« La pauvreté a une genèse et la décennie nous en a fait une démonstration sans appel »

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LAURENT CORVAISIER

Formée en Lettres moderne à la Sorbonne, avant de revenir enseigner en Haïti où elle est née en 1953, Yanick Lahens, très impliquée dans le développement social et culturel de son pays, a débuté sa carrière littéraire par des nouvelles au début des années 1990. Ballons d’essai à plus d’un titre, ces textes – dont la plupart ont été réunis dans L’Oiseau Parker dans la nuit et autres nouvelles, publié comme tous ses livres chez Sabine Wespieser (306 pages, 22 euros) – forment les contours d’une œuvre en perpétuelle tension. Entre terre et asphalte, entre monde rural et urbain, entre violence et sensualité, âpreté et douceur, l’écrivaine fouille sa mémoire autant que son pays, que l’on pense à La Couleur de l’aube (2008), Failles (2010), Bain de lune (prix Fémina, 2014) ou encore à Douce déroute. En mars, à l’invitation du Collège de France, Yanick Lahens a inauguré la première chaire Mondes francophones. Pour ce premier volet, elle évoque le séisme qui frappé son île, en janvier 2010. Mais aussi les « anges de la dévoration » qui n’ont fait qu’accentuer, notamment, le dérèglement climatique, la pauvreté, les migrations.

Tribune. « Le 12 janvier 2010 à 16 heures 53 minutes, dans un crépuscule qui cherchait ses couleurs de fin et de commencement, Port-au-Prince a été chevauchée moins de quarante secondes par un de ces dieux dont on dit qu’ils se repaissent de chair et de sang. Chevauchée sauvagement avant de s’écrouler cheveux hirsutes, yeux révulsés, jambes disloquées, sexe béant, exhibant ses entrailles de ferrailles et de poussière, ses viscères et son sang » (Failles, éd. Sabine Wespieser, 2010).

A l’orée de cette décennie, ce séisme m’a frappée de plein fouet. J’ai perdu pied, vacillé, quelques heures, quelques jours, trébuchant vers des repères qui m’avaient laissée en plan, marqué des pauses pour que mon cœur reprenne sa place là, entre mes poumons, et bridé un trépignement, sans trêve aucune, de mes pensées. Je ne me suis jamais totalement remise de cet ébranlement et tant mieux. Parce que je ne veux guérir ni de l’amour de ce lieu, ni de l’amour des gens, ni de celui du monde. Je n’écris que pour tenter de faire le tour impossible de ce lieu, des gens, du monde. Ecrire le séisme a été pour moi un acte d’amour.

Le métabolisme du monde demeure silencieux et lointain tant que des événements de ce genre ne viennent nous rappeler que la Terre vit. Qu’elle a un âge, qu’elle passe par des cycles. Qu’une fois surgie d’une étrange soupe biochimique, la vie s’est disséminée. Le temps commençait son lent travail de dévoration.

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