« Nous voyons en Amérique latine l’émergence d’une politisation féminine »

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Rita Laura Segato.
Rita Laura Segato. Secom UnB

Le 25 novembre 2019, lors de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, le collectif chilien LasTesis réalisait à Santiago une performance, « Un violeur sur ton chemin ». Rapidement reprise dans le monde entier et adaptée à chaque contexte local, la chanson, qui dénonce les violences sexuelles, désignait directement comme coupables l’Etat, la justice et la police.

Lire aussi « Le violeur, c’est toi », une chanson chilienne contre les violences sexistes fait le tour du monde

Les quatre Chiliennes à l’origine de la performance ont expliqué s’être inspirées des textes de l’anthropologue argentine féministe Rita Laura Segato, auteure de nombreux ouvrages comme Las Estructuras elementales de la violencia (« Les Structures élémentaires de la violence », Universidad Nacional de Quilmes, 2013, non traduit) ou La Guerra contra las mujeres (« La Guerre contre les femmes », Traficantes de Sueños, 2016, non traduit).

Qu’avez-vous ressenti en voyant pour la première fois la performance de LasTesis ?

Ce sont des amies chiliennes qui m’en ont parlé en disant : « Ce sont tes idées et ta pensée qui sont représentées ! » Je ne voulais pas y croire. En regardant une vidéo, j’ai reconnu mes idées sur le pouvoir, la violence, l’Etat… Tout était là. J’en ai été très émue. Mon travail d’analyse de la violence faite aux femmes est universitaire, j’y ai consacré plus de vingt-cinq années de recherches. Transcender le champ théorique et voir son sujet d’étude devenir populaire, c’est ce qui peut arriver de mieux.

Que pensez-vous de la chorégraphie associée à la chanson de LasTesis ?

La chorégraphie est parfaite. Lorsque les participantes [entonnent « le violeur, c’est toi » et] pointent le doigt devant elles, elles émettent une accusation. C’est la première fois que ce doigt pointe dans ce sens. Jusqu’alors, il était toujours dirigé vers les femmes, sous l’œil du public masculin. Soudain, partout dans le monde, une multitude de femmes changent cela. C’est un geste très fort, par lequel elles édictent la responsabilité de l’Etat, des forces de l’ordre…

Des femmes chiliennes chantent « Un violeur sur ton chemin » devant le siège du Parti socialiste, à Santiago.
Des femmes chiliennes chantent « Un violeur sur ton chemin » devant le siège du Parti socialiste, à Santiago. JOAO PINA POUR “LE MONDE”

Dans votre livre La Guerre contre les femmes, vous expliquez que nombre de viols et d’agressions relèvent d’actes de domination. Les violences sexuelles commises par les forces de l’ordre durant la répression de la contestation sociale au Chili répondent-elles à cette logique ?

Absolument. La situation est très grave au Chili. La façon dont la police chilienne a agressé sexuellement des femmes détenues, mais également de jeunes hommes… La sexualité peut être un moyen très puissant de destruction de l’autre, physiquement mais aussi moralement. Or la victoire, si elle n’est pas aussi morale, n’est pas une victoire. [En se comportant ainsi], la police chilienne entend s’arroger le rôle de juge moral. Dans un contexte aussi affligeant que celui des violences au Chili, la vérité a été révélée : les « juges », c’est-à-dire l’Etat et la police, sont des violeurs. L’agression sexuelle dans notre civilisation post-coloniale est une appropriation et une destruction de l’autre, une autre forme de répression contemporaine. On le voit même dans les guerres, qui se mènent aussi à travers le corps des femmes, par exemple les guerres entre gangs en Amérique centrale.

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