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JEAN-FRANCOIS JOLY POUR « LE MONDE »
RécitCe résistant, libérateur de la ville de Guéret, a été déporté dans le camp allemand le 5 septembre 1944. Il y a vécu huit mois d’enfer, qu’il raconte aujourd’hui sans fard.
Jacques Bloch raconte Buchenwald, dans son salon du 14e arrondissement, à Paris. Il chevauche à cru les souvenirs. La voix est sans émotion, pas indifférente, non, plutôt amortie par un voile de pudeur et d’années. La neutralité du ton, la blancheur des mots sont seulement réchauffées par un léger zézaiement. Traînent aussi, à 96 ans, un reste d’accent parisien et, par-ci par-là, des expressions d’argot, une déformation de jeunesse que quatre décennies passées après la guerre comme haut fonctionnaire du Sénat n’ont suffi à gommer.
Collé à son flanc droit pend un bras qu’on mettra un temps à savoir mort. Un gant en cuir et des manches longues dissimulent une prothèse là où le membre a été arraché par une rafale de mitrailleuse allemande. Séquelles physiques des combats que mena le maquisard pour la libération de Guéret, le 7 juin 1944, juste avant son arrestation et sa déportation. Sa famille avait trouvé refuge et protection au début de 1942 dans la Creuse, fuyant Paris et les lois antisémites.
Le témoin, juif et résistant, doublement exposé, doublement rescapé, n’en rajoute donc pas. Il use au contraire d’un art consommé, ultime, de l’euphémisme. Il dit : « J’ai payé comptant », après avoir évoqué les tortures de la Gestapo, le corps assommé par les coups, la tête immergée dans un baquet d’eau de vaisselle. Ou bien : « J’ai senti que ça n’allait pas être drôle », quand on lui demande son sentiment à son arrivée dans le camp de concentration. Humour protecteur contre la violence de la mémoire. Politesse de vieil homme contemplant sa vie. Volonté, surtout, de témoigner au plus juste, au plus sobre, au plus clinique. Des faits, rien que des faits.
Il raconte comment, ce 10 septembre 1944, après des jours d’errance, le train de marchandises s’est arrêté enfin. Les Allemands ont ouvert les portes simultanément des deux côtés du wagon, laissant enfin passer un peu d’air frais, qui a atténué l’odeur des corps macérés et de la tinette. Infime répit. Brève illusion de libération. Les chiens lâchés par les gardiens se sont rués à une entrée sur les prisonniers, qui se sont précipités vers l’autre issue. « Dans la bousculade, un gars a eu deux doigts sectionnés par un crochet. »
D’un autre wagon est sortie une femme, tenant dans ses bras un bébé nouveau-né. Que faisait-elle là, au milieu de cette cohue masculine ? « Elle avait dû être mal aiguillée. » La femme aurait dû être déportée à Ravensbrück, comme d’autres qui figuraient au départ du convoi. En ces mois de débâcle allemande sur tous les fronts, les fonctionnaires de la mort s’étaient-ils fourvoyés ? « Un officier a arraché l’enfant à sa mère, l’a envoyé en l’air et, tandis qu’il retombait, a tiré dessus au revolver. »
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