« La fumée a transformé le quotidien de certains, les faisant basculer dans une autre réalité »

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Une trentaine de morts, sans doute au moins un milliard d’animaux tués, 80 000 kilomètres carrés de terres carbonisées, plus de deux mille maisons détruites… L’Australie est en proie depuis des mois à des incendies sans précédent dans leur ampleur et leur durée.

Comment les Australiens vivent-ils la situation ? Quelles conséquences économiques et politiques directes peut-on constater ? Isabelle Dellerba, correspondante du Monde à Sydney, et Christophe Ayad, envoyé spécial en Australie, ont répondu aux questions des internautes lors d’un tchat.

Bruce Leaver, expert dans le domaine forestier en Australie : « Jamais, de toute ma carrière, je n’ai vu des feux durer aussi longtemps »
A Nowra, les vents poussent la fumée et les cendres de l’incendie Currowan vers la région, le 4 janvier.
A Nowra, les vents poussent la fumée et les cendres de l’incendie Currowan vers la région, le 4 janvier. TRACEY NEARMY / REUTERS

Clémiche : Ces incendies sont-ils réellement perçus comme exceptionnels par l’opinion publique australienne, ou celle-ci est-elle plutôt résignée et habituée à ce genre d’événements ?

Christophe Ayad : L’opinion est habituée aux incendies mais cette année, c’est franchement exceptionnel. Même ceux qui sont fatalistes reconnaissent que l’ampleur et l’étendue sont sans précédent. Surtout, les habitants des grandes villes ont été affectés de deux manières : soit en devant quitter leurs lieux de vacances menacés, soit en vivant dans une fumée très polluante qui rend la vie quotidienne assez pénible.

Ratata : Comment les personnes évacuées sont-elles prises en charge ?
Christophe Ayad : Elles sont reçues dans des centres de secours gouvernementaux ou mis en place par les communautés locales. Mais elles ne restent jamais longtemps. Dès qu’elles peuvent revenir, elles retournent chez elles. Ceux qui ont définitivement perdu leur logement sont hébergés par des amis ou de la famille. Plus de 2 000 habitations ont été détruites. L’Etat ne joue pas un rôle aussi développé qu’en France.

Kate : Que propose en actes concrets le nouveau gouvernement face à ces nombreux feux ?

Christophe Ayad : Dans l’immédiat, le gouvernement a mobilisé l’armée et envoyé des renforts. Il a loué des avions supplémentaires au Canada et aux Etats-Unis où il y a d’importants moyens et où la saison des incendies n’a pas commencé.

Il a aussi promis 2 milliards de dollars australiens (1,2 milliard d’euros) pour la reconstruction et les indemnisations, mais cela sera probablement insuffisant. Une aide d’urgence est proposée aux familles qui ont perdu quelqu’un ou leur logement à hauteur de 1 000 dollars australiens par adulte et quatre cents par enfant. L’Etat de Victoria propose aussi jusqu’à treize semaines de salaire à ceux qui ont perdu leur activité, mais cela dépend de chaque Etat dans ce pays, qui est une fédération.

Alain : Une situation ou un lieu vous ont-ils particulièrement frappés dans vos reportages ?

Christophe Ayad : J’ai été frappé par le bord de mer à Mallacoota, à l’extrémité sud-est du pays. Il y a des avenues dont tous les arbres sont calcinés qui débouchent sur l’océan. Voir autant d’eau à côté d’une telle désolation, c’est étrange. Par ailleurs, la forêt d’eucalyptus entourant Mallacoota, qui est normalement un refuge pour les koalas, est totalement vide de bruit et de vie. Il n’y a plus un animal, rien.

Isabelle Dellerba : L’Australie est un pays connu pour sa qualité de vie, en particulier à Sydney, une ville magnifique avec ses parcs et ses plages où les habitants aiment faire leur sport matinal. La fumée a transformé leur quotidien, les faisant basculer dans une autre réalité. Certains ont vraiment l’impression d’avoir un avant-goût de ce à quoi l’avenir pourrait ressembler avec le réchauffement climatique et cela leur fait très peur. De nombreux experts estiment que cette crise va conduire à une prise de conscience.

Visualiser : En cartes et en photos, l’ampleur des incendies en Australie

Marine : Ce brouillard que nous apercevons sur les photos n’est-il pas très dangereux à respirer ?

Isabelle Dellerba : Effectivement, ce brouillard toxique est dangereux. D’abord, il peut causer des problèmes respiratoires. Il contient également des particules fines PM 2,5 qui non seulement se logent profondément dans les poumons, mais pénètrent aussi dans le sang et peuvent déclencher des accidents cardio-vasculaires. Enfin, ces particules sont cancérogènes.

NicoMelbourne : Y a-t-il un risque que le feu atteigne des zones très densifiées de population ?

Isabelle Dellerba : Il est déjà arrivé, dans le passé, que le feu atteigne les banlieues de Sydney et de Melbourne. Il est même arrivé que les flammes arrivent jusque dans les banlieues proches. Néanmoins, ces incendies ont été rapidement circonscrits. Quand des conditions météorologiques extrêmes augmentent le risque d’incendie, des pompiers sont prépositionnés dans les endroits stratégiques.

Carte des incendies en Australie, au 10 janvier 2020.
Carte des incendies en Australie, au 10 janvier 2020. Infographie Le Monde

Natou : Dans quel état sont les pompiers volontaires ?

Isabelle Dellerba : Les pompiers volontaires et bénévoles sont très nombreux, environ 74 000 rien que dans l’Etat de Nouvelle-Galles du Sud. Ils sont néanmoins très sollicités et ils doivent conjuguer la lutte contre les incendies avec leur activité professionnelle. Ils se disent tous épuisés mais veulent continuer à se battre pour éteindre ces feux de forêts aussi longtemps que cela sera nécessaire. Vous pouvez à ce titre lire notre reportage sur les sacrifices des pompiers bénévoles ; 90 % des 74 000 soldats du feu de Nouvelle-Galles du Sud sont des volontaires. Un modèle qui interroge en cette saison des feux hors norme.

Apo : Y a-t-il des risques d’approvisionnement pour les villes ?

Isabelle Dellerba : Sydney est déjà soumise, depuis plusieurs mois, à des restrictions d’eau à cause de la baisse du niveau des barrages. Actuellement, elles concernent l’extérieur : l’utilisation de l’eau pour l’entretien des jardins. Il est également interdit de remplir une piscine. L’Est de l’Australie est confronté à un violent épisode de sécheresse depuis 2017, depuis plus longtemps dans certaines zones. Il s’est encore aggravé ces derniers mois. On est au point de rupture et il y a déjà des endroits à la campagne où les autorités locales voient venir un conflit entre agriculteurs et habitants sur l’usage de l’eau.

« Ces incendies ne devraient pas mettre en péril la réussite économique du pays »

A visitor to Parliament House wears a face mask to protect herself against smoke in Canberra, Australia January 12, 2020. REUTERS/Tracey Nearmy
A visitor to Parliament House wears a face mask to protect herself against smoke in Canberra, Australia January 12, 2020. REUTERS/Tracey Nearmy TRACEY NEARMY / REUTERS

Marie : Est-ce la fin du « lucky country » et de sa réussite économique insolente, selon vous ?

Isabelle Dellerba : Ces incendies vont avoir des répercussions économiques, mais ne devraient pas mettre en péril la réussite du pays qui enregistre actuellement sa 28e année consécutive de croissance. Sa fortune repose en grande partie sur l’industrie minière dont le charbon. L’Australie possède la 4e réserve mondiale de ce minerais et en est le 2e exportateur mondial. Et la demande devrait rester forte, notamment de la part des pays voisins. Le charbon produit par l’île-continent alimente notamment les centrales électriques de Chine, d’Inde, de Corée du Sud ou encore du Japon.

limp : Quelles conséquences ces incendies vont avoir sur le tourisme ?

Christophe Ayad : Pour la région côtière du sud-est, l’impact est très fort. Les vacances de Noël et le mois de janvier sont la haute saison, durant laquelle un tiers du chiffre d’affaires de l’année est réalisé. Donc la perte est énorme. Sur une île comme Kangaroo Island aussi, où la moitié de l’île a été ravagée. Le problème, c’est l’impact à long terme sur l’image du pays, et aussi le fait que les petites villes côtières ne vont pas voir la forêt environnante repousser en un an.

Blue : Quel est le meilleur moyen d’aider l’Australie actuellement ? Le don ?

Christophe Ayad : Je ne suis pas sûr que l’Australie ait besoin de dons. C’est un pays riche. Ce dont elle a besoin, c’est surtout de soutien politique. Les Australiens sont assez sensibles en ce moment à l’image de leur pays à l’étranger. Si jamais le gouvernement sent que cette image est affectée, il se sentira obligé de bouger, d’annoncer des mesures. Donc je pense que les manifestations ont un vrai impact, surtout celles ciblant les dirigeants australiens ou leurs partenaires économiques comme Siemens, en Allemagne, qui participe au projet de mine d’Adani et qui a dû faire face à un sit-in dans ses locaux.

Glap : Comment réagit la communauté scientifique australienne ? Ce n’est pas faute d’avoir prévenu…

Isabelle Dellerba : La communauté scientifique avait en effet prévenu que le réchauffement climatique provoquerait une saison des incendies plus longue et plus violente. La crise actuelle est néanmoins la conséquence de la conjugaison exceptionnelle de trois phénomènes : le réchauffement climatique, une phase inhabituellement forte du dipôle de l’océan indien et une phase négative de l’os­cillation antarctique. Aujourd’hui, les scientifiques, comme ils le font depuis longtemps, appellent les dirigeants à faire davantage pour lutter contre le réchauffement climatique. L’Australie n’est pas seulement menacée par les incendies, mais aussi par des événements météorologiques extrêmes, comme les cyclones, qui risquent de devenir plus nombreux à l’avenir.

« Quand on demande aux gens pourquoi le Parti libéral a gagné, ils restent un peu interdits »

Le 3 janvier 2020, le premier ministre australien, Scott Morrison, s’est rendu à Sarsfield.
Le 3 janvier 2020, le premier ministre australien, Scott Morrison, s’est rendu à Sarsfield. James Ross / AP

Lilène : Par quel miracle ces Australiens, que l’on nous décrit comme proches de la nature, arrivent-ils à élire des gouvernants aussi insensibles aux questions environnementales ?

Christophe Ayad : C’est en effet un paradoxe. Beaucoup se disent sensibles aux événements actuels, et quand on leur demande pourquoi le Parti libéral a gagné, ils restent un peu interdits. En fait, les travaillistes ont fait campagne sur la lutte contre le changement climatique et les libéraux sur la baisse des impôts en mai dernier : au moment de voter, les gens ont choisi leur portefeuille. D’ailleurs la victoire de Scott Morrison et des libéraux avait un peu été une surprise.

Axa : Avez-vous le sentiment qu’il s’agit d’un tournant dans la société australienne en termes de prise de conscience écologique ? Pourquoi cela n’avait pas été le cas en 2009 lors des derniers incendies ?

Isabelle Dellerba : Au sein de la coalition conservatrice au pouvoir, les lignes sont en train de changer. La jeune génération, en particulier, demande plus d’actions pour lutter contre le réchauffement climatique. Enfin, lors des élections législatives de mai 2019, le Parti travailliste accordait déjà une large part à cette problématique. Il avait promis de transformer l’Australie en une « superpuissance des énergies renouvelables » et, en particulier, d’accélérer la transition énergétique avec au moins 50 % de l’électricité produite à partir d’énergies propres d’ici à 2030. Son objectif étant de réduire les émissions de dioxyde de carbone de 45 % en 2030 par rapport à 2005, soit d’aller au-delà de ce à quoi l’Australie s’est engagée lors de la COP21.

Guillaume : Quel serait le possible impact sur les équilibres politiques sur place et sur le futur du premier ministre?

Isabelle Dellerba : Le premier ministre conservateur, Scott Morrison, est très critiqué depuis le début de la crise. Pour son manque de leadership mais aussi pour son soutien systématique à l’industrie minière et son peu d’intérêt pour les questions climatiques. Les derniers sondages témoignent du mécontentement des Australiens. Seulement 32 % sont satisfaits de la façon dont Scott Morrison a géré la crise. A noter également que pour la première fois depuis les élections législatives qui se sont tenues en mai 2019, son adversaire travailliste, Anthony Albanese lui serait préféré en tant que premier ministre.
Le gouvernement va-t-il infléchir sa politique pour autant ? Le premier ministre a en tout cas changé de rhétorique. Dimanche, il a affirmé qu’il voulait faire davantage pour réduire les émissions de gaz à effet de serre du pays. « Dans les années à venir, nous allons continuer à faire évoluer notre politique dans ce domaine pour faire baisser nos émissions encore davantage ». La question est : comment ? Car il s’est engagé, dans la même phrase à faire cela « sans taxe carbone, sans augmenter les prix de l’électricité et sans fermer des industries traditionnelles ».

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Le gouvernement australien, sans politique pour le climat.
Le gouvernement australien, sans politique pour le climat. Infographie Le Monde

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