« En Libye, les kadhafistes pensent que l’alliance avec Haftar leur permettra de revenir au pouvoir »

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Des Libyens manifestent contre le maréchal Khalifa Haftar, à Tripoli, le 27 décembre 2019.
Des Libyens manifestent contre le maréchal Khalifa Haftar, à Tripoli, le 27 décembre 2019. MAHMUD TURKIA / AFP

Virginie Collombier est chercheuse et professeure à l’Institut universitaire européen de Florence. Après avoir travaillé sur la révolution égyptienne de 2011, elle s’est spécialisée sur la dynamique des conflits et des processus de réconciliation en Libye. Dans un entretien au Monde Afrique, elle décrypte les enjeux de la chute de Syrte aux mains du maréchal Khalifa Haftar, lundi 6 janvier, en analysant notamment le ralliement des kadhafistes à ce dernier. Le patron de l’Armée nationale libyenne (ANL), activement soutenu par les Emirats arabes unis, l’Egypte et l’Arabie saoudite, mène depuis neuf mois l’assaut contre le gouvernement d’accord national (GAN) de Faïez Sarraj, basé à Tripoli et appuyé de son côté par la Turquie.

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En quoi la prise de Syrte est-elle significative pour le maréchal Haftar ?

La ville a une dimension stratégique extrêmement importante. Elle se situe à la frontière entre les deux camps, entre les lignes de Misrata les plus avancées, à l’ouest, et les principales lignes de Haftar, à l’est et au sud. Qui tient Syrte a la capacité de contrôler les déplacements entre l’est et l’ouest libyens et aussi les routes vers le sud, en particulier vers la base d’Al-Djoufrah, aujourd’hui tenue par Haftar. En plus de cette dimension stratégico-militaire, la portée symbolique de Syrte est grande : la ville a été la capitale de l’ancien régime de Mouammar Kadhafi et le siège de l’organisation Etat islamique en Libye [en 2015 et 2016].

Pourquoi Haftar a-t-il pu entrer maintenant ?

Il y avait déjà des épisodes sporadiques de bombardement ces derniers mois, mais qui n’avaient pas provoqué de déstabilisation majeure. On expliquait cette relative stabilité par le fait qu’il y avait une sorte d’équilibre de positions, de partage des tâches, entre les forces de Misrata [affiliées à la coalition Al-Bounyan Al-Marsous] qui étaient déployées plutôt sur les pourtours de la ville et des brigades plus locales, dont la Brigade 604, chargées de la protection stratégique à l’intérieur de la ville, en particulier le conseil municipal. Il y avait donc un relatif équilibre et un peu d’attentisme.

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Que s’est-il passé pour que cet équilibre soit rompu en faveur de Haftar ?

La nouvelle escalade à Tripoli et la volonté affichée des Turcs d’intervenir de manière plus directe ont aiguillonné en quelque sorte certains acteurs locaux. Une personnalité très influente dans les milieux kadhafistes, Abuzeid Dorda, s’en est pris vivement, dimanche, à la politique turque, ce qui a contribué à galvaniser nombre de ses partisans, en particulier dans les tribus Qadhadhfa et Warfalla. Ces dernières avaient jusqu’à présent fait profil bas parce qu’elles avaient souffert de la cuisante défaite subie en 2011. Elles avaient été socialement et politiquement délégitimées [par la révolution de 2011]. Mais les événements de ces derniers jours ont contribué à les réactiver. Ainsi peut-on expliquer que certains quartiers de Syrte ont accueilli très favorablement l’arrivée des forces de Haftar, même si cela n’a pas été le cas partout. Les forces locales de la Brigade 604, qui étaient très divisées depuis le début de l’offensive de Haftar contre Tripoli [en avril 2019], ont connu des revirements significatifs. Et les forces de Misrata ont dû se retirer.

La chute de Syrte menace-t-elle Misrata, située à 250 km à l’ouest et dont les forces sont déjà engagées dans la défense de Tripoli ?

Le changement de domination à Syrte bouleverse considérablement la carte militaire. Misrata est clairement dans une position fragile, maintenant, surtout avec l’ampleur et l’intensité de la couverture aérienne dont bénéficie Haftar. On est à un tournant. Les Misratis vont devoir intervenir sur deux fronts à un moment où leur moral est quand même assez bas. D’autant plus que protéger Misrata depuis l’est est compliqué sans un soutien aérien. Les forces de Misrata sont très exposées au risque de bombardement. On voit ainsi un sentiment d’inquiétude qui monte au sein de la ville pour la première fois depuis 2011.

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Cela peut-il entraîner un effet dominos menaçant Tripoli ?

Le fait que Misrata se trouve maintenant prise en étau de cette manière ouvre en effet cette possibilité de manière plus nette. Et du coup, cela augmente le risque d’une continuelle surenchère et d’escalade de la part des acteurs extérieurs. Est-ce que les Turcs vont entrer dans le jeu de manière plus forte et assez rapidement, notamment avec des drones ? Je ne sais pas si c’est possible. Cela va être un des enjeux de ces prochains jours. Les Turcs, s’ils veulent tenir leurs promesses de soutenir le GAN de Faïez Sarraj, sont attendus au tournant.

Syrte est un bastion kadhafiste. Sa capture par Haftar signifie-t-elle que les kadhafistes ont rallié le maréchal et sont de retour dans le jeu ?

Ce n’est pas complètement nouveau. On l’a vu dès 2017. Les deux camps, tant le GAN que Haftar, sont entrés dans une espèce de course pour rallier des figures et les groupes les plus influents de l’ancien régime, qui souffraient de marginalisation après 2011. Haftar a été de ce point de vue plus efficace. Et cela a pris de l’ampleur ces derniers mois.

Mais il est important de comprendre quels sont les objectifs et les ambitions de chacun des groupes. Dans les échanges que j’ai pu avoir récemment avec eux, un des discours qui émergeaient de la part des partisans de l’ancien régime pouvait se résumer ainsi : « Haftar, pour nous, est le train qui nous ramènera au pouvoir à Tripoli. » Il y a donc de leur part une vision opportuniste de l’opération menée en ce moment par Haftar. Ils pensent que faire alliance avec lui leur permettra de revenir au pouvoir.

Nombre d’observateurs soulignaient depuis longtemps la diversité de la coalition autour de Haftar. Celle-ci rassemble des groupes très hétérogènes, au niveau militaire et politique. Ces groupes ont des ambitions et peut-être des intentions différentes. Ils marchent pour l’instant ensemble parce qu’ils partagent un intérêt commun, celui de prendre le pouvoir et se débarrasser du GNA. Mais rien ne dit que cette coalition sera durable. Des tensions sont plus susceptibles d’apparaître quand le pouvoir se rapprochera.

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Les kadhafistes peuvent-ils finir par se regrouper sous une même bannière ?

Le camp kadhafiste est divisé. Il n’a pas rallié Haftar à 100 %. Ensuite, il y a toujours eu au moins trois grands groupes dans cette mouvance. Les plus anciens sont des pivots du camp ultra qui, depuis 2011, ont toujours prôné la lutte armée et se sont rapprochés de Haftar depuis longtemps. Ensuite, il y a des partis politiques qui ont émergé sur le terrain kadhafiste, des figures plus jeunes dotées d’une vision plus élaborée de ce que peut-être la politique après une victoire. Et enfin, il y a les figures de la famille Kadhafi. J’ai des doutes sur la capacité de Haftar de rallier autour de lui toutes les composantes de l’ancien régime.

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