Avec le Brexit, la France s’apprête à perdre ses conseillers municipaux britanniques

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Guy Cadet, maire de la commune de Nieuil (Charente), et Jane Corbett, conseillère municipale, le 15 janvier.
Guy Cadet, maire de la commune de Nieuil (Charente), et Jane Corbett, conseillère municipale, le 15 janvier. SIMON AUFFRET / « LE MONDE »

La scène remonte au mois de novembre 2003, mais reste imprimée dans la mémoire de Benoît Savy : l’actuel maire de Montrollet (Charente), 312 habitants, à la frontière du bocage limousin, est alors de retour dans la région après plusieurs années d’absence. Il ouvre un soir sa porte à un inconnu, cheveux blancs et regard vif, qui se présente comme membre du conseil municipal. « Son accent était prononcé, je n’en revenais pas, en rigole encore l’édile. Le premier élu à me souhaiter la bienvenue, pour mon retour au pays, était un Britannique ! »

Le « Britannique », assis face à lui dans la mairie de Montrollet, dix-sept ans plus tard, s’appelle Colin Parfitt. En 2001, Le Monde avait déjà rencontré cet ancien professeur d’université londonien, l’un des premiers Anglais à devenir conseiller municipal en France. Une possibilité ouverte pour tout résident européen, cette année-là, à la suite du traité de Maastricht de 1992.

Cet engagement dans la vie locale est pourtant amené à disparaître, le 31 janvier, avec l’officialisation du Brexit : les 766 élus locaux de nationalité britannique, et avec eux l’ensemble des citoyens anglais expatriés, ne pourront ni voter ni se porter candidats aux élections municipales. En Charente, où vivent 6 300 ressortissants britanniques, 70 conseillers municipaux sont concernés.

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« Le phénomène est symptomatique d’une déconnexion entre les grands enjeux politiques et la vie des petites communes, déplore Benoît Savy. On ne s’attendait pas à ce que la sortie du Royaume-Uni, qui bouscule l’Union européenne [UE], débarque à la table d’un conseil municipal de Charente limousine. »

A Montrollet, Colin Parfitt a laissé sa place à un autre Anglais, Norman Cox, aux municipales de 2014. Son successeur a demandé à obtenir la double nationalité dès le début de l’année 2018, espérant ainsi pouvoir participer aux élections de 2020 malgré l’incertitude du Brexit. « Dix-huit mois plus tard, je n’ai pas de réponse, se désole l’artisan en bâtiment, arrivé en Charente à la fin des années 1990. Je crains qu’à quelques semaines près, je ne puisse inscrire mon nom sur la liste. »

« Ma vie est ici »

A 40 kilomètres plus à l’ouest, dans une autre salle de conseil municipal, l’inquiétude est la même. « Les Anglais d’ici, ils n’aiment pas trop “Bojo” [Boris Johnson, le premier ministre britannique] », prévient Guy Cadet, maire de Nieuil, 932 habitants et une conseillère municipale anglaise, Jane Corbett. « Dans une société polyculturelle, la médiation avec les Anglais est inévitable. Sa présence nous a rendu de grands services », lance, élogieux, l’élu de 77 ans. En cas de conflit, d’incompréhension entre voisins ou avec l’administration, les élus anglais ont souvent joué le rôle d’intermédiaire avec les familles britanniques, dont une quarantaine sont installées à Nieuil.

« Ma vie est ici, je suis plus Française qu’Anglaise, soupire Mme Corbett. La naturalisation est une démarche très intime. Il ne m’a pas semblé naturel de la demander dès la première annonce du Brexit, qui nous a longtemps semblé être irréalisable. » La préfecture de Charente a, en effet, enregistré une augmentation des demandes de séjour (749 en 2018, contre 180 l’année précédente), mais les demandes de double nationalité restent peu nombreuses (quarante entre janvier et septembre 2019, pour vingt naturalisations).

A l’approche des deux échéances municipales du 15 et 22 mars, l’incertitude demeure en l’absence de consignes préfectorales : quelle est la marche à suivre, par exemple, pour supprimer des listes électorales l’ensemble des électeurs britanniques ? « Aucune idée », répond Pierre Berton ; le maire de Saint-Simeux (Charente), 594 habitants, a été élu en 2014 en présentant sur sa liste une Anglaise, Anna Broussaud, arrivée de Manchester en 2003. « Je vois mon engagement comme une manière de rendre à la commune ce qu’elle donne en m’accueillant », confie-t-elle. Début 2018, l’ancienne gérante de bar, devenue enseignante d’anglais, a fait une demande d’information auprès du ministère du Brexit, à Londres, pour connaître le sort des élus municipaux en France. « Sept mois plus tard, ils ne m’ont répondu qu’une seule chose : “Nous n’en savons rien” », regrette-t-elle.

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A Saint-Simeux, comme à Nieuil et Montrollet, les élus louent le « regard différent sur la vie locale » et « un volontarisme supérieur à de nombreux Français » des élus britanniques. « Ils s’engagent et servent une République qui n’est pas la leur, assène Benoît Savy. Leur retirer ce droit me paraît injuste, préjudiciable pour eux comme pour la vie locale. »

En quelques semaines, de nombreux résidents britanniques passeront même du statut d’élus potentiels en France à celui de citoyens britanniques dépourvus d’une partie de leurs droits civiques : une disposition de la loi anglaise, toujours en vigueur, interdit à tout expatrié parti du pays depuis plus de quinze ans de participer à une élection. « Ils sont dans un no man’s land, un vide juridique, résume Pierre Berton. S’ils ont encore une patrie, ils n’ont plus aucun droit de vote. »

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