En Ethiopie, les Sidama ouvrent le bal des revendications régionalistes

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Des électeurs montrent leurs papiers d’identité alors qu’ils font la queue pour voter lors du référendum à Hawassa, en Ethiopie, le 20 novembre 2019.
Des électeurs montrent leurs papiers d’identité alors qu’ils font la queue pour voter lors du référendum à Hawassa, en Ethiopie, le 20 novembre 2019. MICHAEL TEWELDE / AFP

Les électeurs doivent choisir entre une jarre et une hutte. La shaféta est une poterie sidama, tandis que la maison traditionnelle godjo figure sur le drapeau de l’actuelle région sud, ce qui est une autre manière de poser la question : voulez-vous rester dans cette dernière ou faire sécession ? Solomon Endrias sait déjà quel bulletin il va glisser dans l’urne. Le sourire aux lèvres, ce chirurgien de 45 ans, confiant sur le résultat du scrutin, est venu récupérer sa carte d’électeur à Hawassa où il a grandi et vit toujours.

La ville, située à 300 kilomètres d’Addis-Abeba, au cœur de la zone sidama, est la capitale de l’Etat régional des nations, nationalités et peuples du Sud (RNNPS). Cette appellation en dit long sur la diversité de sa population qui rassemble cinquante-six communautés différentes. Pour M. Solomon, il s’agit d’un « fourre-tout » qu’il faut quitter afin de gagner le droit de modifier la langue de travail de l’administration, d’avoir la main sur le budget, l’éducation, la santé, la sécurité et de collecter certaines taxes.

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Dans les rues de Hawassa, l’attribut des autonomistes sidama orne les bajaj (tuk-tuks locaux), les commerces, les cafés et même les bâtiments officiels comme l’hôtel de ville. L’autorité électorale a enregistré plus de 2,3 millions de votants, davantage qu’anticipé, ce qui prouve l’engouement pour ce référendum dont l’issue semble toutefois évidente. Si les Sidama représentent environ la moitié des habitants de Hawassa, ils peuplent les campagnes alentours à 97 %. « Je ne pense pas que ma voix va changer quelque chose », déplore Mamush (le prénom a été modifié), issu de l’ethnie wolayta. Dans un local discret d’un centre commercial vétuste de Hawasa, l’homme de 34 ans, en jean et baskets, se plaint d’intimidations et de menaces dont il aurait été victime de la part d’activistes sidama.

Plus de 5 600 observateurs déployés

Depuis juin 2018, plusieurs épisodes de violences entre communautés et avec les forces de sécurité ont entraîné des dizaines de morts. En juillet, alors que l’autorité électorale annonçait le report du référendum, des affrontements avaient coûté la vie à au moins cinquante-trois personnes selon la police locale. « Il y a eu un processus de réconciliation mais qui n’a pas atteint les jeunes. Il est resté au niveau du gouvernement et des aînés », admet Aregaw Ayele, qui fait parti de la Commission paix et réconciliation de Hawassa.

La zone est sous le contrôle des forces de l’ordre fédérales depuis quatre mois ce qui a apaisé – ou tout au moins gelé – la situation. Le processus d’enrôlement des électeurs s’est déroulé sans heurt d’après l’autorité électorale. « Je suis contente de pouvoir choisir ce en quoi je crois et j’espère que ça apportera la paix », confie Medhane Yitseleke, lunettes de soleil et tee-shirt rouge flanqué d’un drapeau américain, à la sortie du bureau de vote. Elle vit dans la capitale régionale depuis douze ans. Tous les résidents de la zone depuis au moins six mois ont le droit de se rendre aux urnes. Mais Mamush dénonce des irrégularités, à l’unisson avec le comité wolayta des droits humains : « Ils ont fait venir des Sidama de l’extérieur de la zone afin qu’ils aient des cartes d’électeurs. »

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Pour ce premier exercice démocratique depuis l’arrivée du premier ministre Abiy Ahmed au pouvoir en avril 2018, plus de 5 600 observateurs ont été déployés. « C’est un scrutin dont l’ampleur est limitée. Cela nous permet d’introduire des idées que l’on a dans l’optique des élections générales et d’en tirer des leçons, explique Birtukan Mideksa, la présidente de la commission électorale nationale (NEBE). L’autorité est dans un processus d’apprentissage tout comme d’autres acteurs. »

En cas de victoire du oui, certains craignent une institutionnalisation des discriminations ethniques dans le nouvel Etat. Dessalegn Mesa se veut rassurant. « Nous avons un espace politique, économique et social fait pour accueillir tous les groupes ethniques qui vivent avec le peuple sidama », affirme le porte-parole du Mouvement de libération sidama (SLM), fondé en 1978 pour lutter contre la dictature communiste du Derg et qui estime avoir été floué après l’arrivée au pouvoir du Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (EPRDF) en 1991, notamment parce que la coalition a fondu l’ethnie sidama dans le melting-pot de l’Etat régional des nations, nationalités et peuples du Sud.

Faut-il amender la Constitution ?

Pour ces militants, une victoire couronnerait donc l’achèvement de décennies de lutte. « C’est une revanche par rapport à tous ceux qui ont dû fuir le pays, qui sont morts sur le champ de bataille, témoigne Dessalegn Mesa. Le trentenaire a lui-même passé quatre mois dans la prison de Maekelawi à Addis-Abeba au moment des élections de 2005. Cette même année, le conseil de la zone sidama avait déjà présenté une requête d’autonomie, restée sans réponse. La Constitution de 1995 prévoit pourtant que chaque peuple à l’intérieur des régions « a le droit d’établir, à tout moment, son propre Etat », selon l’article 47.

S’il n’était pas appliqué sous les régimes précédents, cette fois-ci, le premier ministre Abiy Ahmed, qui vante la démocratisation de l’Ethiopie, pouvait difficilement y couper. Au risque d’un paradoxe que relève William Davison. L’analyste d’International Crisis Group pointe ainsi que « la création d’un nouvel Etat régional fondé sur l’appartenance ethnique n’est pas en adéquation avec la volonté d’Abiy de fusionner les partis ethnorégionaux de la coalition au pouvoir. »

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Cette soif d’autonomie est contagieuse. Au moins dix autres communautés, rien que dans la grande région du sud, rêvent d’être à la tête de leur propre Etat. Le conseil de la zone wolayta a demandé un référendum le 3 décembre 2018 sans qu’il n’ait été approuvé par la région pour l’instant. « Cela pourrait signer le début du détricotage du système fédéral éthiopien, commentait Yohannes Gedamu, maître de conférences en sciences politiques aux Etats-Unis, en août dans The Conversation. La débâcle de la sécession sidama montre une nouvelle fois que cette Constitution qui a privilégié les droits des groupes sur les droits individuels croule sous ce fardeau. » Un flou juridique laisse toutefois planer le doute : faut-il amender la Constitution pour accueillir un nouvel Etat ? Abiy Ahmed l’a laissé entendre. Cela pourrait en conséquence repousser la formation effective de la région sidama après les élections générales prévues en mai 2020.

A Hawassa, une période de transition de dix ans est prévue pendant laquelle la ville, forte d’une économie générée par le tourisme et son parc industriel dédié au textile, demeurerait capitale des deux Etats régionaux. Une manière d’éviter les remous dans l’eau calme du lac qui borde cette cité fondée par l’empereur Haïlé Sélassié dans les années 1950.

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