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FactuelLe photographe a passé huit mois dans les plantations de canne et les usines sucrières de l’île. Son travail témoigne d’un monde en perdition, peuplé d’hommes et de femmes brisés par l’utopie castriste.
C’est Eusebio Leal, historien bien en cour à La Havane, qui l’a confié au photographe : « Le sucre est notre histoire ; sans lui, il est impossible de comprendre l’essence et l’âme de Cuba. » Or, les images que rapporte Pierre-Elie de Pibrac, après huit mois passés dans les champs de canne, les usines et les bateyes, ces villages construits autour des centrales sucrières, témoignent d’un monde en ruine.
Les guajiros, ces coupeurs de canne qui, machette en main, symbolisaient l’héroïsme de la guerre d’indépendance face aux Espagnols au XIXe siècle, le soutien aux guérilleros révolutionnaires au milieu du XXe, puis l’énergie productiviste au service du socialisme tropical, sont au rebut dans leurs cabanes ou dans des installations qui tournent à peine quand elles n’ont pas été démantelées – des 156 usines existantes en 2002, seule une quarantaine est encore en activité. Pour son livre et l’exposition qui l’accompagne dans cette plongée dans l’oubli, le photographe n’a pas choisi le mot castillan olvido, mais desmemoria, comme pour dire l’effacement d’une mémoire industrielle qui fut aussi une utopie ou un mythe.
Un honneur perdu
Car, si le sucre est l’histoire de Cuba, cela fait longtemps qu’elle est faite de fausses promesses et d’échecs. Les plus retentissants furent ceux de la grande zafra (« récolte ») de 1970. « Notre pays fournira 10 millions de tonnes de sucre », avait juré Fidel Castro, décidant ainsi de doubler la production en cinq ans. Étranglée par le blocus américain, l’île s’était jetée dans le giron soviétique et sa division du travail, fournissant du sucre à l’empire contre son pétrole. Tout le pays fut mobilisé et l’exploitation militarisée pour la monoculture, aux dépens de l’agriculture vivrière.
Dans le texte qui accompagne les images du livre, la romancière Zoé Valdés se souvient de l’embrigadement des travailleurs, enfants compris, pour des journées exténuantes dans les champs. Il en allait de « l’honneur de la révolution », avait dit le Lider Maximo. Mais, en juillet, il reconnaissait sa défaite : seuls 8,5 millions de tonnes avaient été produites. Bilan, une emprise plus marquée de l’URSS, une économie appauvrie et un enthousiasme révolutionnaire douché jusque chez les compagnons de route de l’étranger…
Métissages et couleurs
Très dépendante de cette matière première pendant les deux décennies suivantes, Cuba prend de plein fouet l’effondrement du bloc soviétique et la chute des cours mondiaux. Fidel décide la fermeture de dizaines de centrales, abandonnant la « première ressource » au profit du tourisme, plus prometteur en devises. Aujourd’hui, la production est inférieure à 2 millions de tonnes et le pays importe le sucre des cannes brésiliennes et des betteraves françaises. Et, faute de pétrole vénézuélien, le gouvernement a dû mobiliser cette année 4 000 paires de bœufs pour le travail de la canne…
Les temps sont tristes pour les hommes et les femmes qu’a photographiés Pierre-Elie de Pibrac, ceux dont la fierté était d’être un maillon au service du pays. « Derrière les discours obligés à la gloire du sucre et de l’ouvrier, on lit toute la souffrance d’un idéal effondré, dit le photographe. Et pour les enfants nés après le marasme, tout cela n’a aucun sens. »
« Pour les enfants nés après le marasme, tout cela n’a aucun sens. » Pierre-Elie de Pibrac
Dans ses portraits en couleur réalisés à la chambre, les regards sont éloquents et disent tous les métissages : ces Cubains ont des origines espagnoles, africaines, chinoises, russes… Ils ont été photographiés devant leurs maisons, forcément colorées : chaque bâtisse doit être repeinte avant chaque 1er janvier, date anniversaire de la révolution. A Cuba, « la couleur est un outil de propagande », murs peints et slogans « pittoresques », que les touristes consomment comme le rhum ou la rumba (née dans les sucreries).
Pour ses autres images, le photographe a donc préféré des nuances de gris qui rappellent le travail de Walker Evans, venu à Cuba en 1933. Et qui vont bien à ce monde noyé dans ce que le romancier Leonardo Padura appelle « les brumes du passé ».
Exposition à l’espace Dupon-Phidap, 74, rue Joseph-de-Maistre, Paris 18e. Jusqu’au 17 janvier.
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