres par vengeance »

C’est dans les années 1990 que les bergers dinka ont été armés par le Mouvement/Armée de libération du peuple du Soudan (SPLM/A) de John Garang, pour protéger les communautés civiles des attaques de la faction rivale de Riek Machar et des Nuer, en pleine guerre contre le gouvernement de Khartoum. Depuis, les gardiens de troupeaux ont conservé leurs armes et les violences interclaniques sont devenues de plus en plus meurtrières. D’autant que l’émergence d’un nouveau conflit national en 2013, deux ans après l’indépendance du Soudan du Sud, a rendu le désarmement total des Gelweng impossible.

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« Nous refusons d’être désarmés », admet Mathiang Gur, venu vacciner ses vaches à Maper, djellaba à fleurs et kalachnikov posée sur les genoux. « Si nos voisins sont désarmés, nous pourrons l’accepter aussi. Mais pour l’instant, Riek Machar est toujours dans le maquis et on nous attaque aussi depuis les Etats voisins. Nous devons défendre notre bétail », ajoute-t-il. Pourtant, selon lui, les violences communales ne sont pas causées par le bétail : « Ce sont des meurtres par vengeance, des tueries sans fin. » En novembre, c’est l’assassinat d’un commerçant de Malueeth par des jeunes de Maper qui a déclenché la vague de violence.

Machot Kur a reçu une balle dans le dos lorsque lui et ses collègues de Malueeth ont lancé une attaque contre Maper le lendemain du meurtre, pour venger la victime. Evacué par le CICR et soigné à Juba, puis revenu au village, il a toujours du mal à marcher et jure qu’il ne veut plus participer à ces violences. « La situation est toujours tendue, observe-t-il. Nous attendons que le gouvernement fasse quelque chose. Sinon, les gens se font justice eux-mêmes. »

« C’est très facile d’acheter des armes »

Prises de court et sans aucune capacité d’intervention lorsque les combats ont éclaté, les autorités locales ont dû attendre que des soldats gouvernementaux soient déployés depuis Rumbek, le quatrième jour. La Mission des Nations unies au Soudan du Sud (Minuss), dont une base abandonnée, envahie par la végétation et criblée de balles, subsiste au centre de Maper, a envoyé soixante-quinze casques bleus dans les semaines qui ont suivi. Et, depuis, à part des incidents isolés qui n’ont pas dégénéré en affrontements de masse, une paix apparente règne sur les deux villages.

Sur le site de la vaccination destinée aux bergers de Malueeth, les jeunes hommes luttent pour faire entrer les troupeaux dans l’enclos où attendent quatre vaccinateurs munis de pistolets seringues. Les vaches aux cornes immenses beuglent, se débattent, finissent par céder face à la ténacité et à l’agilité de leurs gardiens.

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Mathiang Dony et quelques autres Gelweng se tiennent debout à quelques mètres de l’enclos. Son AK-47 contre lui, il explique qu’ici à Rumbek North, « c’est très facile d’acheter des armes. Parfois, ce sont des soldats qui en échangent contre des vaches ». Mais Mathiang imagine très bien, un jour, garder ses troupeaux sans armes à feu. « Nous espérons que la paix à Juba sera couronnée de succès et que le gouvernement nous désarmera. précise-t-il. Ensuite, oui, nous garderons nos vaches avec des bâtons ! »

L’urgence d’un désarmement des civils

Le commissionner de Maper, Moses Maker Majok, estime que « la situation aujourd’hui est OK ». Il affirme « contrôler les jeunes » et dit avoir arrêté les auteurs de l’assassinat du commerçant de Malueeth, « qui vont être présentés à la justice, lorsque des tribunaux mobiles seront mis en place, avec participation des chefs traditionnels et des autorités de l’Etat », un processus soutenu par la Minuss. Il est convaincu qu’une fois « le gouvernement formé, à Juba, avec Riek Machar, un désarmement sera conduit partout au Soudan du Sud. Alors, les armes arrêteront de retourner dans les mains des civils ».

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Akuel Ciagor, chassée de son village par les violences, parle à voix basse, pudique. Son unique fils a été tué sur le chemin de l’école en novembre, « alors qu’il ne savait même pas qu’il y avait des combats ». Pourtant, Akuel ne veut pas la vengeance : « Il y a ceux qui disent qu’il faut le venger. Mais ensuite, quelqu’un d’autre va encore mourir, cela ne s’arrêtera jamais. La seule chose que je veux, c’est la paix. Je suis prête à pardonner. »

Pendant les premiers jours de février, alors que Rumbek North vivait au rythme de la mise en place d’un processus de justice et de paix pour les familles des victimes, des combats opposaient deux clans de Rumbek East, faisant plus de soixante-dix morts. Une démonstration de plus de l’urgence d’un désarmement général des civils, alors que le processus de paix au Soudan du Sud entre dans une phase critique. La formation d’un gouvernement d’unité nationale est prévue pour le 22 février.

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