« Le modèle fédéral belge n’unit pas, il dissocie »

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Publié aujourd’hui à 12h44

« Triptyque », de Marcel Broodthaers, 1966. Peintures sur toile et coquilles d'œufs, 100 x 70 x 8 cm.
« Triptyque », de Marcel Broodthaers, 1966. Peintures sur toile et coquilles d’œufs, 100 x 70 x 8 cm. Estate Marcel Broodthaers courtesy Marian Goodman

Vincent de Coorebyter est le président du Centre de recherche et d’information sociopolitiques (CRISP) et professeur de philosophie sociale et politique à l’Université libre de Bruxelles. Il connecte la crise belge actuelle, qui fait resurgir le spectre du séparatisme, à celles que vivent plusieurs pays européens.

Quatre missions d’« information » ont déjà tenté, en vain, d’ébaucher un gouvernement pour la Belgique. Mission impossible ?

Le pays vit une crise politique qui n’est pas encore existentielle, mais pourrait le devenir s’il fallait retourner aux urnes ou si l’impasse s’avérait complète. On peut parler d’une crise de régime, de l’incapacité à le faire fonctionner. Cette situation est inédite et ne doit pas être sous-estimée. Lors de la crise de 2010-2011, avec 541 jours sans exécutif, il y avait une exigence institutionnelle, flamande et incontournable, à traduire en actes, ainsi qu’une feuille de route. Cette fois, il n’y en a même pas…

Les partis sont-ils incapables de parvenir à de nouveaux compromis ?

Les limites paraissent atteintes, en raison d’éléments spécifiquement belges, et d’autres qui ne le sont pas. On observe, en particulier dans des pays pratiquant le scrutin proportionnel, des difficultés à mettre en place des gouvernements : en Allemagne et aux Pays-Bas en 2017 ; en Espagne, en Israël, en Italie en 2018 et 2019. Les clivages politiques se durcissent et se multiplient, ce qui rend la négociation de compromis plus difficile que par le passé.

En Belgique et en Europe, un nombre croissant de partis refusent de poursuivre dans la voie néolibérale qui a dominé depuis les années 1980, sur le plan économique, environnemental, civilisationnel. Des formations de gauche résistent de plus en plus fortement à l’idée d’accompagner la logique de mondialisation, de dérégulation, des inégalités de revenus, etc. Une volonté se répand d’en finir avec l’effritement des droits sociaux et de la sécurité sociale, justifié par l’orthodoxie budgétaire ou la position concurrentielle des entreprises. L’intégration européenne, dans sa version « grand marché ouvert », est elle aussi visée.

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La critique du productivisme et de ses effets délétères, portée notamment par les Verts, est devenue un autre facteur de complexité, rendant plus périlleuse la négociation d’accords ménageant la chèvre et le chou.

La poussée de partis populistes de droite traduit en outre le malaise croissant d’une partie des opinions face à l’évolution d’une société multiculturelle dont les frontières semblent encore ouvertes. D’où des peurs identitaires, des sentiments de déclassement social, sur fond de poussée de l’islam politique et d’une impression que les bases anthropologiques s’effondrent, puisqu’une gauche multiculturaliste interroge aussi la domination hétérosexuelle, la question du genre, ou milite pour les droits de toutes les minorités sexuelles. Enfin, on note une difficulté de plus en plus nette à accepter les compromis politiques et la loi de la majorité.

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